Ça te fait triper, hein, Bach Film, d'avoir inventé le 4/3 recadré ? Pas con, comme idée. Et d'avoir aucun technicien capable de s'en apercevoir, juste pour le fun ? Bref, je me suis reporté sur un divX moyen, dont j'ai pas compris d'où venait la musique - il y a une partition d'époque, mais il me semble que les bandes-sonores étaient perdues. Dans le doute, j'ai vu tout ça muet (et ça marche très bien comme ça).
"Il y avait une mère qui avait trois enfants"Ça commence comme une fable. Presque comme une comptine ou un poème, avec ses petits couplets alignés.
Cette structure, géniale, qui confronte de petites séquences indépendantes (chacune un peu à distance des évènements, en recroisant de temps à autre la route des personnages principaux - un peu à la façon
Inglorious Basterds en fait), est un ravissement.
Les atmosphères et les images hétéroclites se cognent : une scène où tout une ville angoissée écoute le silence avant l'attaque ; une scène où la tombe déjà toute prête dans la neige attend son mort ; une scène d'un train volé qui devient incontrôlable... Chacune avec sa petite musique personnelle, son ton et sa couleur particulière, apportant sa pierre à l'édifice général d'un patchwork qui dessine, par bribes, une idée de ce qu'a pu être la révolution.
Le film se perd un peu à mon goût dans sa partie centrale, qui devient soudain un peu plus linéaire, plus platounette. Évidemment, à l'inverse, les parties les plus libres associant des images sans lien direct, avec l'atmosphère du moment pour seul fil rouge (notamment quand on se rapproche du début ou de la fin, très abstraits) laissent parfois sur le côté : ce qui s'est passé exactement ici, ce dont on nous parlait précisément là, c'est pas toujours extrêmement clair. Mais c'est vraiment pas grave... Le tout fonctionne un peu à la manière de certaines bandes-annonces actuelles, qui mélangent les images comme elles veulent pour créer narration et émotion, dans une sorte de fluidité constante. Ça coule vraiment tout seul.
Et puis il y a l'intelligence de faire un petit film d'à peine 1h10, qui a pas le temps de s'épancher, et qui malgré ses segments très variés a aussi une dynamique très pure, comme un coup de poing, qui s'enfonce tout droit vers les dernières scènes nocturnes sanglantes, enfer noir aux grandes ombres fantomatiques. J'avais très peur de découvrir un espèce de brouillon à
La Terre, mais
Arsenal a vraiment sa singularité, son propre rythme, sa poésie violente (la fin, superbe idée), et il existe tout à fait indépendamment du chef-d'œuvre d'à côté qui pourrait lui faire de l'ombre.
D'ailleurs, comme dans
La terre, c'est un peu la foire aux plans iconiques :
Des scènes qui ressortent bien aussi. Une exécution, notamment, que j'ai juste jamais vu filmée comme ça au cinéma, tout en calme et en douceur (un truc très subtil avec le hors-champ, que je saurais pas trop expliquer : une série d'allers et venues, qui joue aussi sur l'absence du son du tir, c'est remarquable).
Et donc aussi des défauts, au-delà de la partie centrale : certaines scènes au lyrisme un peu préfabriqué (l'amour du bolchévisme a bon dos, parfois), les bourgeois phobiques expédiés (pas que je les voudrais forcément nuancés, mais là c'est juste une série de trognes un peu convenue), des
idées-de-montage ostentatoires qui jurent avec l'aisance de l'ensemble (je pense au coup enfants/chevaux battus)... Ça pèse pas gros face à un film aussi généreux, inventif, alerte, qui envoie 120 idées à la minutes tout en se payant le luxe d'être cohérent et tout bêtement beau.
5-6/6