Et nous revoilà de retour sur la morale et le cinéma... merci la Shoah... Pour ne pas me paraphraser, je vais me copier-coller :
Moi je me souviens et me réfère souvent à une phrase que Dupontel a répliqué aux critiques qui fusaient à Cannes. Il a dit : "La vie n'a pas de morale, je ne vois pas pourquoi les gens de cinéma en auraient une". Je suis très d'accord avec ça. J'aime ce champ libre que ça laisse. Cette ambiguité que ça génère. Ce souffle contestataire que cela suppose. La force de l'opinion, même amorale. J'en avais parlé à Klapisch lors d'un entretien - Klapisch qui justement s'interdit d'imposer sa morale dans ses films, parce qu'il n'en a pas - et il m'avait répondu : "Oui, ce n'est pas faux. Lorsque l'on dit : "Tu ne tueras point", je trouve que c'est très vrai, jusqu'au moment où il faut tuer Louis XVI… Moi j'aurais été le premier à tuer Louis XVI. Je trouve qu'il y a des fois où il faut tuer. Donc on ne peut pas dire des phrases comme ça. Il y a des valeurs auxquelles il faut juste être sensible. Etre résistant en 42, ça veut tout de même dire tuer des gens. Il faut être prêt à pouvoir changer de valeurs." La morale reste une affaire de point de vue, et n'échappe pas non plus à l'interprétation personnelle. La morale change avec les époques, selon les cultures, les pays, les régions, les familles. Laisser la morale diriger sa mise en scène, c'est passer à côté de son propre esprit critique, c'est laisser le politiquement correct d'un instant T à un endroit précis dicter son regard et celui du spectateur. Ce sont les films, les livres, les peintures qui vieillissent le plus mal, qui ne laissent pas de trace, qui se coupent de la postérité nécessaire. Et de ça je suis convaincu.
La morale est un truc irréel. Aborder de front un sujet aussi massif que la Shoah, aussi porté sur le nombre gargantuesque d'individus que la notion d'être vivant unique, en laissant couler une mise en scène dictée par la morale, où aucune interprétation péjorative ne serait permise, où chaque mouvement et où chaque composition répondrait à la définition même de la pudeur, de la justice, de la mémoire... Je veux bien théoriser, mais on atteint là les limites du procédé d'intellectualisation. A un moment il faut faire, montrer, créer, choisir, trancher. Je préfère 100 fois un cinéaste qui ose le témoignage maladroit avec un geste virtuose, plutôt qu'un autre qui préfère la retenue bienséante et la critique bien pensante.
Je ne crois pas qu'il n'y ait aucune morale dans la vie. Je ne crois pas non plus qu'il y en ait une. Il y a bien une morale, plurielle, parfois partagée, jamais exhaustive. Disons que c'est le postulat de départ qui me plaît. Allons-y avec nos opinions, notre langage du cinéma, notre sincérité, allons défricher tel sujet sans faillir, et on observera jusqu'où on aura réussi à avancer, si on sera retombés sur nos pattes, si des portes auront cédé. Je crois qu'il est dangeureux de s'empêcher de faire les choses sous couvert de morale, mais qu'il est utile d'user de morale pour les apprécier. C'est à dire que je trouve toute la légitimité du monde aux cinéastes dans leurs intentions, et je conçois que le résultat n'amène à aucun concensus. Ces séquences de mise à mort, faut-il se les interdire avant leur mise en scène ? N'est-ce pas mieux aujourd'hui d'avoir matière sur quoi poser nos réflexions ?
Pour autant, si j'ai appris une chose vis-à-vis de Tetsuo dans ce débat, c'est qu'effectivement il ne se pose pas d'emblée en gardien du temple, en énonçant ce qu'il est permis de faire et ce qui ne l'est pas. Il est plus ouvert que ce que j'imaginais. En revanche, il revendique son droit à user de morale et à condamner après coup ce qui lui déplait, et à être intransigeant.
_________________ I think we're gonna need a helmet.
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