Très beau film, que j'ai préféré à l'"Inconnu du Lac". Le début laisse penser aux documentaires de Depardon sur les paysans de montagne avec du cul cru, mais à la fin le film bascule vers une fable malaisante pas si éloignée de la Honte de Bergman (ou de la Voie Lactée de Bunuel).
Mais au contraire de Bergman, il dépeint quelque chose de caractéristique de notre monde: l'éloignement et la séparation radicale n'est pas liée au malentendu, mais fait paradoxalement fond sur une compréhension prélable de l'autre qui est totale, implicite mais déjouée (chez Bergman l'incommunicabilité dans le couple absorbe l'incommunicabilité sociale, dans ce film c'est l'inverse).
J'aime bien le fait que plus les personnages essayent de fuire, plus ils sont embarqués par des modèles de voiture anciens (la femme -très bonne actrice, l'acteur est lui aussi très bon- se barre en AX, l'homme se laisse piéger au contraire en Fiat 500 III providentielle qui le ramène): la mémoire est le véhicule raté de la fuite hors de la solitude, de la précarité et du conformisme. La génération de mai 68 qui est aimée contre elle-même (et pour la liberté qu'elle a transmise sans l'inversir). Et aussi le fait que le personnage énonce une parole de résistance (qui n'a plus valeur d'esquive et de chèvrechoutisme compatissant comme ce qu'il disait jusque là, mais est la première métaphore qu'il ait le courage d'énoncer) au moment où le mythe s'est effondré
et quand l'archaïque le remplace, comme une menace
, quelque chose qui me semble essayer d'inverser la vision du monde de René Girard je crois (celles d'ordres sur-hégéliens et sur-chrétiens qui se substitueraient en s'aborbant les uns dans les autres: la famille, pesante, faite de refoulement et de violence, puis la domination économique individuelle, rationnelle, mais ségrégative, l'état protecteur mais coercitif, jusqu'à l'apocalypse comme dernière étape, qui donne sa valeur au reste en l'anéantissant -un truc de psychopathe-, avec la psychanalyse qui articule le passage d'un état à l'autre, en demandant de façon monocorde au sujet de se réaliser, à la place exacte du vide laissé par l'ordre moral ou la loi patriarcale qui a cessé de croire en elle-même).
Meilleur film de 2016 que j'aie vu à ce jour, très riche.