Pour prouver à mon fan numéro 1 (Scythe) que je tiens mes promesses.
J'ai déjà évoqué pas mal de bouquins de cette liste dans le topic dernières lectures, mais bon... J'en oublie certainement, mais voici les plus marquants.
1. Nature's Metropolis, William Cronon
Ce n'est pas un chef d'oeuvre de la littérature, ni un bijou formel impeccable, et ce n'est même pas traduit en français. Mais c'est pourtant le meilleur traité d'économie qui soit, puisqu'au lieu de grandes théories sur la monnaie, le capital, le travail, ou encore les classes, Cronon montre simplement comment l'être humain s'organise dans un système capitaliste, pourquoi le profit se révèle possible/impossible, et ce qu'il se passe quand on a trop pressé l'orange qui nous nourrit. C'est aussi un récit magnifique sur l'hubris, de la déforestation du nord-est américain au massacre de millions de bisons en quelques décénnies.
2. Les carnets du sous-sol, Fiodor Dostoïevski
C'est un Dosto assez atypique, court, aride, désespéré. D'un humour noir absolument cinglant, avec des passages carrément asburdes et dérangeants. C'est l'histoire d'un misanthrope, qui n'aime rien ni personne, qui voudrait qu'on l'aime mais déteste quand ça arrive, un humilié qui humilie, un homme brisé qui brise. Monumental.
3. Pierre, Herman Melville
Je copie ce que j'ai écrit dans le topic Dernières Lectures (flemme) :
Après quatre mois, enfin arrivé au bout de ce livre indigeste, malade, fatigant, irritant, de ce pensum lourd et égocentrique sur l'existence, de ce roman raté. Et pourtant, c'est un grand livre, rempli de pages magnifiques, d'éclairs de génie ; un portrait au vitriol d'une société américaine ingrate, pleine de jugements définitifs et d'hypocrisie, incapable d'empathie. Avec Pierre, Melville tentait d'écrire un roman qui aurait enfin du succès, qui plairait à un large public : au final, il nous sort un volume obèse, qui méprise ouvertement son lectorat, parle en "thee" et en "thou" sans aucune raison autre qu'esthétique, ne se soucie pas de cohérence, et n'est qu'une succession de péripéties molles entrecoupées de longues digressions sur la nature humaine, d'intérêt très variable. N'écoutez pas ceux qui vous diront que c'est un livre sulfureux : Melville ne fait que suggérer, et il le fait avec le style ampoulé le moins érotique de la terre. Ca se lit lentement, par petites touches (autrement, overdose), et il faut parfois s'armer de courage pour s'enfiler de longues diatribes complaisantes sur l'art et la nature humaine. Mais la récompense au bout est absolument superbe, car certaines pages de ce bouquin sont parmi les plus belles jamais écrites.
Comme le dit Melville : "For in tremendous extremities human souls are like drowning men; well enough they know they are in peril; well enough they know the causes of that peril;--nevertheless, the sea is the sea, and these drowning men do drown."
4. La Curée, Emile Zola
Je redécouvre Zola, qui est bien plus qu'un sociologue raté et un théoricien bidon de la nature humaine. C'est d'abord un véritable écrivain, dont la langue est belle, sèche, autoritaire ; un homme capable en quelques lignes de raconter son époque, de saisir en une poignée de phrases l'atmosphère du second empire. La Curée est un roman moral un peu raté, c'est vrai (on y punit la femme volage, la jouisseuse en mal d'amour), mais ça n'en reste pas moins un grand livre sur la spéculation, le désir de faire de l'argent pour le simple plaisir de l'accumulation (fabuleux personnage d'Aristide Saccard, qui depuis Montmartre découpe Paris de la main, imaginant déjà les profits immobiliers à venir), mais aussi sur la vénalité de la haute-bourgeoisie parisienne.
5. Protection encombrante, de Heinrich Böll
Beau roman à plusieurs voix qui raconte comment un vieux patron de presse se fait submerger par l'économie des années 60 et sa croissance folle, incontrôlée, qui va jusqu'à le jeter hors de chez lui, sa demeure étant rasée pour permettre d'exploiter du charbon. C'est aussi une très belle histoire d'activisme politique. J'ai découvert Böll avec ce roman, et c'est excellent.
6. L'île, de Robert Merle
J'en ai déjà parlé ici, je copie donc :
Vrai enthousiasme pour ce roman d'aventure français, qui adapte avec beaucoup de liberté la Guerre de Pitcairn entre britanniques et taihitiens. La langue, sans être majestueuse, est élégante et pleine de vie. Les personnages prennent lentement corps durant 700 pages qui se dévorent (lu en 3 jours, très surpris d'avoir été autant happé par la chose), et la vie sur l'île du titre possède un véritable allant, où l'on sent l'influence évidente de la littérature de genre américaine sur Merle, qui en reprend les meilleurs éléments (le rythme, la richesse thématique) pour en faire un vrai beau livre. Je conseille à tous ceux qui aiment le roman de genre.
7. The Mayor of Casterbridge, de Thomas Hardy
Hardy égal à lui-même : bordélique, improbable, une langue qui cahote et multiplie les tournures de phrases hasardeuses, mais aussi un art de la caractérisation inégalé, un sens de la psychologie ébouriffant, et une maîtrise du tragique admirable. Au final, roman magnifique sur la culpabilité et l'orgueil.
8. Player Piano, de Kurt Vonnegut
Le premier roman de Vonnegut est certainement un coup d'essai (c'est trop long, mal dirigé, assez mal terminé), mais il ne parvient pas à éviter d'être brillant par intermittences, notamment dans la description hilarante qu'il fait d'une société qui a remplacé tous les travailleurs par des machines, au point qu'il ne reste qu'une poignée d'ingénieurs au sommet, eux aussi menacés à plus ou moins court terme de devenir obsolètes. Beau roman, quoi qu'il en soit.
9. J'irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian
Vian vulgaire, Vian trash, Vian plein de hargne et de haine ; roman un peu dégueu sur les races aux Etats-Unis, et un sale goût dans le bouche après ce court texte, violent et désespéré.
10. L'Elu, de Thomas Mann
_________________ "Je vois ce que tu veux dire, mais..." "Je me suis mal exprimé, pardon."
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