Vu une première fois il y a longtemps au ciné-club de la 3, le film m’avait fait alors une forte impression. Sa redécouverte n’a fait qu’amplifier mon engouement.
Moonrise fait partie des derniers films parlants de Frank Borzage et constitue, de l’avis général, sa dernière grande réussite artistique.
Si je précise parlant, c’est que Borzage a d’abord été une gloire du cinéma muet, son nom étant aussi célèbre à l’époque que Stroheim ou Murnau par exemple.
D’ailleurs, on peut voir dans les toutes premières scènes du film comme un clin d’oeil du cinéaste au cinéma muet expressionniste allemand, son contemporain quand il a commencé sa carrière au cinéma. C’est en effet une succession de plans saisissants jouant avec les ombres et déformant les perspectives qui pointent les origines du drame pour le personnage principal (Daniel) : une pendaison, celle de son père, après sa naissance, mort infamante dont il paiera le prix (les brimades de ses camarades) toute sa jeunesse. Autant dire que Daniel devenu adulte ne sera pas le plus décontracté des hommes, d’autant moins que le film est à peine commencé qu’il tue son principal harceleur au cours d’une rixe dont une fille est la cause.
Il est dès lors persuadé d’être maudit, d’être contaminé par un sang mauvais, qui l’éloigne des hommes comme un pestiféré. Il faudra toute la patience et la compréhension des autres, sa petite amie, un shérif bienveillant et philosophe, son ami et confident Mose ainsi que sa grand-mère pour le ramener à bon port
J’ai été étonné de lire la réserve émise par Tavernier et Coursodon dans leur dico à propos du film : «
le déterminisme comme la fatalité qui imprègnent tout le film laissent une sensation pénible ».
Mais précisément ce qui est beau, c’est que ce «
déterminisme », cette «
fatalité » inhérente au genre auquel se rattache Moonrise, disons le film noir psychanalytique, Borzage les tempère par son humanisme. Pour lui, Il n’y a pas de criminel né comme il n’y pas de mauvais sang, le sang c’est ce qui permet de vivre, comme le dit Mose à Daniel, pas ce qui vous détermine à agir.
La solitude est une aliénation, l’homme doit la briser pour se retrouver lui-même, c’est cette vérité que le film martèle.
Parmi toutes les figures qui gravitent autour de Daniel, il convient de reparler du personnage de Mose. C’est un grand gaillard noir qui vit retiré de la société avec ses chiens, à la parole sage et apaisante (on dit de lui qu’il a lu tous les livres). Si on peut regretter que les raisons qui ont fait de lui un ermite (des actes racistes) aient été gommées du livre au film, il faut savoir gré au scénariste Charles F. Haas d’avoir écrit pour un acteur noir, Rex Ingram, un aussi beau rôle. De même, saluons le travail de Borzage qui a dirigé l’acteur à l’instar de ses autres comédiens, avec sensibilité, ce qui nous évite une interprétation stéréotypée telle que celle qui était réservée habituellement aux acteurs de couleur dans les productions hollywoodiennes de l’époque. Hervé Dumont dans son bouquin consacré au réalisateur écrit «
ce personnage est un rôle en or, peut-être un des meilleurs jamais écrits pour un Afro américain au cinéma ». On ne peut qu’acquiescer.
Le film a été produit pas le studio Republic, un nain comparé aux autres grandes compagnies, avec un budget limité. Cela se voit à l’écran : les acteurs sont très peu connus, tout a été filmé en studio… Et pourtant, ça n’empêche pas Borzage d’être au sommet de son art. La manière dont il exploite chaque décor, chaque accessoire pour en extraire la vérité psychologique du personnage est juste admirable (ex : la séquence de la chasse au raton laveur).
A tort ou à raison, il y a deux films auxquels j’ai pensé en voyant Moonrise :
L’aurore de Murnau. Le film aurait pu d’ailleurs s’intituler comme cela puisqu’il se termine sur le spectacle d’une aurore. Et
La nuit du chasseur de Laughton, notamment en raison de la figure de l’orphelin dont le père a été pendu, présente dans les deux films.
Le film de Borzage ne vole pas loin de ces deux sommets cinématographiques, selon moi.