Frères et soeurs, dans la soixantaine, Angèle, Joseph et Armand, brouillés et désabusés, doivent revenir dans la calanque où ils ont grandi, suite à une attaque qui a plongé leur père dans le coma, afin de veiller sur lui, mais aussi préparer l'héritage. Tous trois ont été marqués et façonnés par les principes de vie et l'engagement à gauche de leur père, dont la villa qu'il a construite lui-même, avec l'aide de ses voisins, est à la fois le symbole et l'héritage. Angèle est une actrice de théâtre, brechtienne, dont la carrière n'a jamais décolé, et qui n'a jamais surmonté un drame l'a isolée du reste de la famille, depuis longtemps. Joseph, un intellectuel établi en usine, puis prof de fac et visiblement haut-fonctionnaire ministériel congédié, entretenant soigneusement une pose d'amer vieux nouveau-riche, est en couple avec Bérangère qui a la moitié de son âge, et semble travailler dans l'immobilier de luxe. Armand, célibataire bougon, essaye de faire survivre le restaurant de quartier que tenait son père, résistant ainsi à la gentrication de la calanque, et entretient la végétation des collines qui la surplombent, veillant ainsi à leur bonne marche écologique. C'est l'hiver. Certaines tensions vont s'apaiser, d'autres apparaître, tout comme des couples vont se dissoudre, se former . Les touristes qui créent une flambée immobilières qui vide peu à peu la calanque hors la saison d'été sont (presque) invisibles, tout comme les réfugiés rescapés d'un naufrage, que des patrouilles de l'armée essayent d'appréhender.Difficile de parler de ce film, qui semble faire sens surtout par rapport à l'ensemble de la filmographie de Robert Guédiguian, que je connais finalement assez mal (un souvenir de "Marius et Jeanette" qui commence déjà à s'estomper, et "le Promeneur du Champ de Mars", raté "la Ville est tranquille"), dont il forme une coda mélancolique et un bilan sur la troupe-famille.
Dans le fond je n'ai pas trop été convaincu par ce film à la Claude Sautet, même si je lui reconnais un trouble qui le rend intéressant. Il est peut-être trop écrit, les clivages entre les personnages sont trop figés pour qu'il y ait une dialectique :ils énoncent eux-même les enjeux symboliques, moraux et politiques de leur existence, comme si c'était là l'existence elle-même. Il s'agît d'un pari d'écriture conscient, pour paradoxalement épurer le film et lui donner une simplicité qui permet une forme de distanciation brechtienne. Mais cela rend le film très bavard et didactique, sans point aveugle, assez mécanique.
Le seul moment où le dispositif fonctionne est quand la famille "affronte" un des militaires patrouillant à la fois dans le cadre de l'état d'urgence et en maraude "contre" (ou "pour" : là est la question ) les sans-papiers. La situation est alors très manichéenne, mais paradoxalement crédible, car il est légitime que le militaire, dans la situation où il est, énonce directement et de manière lapidaire le clivage de classe, sans mauvaise conscience, et juge la famille de l'extérieur. Il s'agît d'ailleurs une scène assez belle.
Mais, ici, la distanciation se confond avec un travail psychanalytique, assez pénible et allant dans toutes les directions (des enfants vers les parents, mais aussi de la mère vers la fille pour un des personnages, qui comme Paul Nizan échappe seulement par la mort et à la corruption d'être une sociale-traître ontologique, visiblement seul destin de l'enfant en milieu capitaliste). L'enjeu de cette psychanalyse (chargée par avance d'énormément d'affects), est finalement d'affirmer l'autonomie dramatique des valeurs morales, qui ont leur propre destin, leur propre histoire, laissant finalement à l'extérieur les personnages qui croyaient les défendre.
Le film se décante un peu quand arrivent les enfants sans-papiers, laissant plus d'autonomie à la mise en scène (ma foi assez belle, le film a un rythme qui le fait passer), mais ceux-ci sont l'archétype caricatural de la détresse et de la vulnérabilité (une soeur de 12 ans devant jouer la mère protectrice de ses frères, avec un autre frère mort qu'elle a enterré, et vraisemblablement tous orphelins). De plus, ils sont complètement muets, et à l'opposé total de la famille.
On a alors d'un côté, le politique, un discours sans situation (de gauche, mais plein de mauvaise conscience, le film postule que c'est le pouvoir qui rend politiquement impuissant) et de l'autre, chez les justes et les faibles, une situation sans discours, sans plan intermédiaire. Ce qui assez gênant pour un film de gauche. "Un Homme Intègre", partant d'un dispositif (et un fond politique : la résistance du paysage contre la speculation immobilière dans un monde rural progressivement rattrapé par la ville) assez proches, introduisait beaucoup de trouble, d'opacité, et finalement de lucidité, la mauvaise conscience n'y apparaissait pas comme une synthèse réconciliatrice, mais un mystère substantiel.
Mais le film est assez honnête. Il pose plusieurs "bonnes questions", si l'on veut l'exprimer ainsi : "Gauche qu'as-tu fais du pouvoir quand tu l'avais ?", "Pourquoi la révolution n'est pas une attente chez ceux qui en sont l'enjeu, les ouvriers, mais chez ceux qui en sont les porteurs, qui ne sont pas forcément les mêmes. Cette attente n'est-elle peut-être l'autre nom de l'hégémonie culturelle ?" mais sans racontrer vraiment une histoire, sinon celle de personnages se les posant.