Je suis à la bourre, voici donc le palmarès de mon Festival de Cannes 2021 qui a finalement mixé mes deux sélections prévues par manque de temps.
Etats-Unis (5) The Lighthouse de Roger Eggers Sacré morceau de cinéma que ce film historique traversé de visions fantastiques et érotiques. Les deux acteurs sont géniaux, la photo sublime, la montée de la tension est bien gérée. Après, comme pour The Witch, je trouve Eggers plus à l'aise pour la mise en scène que pour l'écriture, si bien que le rythme en pâtit dans un long et un peu redondant deuxième acte. Mais c'est d'une ambition assez folle et je ne regarderai plus les mouettes du même oeil. 5/6
Sailor et Lula de David Lynch Je n'avais vu le film qu'à sa sortie (et encore sur Canal +, je pense) et à l'époque, je n'aimais pas le cinéma de David Lynch, trop zarbi pour moi... Et bien ce fut une belle redécouverte, même si le film me parait en deçà de ses chefs d'oeuvre, Lost Highway et Elephant Man (plus tout Twin Peaks, bien sûr), principalement pour son coup de mou après la première heure. Mais quelle originalité, quelle fièvre, quel sens du cinéma, de la rupture de ton, du plan iconique... C'est vraiment du cinéma incandescent avec deux acteurs géniaux (peut-être le plus grand rôle de Nicolas Cage, en fait ?) et une utilisation démente de la zik (Elvis, Chris Isaak, Penderecki....). Le film avait eu la Palme d'or (ce qui est assez fou tout de même, avec le recul) des mains de Bertolucci. 4/6
Mishima de Paul Schrader Je l'avais vu dans ma jeunesse cinéphile et j'avais surtout été marqué par la musique - l'une des plus belles partitions de Philip Glass. C'est un film assez incroyable, conceptuel en diable avec la recréation des oeuvres de l'auteur japonais façon théâtre contemporain mêlée à un biopic plus classique, raconté en voix of. Quand ça marche, c'est fabuleux - tout le passage sur le pavillon d'or est absolument sublime, Ken Ogata a une présence dingue à l'écran et la fin... Après, je trouve que le film souffre un peu de son principe narratif avec des aller-retours qui coupent parfois l'élan - j'aurais bien sacrifié les scènes de préparation du coup d'Etat. Mais c'est puissant, lyrique et un des sommets de la filmographie de Paul Schrader. 5/6
Fast Food Nation de Richard Linklater J'aime bien le cinéma de Richard Linklater, surtout Boyhood en fait. Comme souvent, le Festival de Cannes a sélectionné l'un de ses films les plus faibles, pas déshonorant bien sûr, mais qui manque singulièrement d'angle comme on dit dans le journalisme, et de radicalité - même si la dernière demi-heure entre un peu plus dans le lard. Il y a sans doute une intrigue en trop - au hasard, celle de l'étudiante militante - et le film passe beaucoup trop de temps à construire des personnages dont on se fiche éperdument (le méchant contremaitre par ex, la soeur de l'héroïne, même son compagnon). C'est d'autant plus dommage que la partie avec Greg Kinnear se suffit presque à elle-même, avec ce roi du marketing qui découvre la pourriture de son job en grattant un peu sous la surface. 3/6
Mandy de Panos Cosmatos Je regrette de l'avoir découvert sur Netflix, où la dimension sonore et visuelle du film n'est sans doute pas exploitée à sa juste valeur. Mais je n'ai pas détesté, tout en reconnaissant bien sûr les limites du genre. C'est vraiment un revenge movie hyper basique dans son scénario - alors que les vingt premières minutes annonçaient un trouble maléfique plus grand. Le film manque aussi clairement de rythme, certainement en raison de son côté auto-satisfait et donc auto-indulgent, si bien que certaines répliques tombent complètement à plat. Mais bon, dans son registre macrabre-horreur, c'est un peu comme Possessor de Cronenberg, dont il partage l'actrice, le haut du panier en terme de direction d'artistique. Je pense quand même que Nicolas Winding Refn a plus de talent que le fils Cosmatos... 3-4/6
France (4) Lux Aeterna de Gaspar Noé La scène d'impro au début est vraiment sympa, j'ai souri sur le dialogue du festival du film de femme, mais je ne savais pas que c'était un moyen métrage et je pensais que le film avait duré 1h15... Toute la deuxième partie est relou, sans queue ni tête (c'est quoi le plan du producteur ?) et je suis d'accord avec Art Core, il manque l'embrasement final... Je pensais même que Charlotte allait cramer en fait, comme c'est suggéré dans le dialogue. Bref film de commande (tout le monde est bien habillé comme il se doit) qui me déçoit de la part d'un réal qui, depuis Enter The Void, me semble sur la pente descendante et recycle ses effets. 2/6
La Répétition de Catherine Corsini Je connais assez mal la filmographie de Catherine Corsini, en compétition cette année à Cannes. Et son premier passage dans la chasse à la Palme d'or m'était inconnu. J'avoue ne pas bien comprendre ce qui a pu séduire les sélectionneurs cette année-là (en 2001), si ce n'est sa proximité thématique avec Mulholland Drive (en bcp moins bien). Le film n'est pas déshonorant, il y a une certaine ambiguïté érotique qui s'en dégage et j'adore Pascale Bussières. Après le film n'exploite pas totalement toutes les pistes ouvertes - notamment le rapport au théâtre, si bien que je suis resté un peu à quai. 3/6
Les glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda C'est le premier film d'Agnès Varda que je vois consciemment (j'ai vu sans doute Sans toi ni loi dans les premiers temps de ma cinéphilie). Je redoutais le côté autobiographique-aphorisme-téléramesque. On ne va pas se mentir, il y a de ça. Je ne suis pas fan du tout du commentaire à la première personne, du moins quand elle filme ses propres maladresses, ses mains, les camions (même si ça a un sens). Par contre, il y a une vraie poésie sociale qui se dégage, une vraie humanité qui traverse et c'est un monde (les glaneurs donc), que l'on filme rarement, en tout cas pas avec une aussi grande simplicité. J'aime beaucoup l'idée finale, aussi. 4/6
Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc de Bruno Dumont Deuxième tentative - la première fois j'avais arrêté après dix minutes... Bon, j'ai tenu jusqu'au bout cette fois-ci, déjà car j'avais plutôt aimé la suite, avec la même jeune actrice - qui a quelque chose, il faut l'admettre. J'aime beaucoup la composition des plans de Bruno Dumont, son originalité et même la musique d'Igorr. Mais bon, c'est extrêmement répétitif et même si c'est voulu, le jeu de certains acteurs me sortent parfois du film. 3/6
Europe (8) Le pays où rêvent les fourmis vertes de Werner Herzog (Allemagne) Superbe affiche, très beau titre et bon film de Werner Herzog, sur la colonisation des terres - ici en Australie. C'est un peu didactique, un peu caricatural - surtout la partie procès - mais la mise en scène pré-Malick de Herzog, la mélancolie du personnage principal donnent beaucoup de poésie à l'ensemble. Cela se trouve sur Mubi. 4/6
L’arche russe d’Alexsander Sokourov (Russie) Là encore, je comble un manque dans ma cinéphile. J’avais tenté une première fois L’Arche russe il y a fort longtemps… et je m’étais arrêté assez vite. Le revoir a été un éblouissement. Déjà je suis passé de l’autre côté concernant Sokourov, avant Faust, tout m’ennuyait prodigieusement, maintenant tout m’envoute. J’ai trouvé ça vertigineux, avec un discours sur l’Art éternel qui forcément est précieux aujourd’hui mais pas seulement. La forme - un long plan-séquence - est bien sûr totalement hypnotique - j’adore les plan-séquences, d’ailleurs c’est le chef op du Cheval de Turin - avec ce mélange d’explication érudite de tableaux de maître et de reconstitution historique façon scène de bal avec 300 figurants… Et dans le fameux jeu du temps ressenti - durée réelle, j’ai été surpris que la fin arrive si vite, tant j’étais happé par la mise en scène. 5/6
Don’t Come Knocking de Wim Wenders (Allemagne) Il y a peu de (grands) réalisateurs dont je n'apprécie guère le travail récent ou passé. Wim Wenders en fait partie, je le crains. J'aime beaucoup Paris Texas, j'avais adoré les Ailes du désir adolescent et j'ai un souvenir assez fort et diffus de Jusqu'au bout du monde. Le reste me tombe des yeux, surtout ses films contemporains. Je trouve ça trop appliqué, trop pontifiant, trop daté. Malgré des acteurs que j'apprécie (enfin surtout Sam Shepard), Don't Come Knocking ne m'a jamais embarqué. Je n'ai pas de culte particulier autour des Etats-Unis, ça explique peut-être mon manque d'intérêt pour le parcours du héros, tellement lourd dans le côté symbolique (ne te perd pas dans le cinéma, pense à tes proches, mec, la vie c'est du réel, ce genre d'aphorisme). Après c'est bien filmé, la photographie est sublime, on sent le côté Edward Hopper... mais ça sent trop la naphtaline pour moi. Je me suis un peu, beaucoup ennuyé. 2/6
Luna Park de Pavel Louguine (Russie) Voilà bien un film barré et bien nineties, avec son scénario improbable entre Lelouch et Kusturica. La scène d’ouverture est incroyable,dix minutes de folie furieuse avec des skinheads qui fracassent des bikers. La suite est moins « réjouissante » avec des personnages improbables (la mère mi pute, mi clown ; le père mi artiste, mi loser), son ambiguïté (pas bien compris la fixette sur les juifs, je trouve le film moyennement clair là-dessus), mais aussi un regard assez hallucinant sur la Russie des années 90, un grand Luna Park assez improbable… L’hystérie au cinéma c’est moyennement ma came mais je dois reconnaitre au film son originalité. 3/6
Olli Mäki de Juho Kuosmanen (Finlande) J'en attendais peut-être trop. Film de boxe original, avec un beau noir et blanc, Olli Mäki a dû mal à tenir les quinze rounds (c'est un premier long, aussi), tant les enjeux sont fixés très très tôt et que le héros manque singulièrement de charisme (c'est un peu voulu). Reste donc l'originalité du ton, le charme de l'intrigue (et de la jeune actrice). 3/6
Few of Us de Sharunas Bartas (Lituanie) En route pour la joie avec ce film de Charnues Bartas sans dialogue sur une ethnie turque perdue en Sibérie. C’est plastiquement sublime, comme un Dersou Ouzala sans intrigue balayé par le vent, avec une caméra qui s’attarde longuement sur les visages. Le scénario est minimaliste avec une jeune femme qui débarque au milieu de nulle part, sans aucun indice sur son passé… Curieusement, c’est justement quand le récit s’éclaire que le film perd de sa force. Mais c’est une vraie expérience de slow-cinéma, avec des plans impressionnantes de ciel et de taïga. 4/6
Les Conséquences de l’amour de Paolo Sorrentino (Italie) Ah l’ami Sorrentino dont j'ai vu tous les films. On le retrouve ici avec l’itinéraire d’un vieux monsieur confiné dans une chambre de Lugano et qui tombe sous le charme d’une divine créature italienne. Et tous les tics de son cinéma sont convoqués: aphorisme sur l’amour et les femmes, mise en scène clinquante avec de la musique à tomber, humour cassant et misanthropie. Mais ça se regarde tout de même avec un certain plaisir, c’est même l’un de ses meilleurs à mes yeux avec la Grande Bellezza, peut-être grâce à Toni Servillo mais aussi pour son côté "grotesque". 4/6
Ce cher mois d’août de Miguel Gomes (Portugal) Oh le beau film d'été. A la sortie de la projection du Journal de Tûoa, j'ai écouté d'une oreille la conversation de deux critiques qui expliquaient que Miguel Gomes refaisait en moins bien Ce Cher Mois d'août. Et bien ils avaient en partie raison. J'ai bien aimé son dernier mais c'est "petit" en comparaison avec celui-ci, enchantement poétique et narratif qui séduira aussi bien les amoureux de Tony Carreira que les conquis par A l'abordage dont il partage la même fraicheur. 5/6
Asie (3) Zegen de Shohei Imamura (Japon) Shohei Imamura est l'un des mes réalisateurs fétiches et je trouve que son oeuvre n'est pas assez reconnue - deux Palmes d'or, ok, mais son nom est-il connu des jeunes cinéphiles ? Bref... Zegen, le seigneur des bordels (quel titre !), en compétition lors du Festival de Cannes 1987, n'est pas son film le plus accessible - il faut connaitre un peu l'histoire de l'asie du sud-est pour comprendre historiquement la situation -, c'est pourtant une fresque baroque d'une liberté insensée (il y a quand même une scène où le héros se fait sucer le dard par trois prostituées à ses ordres), presque une version nippone de OSS117, avec un héros qui va développer tout un business d'exploitation des femmes pour servir l'Empereur et surtout dealer avec sa propre morale. Toute la première partie est assez démente, le récit file à mille à l'heure, change sans cesse de ton, avec Ken Ogata parfait de veulerie premier degré. En son coeur, le film a plus de mal à trouver un second souffle mais Imamura parvient au-delà de la bouffonnerie à dresser le portrait d'un magnifique personnage féminin de maquerelle qui vieillit. 4/6
Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami (Iran) J'avais découvert ce film au cinéma, dès sa sortie après la Palme d'or et j'étais resté de marbre... Déjà car j'étais tombé amoureux de L'Anguille (un de mes films préférés all time) et que le jeune cinéphile que j'étais ne supportait pas l'idée d'une double Palme partagée avec mon chouchou. Ensuite le propos philosophique PauloCoelhesque à base de vie dont il faut savourer chaque instant m'avait un peu gavé... Bon, j'étais jeune ET con, le propos du film s'avère beaucoup plus profond et indécis que dans mon souvenir. Surtout le film est une leçon de mise en scène de chaque instant, ça transpire de partout la maitrise cinématographique et ça file à cent à l'heure (je dois reconnaitre que j'ai désormais une plus grande acceptation de la "lenteur" contemplative). 5/6
Good Men, Good Women de Hou Hsio-hsien (Taïwan) Film de transition de maître Hou qui mêle la fresque historique de la Cité des douleurs au cinéma contemporain sur la moderne solitude de Millenium Mambo, avec un scénario assez proche du Perfect Blue de Satoshi Kon (bon, j’exagère un peu). Le sens du projet m’échappe un peu mais comme toujours chez HHH certaines scènes impressionnent par leur puissance d’évocation - toute la partie historique, la scène de la chanson très lynchienne, la réconciliation sur la piste de danse. 4/6
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