J'ouvre spécialement un nouveau topic pour le talentueux réalisateur britannique Peter Kosminsky, spécialisé dans les téléfilms engagés, diffusés sur la BBC, et récompensés du BAFTA catégorie Drama.
WARRIORS (1999)
Pour parler de la guerre en Bosnie (1992) - si proche et pourtant si éloignée de nous - Kosminsky a eu la bonne idée de reprendre la structure narrative du
Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino. Nous suivons donc dans une première partie, deux jeunes anglais dans leur quotidien fait de match de football et de pintes de bière. Un cliché britannique, à la fois tendre et social, cinématographiquement reconnaissable grâce aux films de Ken Loach et autres Mark Herman, et nécessaire à l'identification.
Puis au cut, ces deux jeunes sont désormais noyés au beau milieu des Casques Bleus britanniques missionnés par l'ONU, englués dans une guerre à laquelle ils ne comprennent rien et sur laquelle ils n'ont aucun impact. Parés de leurs bonnes volontés pacifiques, flanqués de matériel militaire pouvant mettre un terme au conflit, ils sont pourtant chargés d'être les témoins muets du génocide qu'infligent les Serbes aux Croates, et d'assister sans jamais intervenir, à l'épuration ethnique qui s'amorce devant leurs yeux.
La troisième partie s'attarde enfin, mais sans s'apesantir, sur la difficile (l'impossible ?) réadaptation de ces jeunes hommes, anéantis, de retour au pays.
Un style documentaire musclé, une perle de scénario anti-manichéen, quelques scènes inoubliables et traumatisantes, une caméra épaule mesurée et toujours pertinente,
Warriors est encore plus frustrant qu'un
Black Hawk Down, ou plus accrocheur que le film de Cimino, parce que plus contemporain dans son contexte. Il enterre également les quelques tentatives cinématographiques de l'époque (
Harrison's Flowers d'Elie Chouraqui,
Welcome to Sarajevo de Michael Winterbottom, trop fictionnels et peu regardant sur l'authenticité des évènements décrits).
Découverte également de plusieurs comédiens, tous exceptionnels, dont Ioan Gruffudd (le Dr. Reed Richards des
Quatre Fantastiques) et surtout Damian Lewis (le Major Winters de
Band of Brothers). Découverte surtout en 1999 d'une façon de faire de la fiction à la télévision une excellence, faisant de l'ombre à la majorité des projets ciné, portée par une BBC extrêmement précoce en matière de qualité fictionnelle ou d'investigation. Un film formidable dont il existe un DVD, que je conseille à ceux qui aiment les oeuvres de guerre, réalistes ou politisées, ou tout à la fois.
5,5/6
BRITZ (2007)
Alors que j'ai déjà visionné
Warriors une demi-douzaine de fois en presque 10 ans, je n'étais pas retourné sur la carrière de Kosminsky (mauvais relais de notre télévision, mauvaise distribution DVD des téléfilms british, autre chose à foutre...), et je suis donc passé à côté d'un long-métrage intitulé
White Oleander en 2002 (avec l'excellente Alison Lohman de
Matchstick Men, Michelle Pfeiffer, Robin Wright Penn et Renée Zellweger...) mais que j'ai téléchargé. En revanche impossible pour le moment de mettre la main sur son téléfilm intitulé
The Project (et baptisé
Les années Tony Blair ici). J'espère découvrir ces deux projets bientôt.
En revanche, diffusion en 2007 sur Channel 4 de deux téléfilms d'1h40 regroupés sous le titre
Britz - repris sur Arte la semaine passée - et offrant deux points de vue complémentaires sur la montée de l'islamisme radical et du terrorisme en Angleterre, suite aux terribles attentats de 2005. Le premier film (trouvable comme le second en VOSTFR sur les sites de téléchargement) suit le parcours d'un jeune étudiant en droit, musulman de confession, qui s'engage auprès du MI5 (service de renseignement et d'espionnage british, popularisé par le personnage de James Bond).
Cette première partie est tout aussi soignée que
Warriors, avec peu de clichés cette fois, et assez inconoclaste concernant les préjugés religieux ou sociaux de la cité londonienne. Les ellipses sont osées, le discours ferme, les comédiens solides, et on fonce droit dans ce monde étrange et réaliste, qui m'a rappelé la rigueur et l'intensité du film d'Eric Rochant
Les Patriotes. Les amateurs de ce dernier, ou même de la série
24, devraient jeter un oeil à ce
Britz, qui dégage une assurance et une crédibilité novatrices dans le monde de l'espionnage.
La seconde partie suit l'itinéraire d'une jeune femme, elle aussi étudiante et musulmane, mais animée d'un sentiment de rejet et de discrimination vis à vis de l'Europe où elle est née, et glissant petit à petit vers l'intégrisme le plus violent. L'érosion de sa conscience politique et l'éclosion de sa haine anti-british sont bien rendues, de même que l'on se rend mieux compte des implications concrètes de la loi anti-terroriste en vigueur : cela rappelle évidemment le Patriot Act américain, et provoque un flashback sur les six de Belfort qui avaient été injustement accusés d'être les auteurs d'un attentat revendiqué par l'ETA en 1974, et dont le remarquable
Au nom du père de Jim Sheridan, retraçait le parcours. Ce dernier procès avait d'ailleurs permis de suspendre les mesures anti-terroristes, car abusives et anti-libertaires, malheureusement remises à l'ordre du jour depuis les attentats de 2001 et 2005.
Le film de Sheridan et le téléfilm de Kosminsky sont donc liés d'une étroite filiation (réflexion sur la politique anti-terroriste du gouvernement, discrimination des minorités, interrogatoires et débordements autorisés par les nouvelles lois, difficulté de sensibiliser l'opinion etc.). La seconde partie de
Britz bénéficie d'une exposition absente, car contenue dans le premier volet, ce qui lui permet d'axer la totalité de ses 100 minutes sur le parcours de la jeune étudiante en médecine. Plus faible mais tout aussi intéressante, cette deuxième partie offre comme la première la découverte d'un milieu étonnant et inédit, loin du fantasme que l'on en a (les services d'espionnage, les camps d'entraînement au Pakistan). Le fait de choisir une femme pour représenter le citoyen lambda qui passe du côté de l'extrêmisme religieux, est assurément une bonne idée, car aucune des images ne prête au déjà-vu.
5/6
Les films de Kosminsky ont pour but de sensibiliser les européens aux évènements les plus sombres de l'histoire contemporaine. Il s'agit d'un difficile processus de vulgarisation, sans pour autant verser ni dans le sensationalisme, ni dans la caricature, ni même dans le militantisme. Ils permettent de se forger un début d'opinion structurée, argumentée, ils offrent une base solide à la réflexion, et agissent comme tout bon documentaire : pour éveiller les consciences.