aka صوت هند رجب
29 janvier 2024. Les bénévoles du Croissant-Rouge reçoivent un appel d'urgence. Une fillette de six ans est piégée dans une voiture sous les tirs à Gaza et implore qu'on vienne la secourir. Tout en essayant de la garder en ligne, ils font tout leur possible pour lui envoyer une ambulance. Je ne sais pas vraiment quoi penser du film.
Ça dépend un peu par quel bout je le prends.
Dès le départ, il y a un problème éthique qui m'interpelle. Quand bien même la réalisatrice s'est assurée d'avoir l'autorisation de la mère de la petite fille pour utiliser dans le film les enregistrements des services d'urgence et donc de faire entendre, dans une reconstitution de fiction (qui va jusqu'à imaginer des décors plus cinégéniques que dans la réalité, à base de baies vitrées, on est quelque part entre les deux versions de
The Guilty en fait), la vraie voix de la gamine, ça me questionne. Il est évident que c'est le projet de Ben Hania, comme en témoigne le titre et, sans l'avoir vu, j'étais déjà averti du mélange entre fiction et documentaire de son précédent film (où les filles parties en Syrie sont jouées par des actrices mais leurs sœurs et la mère sont les personnes réelles), mais je n'arrive pas à savoir si c'est malhonnête ou indécent ou acceptable pour arriver à ses fins.
Après tout, je n'ai jamais estimé qu'il y avait des règles en cinéma, je trouve le travelling de
Kapo aussi justifié que la scène des douches de
La Liste de Schindler et même Gibson peut filmer le martyr de Christ de la façon la plus vulgaire possible si ça l'enchante. Je n'aurais pas été gêné s'il s'agissait d'un documentaire pur, avec donc les véritables enregistrements, alors pourquoi l'être par un film qui reconstruit tout ce qu'il y a autour en gardant cette éclat d'authenticité perçant au milieu, la voix de la tragédie, inaltérable, inévitable, nous forçant à l'entendre comme l'ont entendu les bénévoles du Croissant-Rouge?
Je ne crois pas à la "manipulation" au cinéma, du moins j'entends par là qu'elle ne me dérange pas et que le terme est mal choisi car toute mise en scène est manipulation. Libre à chacun de trouver les ficelles trop grosses, mais la porosité, même assumée - à la fin, les images d'un téléphone filmant les bénévoles montrent les vraies personnes en même temps que les acteurs dans une sorte de mise en abyme qui n'est pas au service du film à mon humble avis - ici m'interroge tout de même. Le flou affecte mon propre positionnement.
Parce que d'un pur point de vue cinématographique, le film est très efficace. L'écriture condense en moins de 90 minutes les presque trois heures durant lesquelles les répondants ont dû accompagner à distance cette pauvre enfant en l'écoutant et en lui parlant, aussi immobiles et impuissants qu'elle face à un protocole de sécurité à la fois aberrant et totalement logique et loin de tout héroïsme de cinéma (même si je suis étonné que personne n'avance comme argument que
"les pompiers n'attendent pas que le feu veuille bien s'écarter pour foncer au secours des gens prisonniers des flammes!" mais parce qu'on est pas dans un film hollywoodien sans doute). Et c'est proprement insoutenable. Alors mon minable calvaire de spectateur n'est évidemment pas comparable à celui des personnages et encore moins à celui de Hind Rajab mais, alors que je connaissais l'issue, j'ai vécu le suspense jusqu'au bout. On est dans du bon Greengrass quoi.
Après, bon bah, on est dans du Greengrass quoi. Je m'interroge donc également sur ce que le film raconte au-delà des faits, ce qu'il raconte de plus qu'une simple photo de corps d'enfant mort comme on en voit malheureusement défiler tous les jours depuis deux ans. Pourquoi
ce fait plutôt qu'un autre? Qu'est-ce que
cette histoire ou
ce traitement de cette histoire nous apporte, outre une indignation et une tristesse que je ressentais déjà au sujet du conflit avant d'entrer dans la salle et de voir ce film?
J'ai chialé hein, j'ai inévitablement imaginé ma fille coincé au milieu de six cadavres dans une bagnole qui m'appelle au secours pendant trois heures, c'est horrible et ça continue mais...quoi?
Je sais pas.