Synopsis : Catherine Sloper n'est ni très brillante ni très jolie et possède le charisme d'un poulpe. Mais elle est assise sur une fortune qui lui reviendra quand son papa, le bon docteur Sloper qui s'est fait à la force du poignet, cannera. C'est pourquoi celui-ci ne voit pas d'un très bon œil que Morris Townsend, un charmant va-nu-pieds, lui fasse la cour. Le regretté Martin Scorsese l'a dit et répété :
L'Héritière de Wyler est l'un de ses premiers chocs cinématographiques mais aussi une inspiration pour
Le Temps de l'innocence et son dernier apfelstrudel en date. On peut y retrouver effectivement à la fois l'attrait de gratter le vernis de la bonne société New-yorkaise du 19e siècle pour le premier, et, pour
Killers of the Flowers Moon, l’appât du gain comme moteur d'une idylle où on ne peut jamais juger totalement de la sincérité des protagonistes.
Le scénario est adapté par les auteurs la pièce éponyme, elle-même tirée d'un roman de Henry James,
Washington Square. Et Wyler tire au mieux parti de celle-ci. En premier lieu, il écope d'une distribution parfaite, à commencer par Olivia De Havilland qui joue sans maquillage une fille de vingt ans sa cadette et qui arrive à lui donner un côté flippant, au fur et à mesure que le piège se referme.
Wyler, cinéaste qui, à l'époque, a déjà une carrière bien touffue et qui a commencé par des westerns muets, adapte son sens du cadrage au positionnement social et aux us et coutumes des protagonistes. Qu'on soit loin ou près, qu'on s’assoit ou qu'on se lève, où qu'on se place dans le plan, un indice ou une révélation se fait soit sur le caractère soit sur les visées de chacun. Voir comment Morris demande à Catherine de se rapprocher de lui quand il joue du piano, et qu'elle se déplace à peine sur le canapé, pour qu'on pige le chemin à parcourir du bellâtre vers sa dot.
Il se sert aussi du décor gigantesque de la demeure de Washington Square où vivent les Sloper, qui apparaît au gré des scènes chaleureuse, prison dorée ou bien objet de convoitise (ah, cette balade dans le salon quand Morris prend enfin "possession des lieux" à son retour). Les escaliers sont évidemment mis à contribution : ils sont énormes et semblent n'en plus finir quand Catherine est abattue par les circonstances, et redeviennent plus étroits quand elle les gravit triomphalement.
Wyler a également suffisamment de bagage pour souffler le chaud et le froid dans chaque séquence. Catherine est-elle vraiment une cruche incapable de voir qu'elle se fait berner ? Pourquoi sa tante (Miriam Hopkins, aussi impeccable que chez Lubitsch) est-elle à ce point obsédée par l'idée qu'elle se case ? Est-ce qu'elle songe qu'il n'y a pas d'autre éventualité pour Catherine ? Ou bien souhaite-t-elle revivre son propre passé, elle qui ne fait que rappeler sans cesse son mariage à un pasteur, source inépuisable d'anecdotes et témoin de son absence d'indépendance (même financière, puisqu'on comprend bien que la famille dont elle ait issue avec le père, n'est pas au départ fortunée) ?
Et quelle tête tire donc Morris lorsqu’il apprend qu’il peut s’asseoir sur l’héritage du paternel alors qu’il vient de convaincre Catherine de se barrer se marier à l’improviste ? On ne le saura jamais car Wyler nous le montre de dos quand Catherine lui annonce la nouvelle.
Et le père... ah, ce père... à qui on ne la fait pas, et qui connaît tout des corps comme des esprits, mais qui ne sait absolument pas communiquer avec sa fille et finit par une repartie cinglante et cruelle sur ses capacités de séduction. Quelle séquence prodigieuse quand, après leur fâcherie (avec une utilisation astucieuse des miroirs, Wyler montre que Catherine ne lui jette même plus un regard) il s'ausculte lui-même et découvre un cœur à la fois brisé et malade.
Enfin, le film rend compte aussi en permanence d'une absence : celle de la mère, fantôme qui hante chaque pièce et chaque geste de ce couple père/fille survivant.
Dans une scène formidable, Wyler aménage tout son dispositif autour d'un portrait qui trône sur le bureau et qu'on ne peut distinguer : la sœur de Morris, conviée par le père de Catherine, est émerveillée par la beauté de la femme sur le portrait et déchante quand Catherine apparaît.
Même le noir et blanc du film est utilisée dans le sens d’un révélateur d’absence quand le père fait remarquer que le rouge de la robe que porte Catherine convenait mieux… à sa femme.
Car oui, avant tout, le film est cruel. Rarement, l'illusion romantique aura autant été passé au tamis de la réalité crasse et mercantile. Oui, Catherine n'a pas vraiment d’autre choix que de mettre en avant son pesant d'or, et oui, elle apprécie le fait qu'elle ait décroché un prétendant bien monté plutôt que fortuné. Et oui, elle l'a bien compris "Il m'aimera ! Il le doit ! Pour tous les autres qui ne m'ont pas aimée !"
Mais cette cruauté n'est pas sans intérêt ni but. Elle ne sert pas qu'à ricaner bêtement devant l'incapacité d'un père à savourer un café en terrasse de Paris dès que sa fille apparaît dans le champ. Elle est aussi là pour asseoir un final d
Il va sans dire que Wyler emballe tout ça en moins de deux heures et boucle le tout dans un plan impeccable,
sans se radiner avec un épilogue inutile où il montre sa trogne tel un Stan Lee pour péteux, ce qui est d'autant plus appréciable.
Bref, ça surbute grave.