un intérimaire dans la grande usine de sa petite ville met au point un système pour voler de manière industrielle les parfums qu'ils produisent.
vous vous souvenez de la vague de films post pulp fiction ? des films de jeunes réalisateurs, mettant en scène des histoires de voyous - ou au minimum de milieux interlopes, ou des gens pris dans de sales histoires - , avec un style tape à l'oeil, une bo jukebox... ça a donné des trucs chouettes qui ont lancé de belles carrières (go ou même boogie nights), guy ritchie lui doit sa carrière, et même en france graham guit ou bernie bonvoisin ont tenté le coup. pour être francs, les influences du scorsese des affranchis et de casino et des histoires d'elmore leonard étaient aussi déterminantes.
eh bah cash, c'est un film hibernatus - un scénario qui aurait pu être écrit à l'époque et a juste été ressorti d'un disque dur externe retrouvé dans un déménagement - et je vois très bien comment ça serait sorti pour la fête du cinéma en 2000 et aurait floppé malgré sa programmation à l'ugc george v et à l'orient express. ou, bien plus probablement, l’œuvre d'un mec qui a grandi avec ça, a rêvé de ce cinéma et s'est lancé à le faire 30 ans plus tard même si c'est totalement passé de mode.
moi je trouve les modes de films très aléatoires, je n'aime pas la manière dont certains trucs chouettes tombent en désuétude sans vraie raison, alors c'est clairement cet aspect là qui m'a le plus plu - y compris dans son aspect vieilli et fatigué, parce que vraiment la voix off à la scorsese c'est usé jusqu'à la corde mais ça a quand même son petit charme rétro. sachant que l'imitation stylistique n'est pas totale - et c'est dur de déterminer si c'est volontaire ou si c'est une faiblesse. c'est à dire que la mise en scène n'est pas particulièrement virtuose ni tape à l'oeil du tout (genre il n'y a pas d'arret sur image avec le nom des personnages qui apparait à l'écran un peu de travers, ni même de plan séquence au steadycam dans un lieu où se multiplient les activités délictuelles), il n'y a pas de mots d'auteurs (c'est pas drôle du tout), de personnage vulgaire, il n'y a aucun effort de fait sur la stylisation des décors, on est dans une usine basique, dans des maisons aux murs blancs, la photo est totalement plate - tout bien éclairé sans contraste ni rien... on peut le prendre au choix comme un téléfilm en cinemascope ou comme un guy ritchie à la mode france 2. d'un côté, ça l'émancipe de ses influences 90s, d'un autre comme ça n'est remplacé par rien de particulier ça donne un film sans style et sans brio - qu'il soit ostentatoire ou discret. là dessus, ça se passe à chartres et c'est clairement le deuxième point fort : moi qui suis persuadé qu'il faut filmer chaque coin et recoin de france ça fait plaisir de voir ce genre d'endroits, et c'est rigolo de voir ces influences de cinéma dans un recoin aussi improbable. mais ce ne sont pas forcément des endroits qui tapent à l'écran et aucun effort n'est fait pour que ce soit le cas.
l'autre point marquant est évidemment la présence de raphaël quenard, en pleine obsession collective. c'est assez intéressant parce qu'il fait du raphaël quenard mais de manière relativement contenue. on peut le voir comme on veut : soit il permet de donner une petite touche marrante à un personnage qui aurait sans ça aucune sorte de personnalité ni d'intéret (ses seuls bons dialogues sont d'ailleurs ceux qu'il a manifestement écrit lui même), soit ça démontre que s'il n'a pas totalement les mains libres il ne permet pas de transcender quoi que ce soit. j'ai plutôt apprecié de le voir face à agathe rousselle, l'impression heureuse de voir la prochaine génération d'acteurs français à l'heure où celle d'adèle e tahar rahim léa seydoux etc commence à me sortir par les trous de nez et que la suivante tarde à émerger. et c'est assez marrant parce que vu le lieu du film, son histoire, son personnage ça pourrait être une suite mainstream de chien de la casse, vraiment le même personnage écrit pour être contenu dans ses nouvelles aventures.
là dessus...
la ligne éditoriale de netflix france est un mystère. ils doivent recevoir tous les projets vaguement hors des clous qui se développent en france. pourquoi des trucs aussi randoms, tout le temps ? pourquoi l'absence de films d'horreur ? pourquoi, quitte à faire des thrillers erotiques ou des comédies romantiques, choisir des trucs nullissimes ? pourquoi cette obsession maladive avec la criminalité de banlieue ? et c'est bien ce dernier point qui est, encore une fois, marquant. netflix, ce sont les gens qui d'un côté sont engagés dans l'amour universel de l'humanité et le bien avec les 9 intimacy coordinator pour régler un bisou, avec les tétons créés par ordinateur, avec les cléopatre noires et que sais-je encore. et d'un autre côté, cette complaisance sans fin avec les serial killers, les trafiquants de drogue, les gourous psychopathes et pédophiles. ça pourrait être une spécificité de la production us, avec leur conception de la liberté d'expression qui fait que toutes les paroles se valent et la culture ultra putassière de leur production télé. sauf qu'on retrouve ça en france - avec une absence de sens moral dans ce que l'on filme qui me heurte. ça me met dans une position d'autant plus désagréable que je suis bien persuadé que l'art doit explorer les zones d'ombres de l'humanité, que il n'y a pas a pas de brevet moral à décerner à une oeuvre, etc... mais enfin, une fois encore, on filme des voleurs et des escrocs en totale empathie avec eux, le film est fasciné et amusé par le vol à grande échelle, de la petite à la grande escroquerie en passant par le braquage. son approche "morale" se veut anti capitaliste - en gros, on se lance dans le grand banditisme parce que c'est une revanche sur l'injustice capitaliste. (tout en étant soit même un crevard capitaliste hein, le but c'est pas de le renverser c'est juste d'en profiter à bloc et de devenir un grand patron spoliateur à son tour). sauf que c'est quand même une approche un peu facile des problèmes du monde, et que se pose à mon sens la question des valeurs collectives qu'on véhicule en diffusant ça de manière industrielle à un jeune public qui le regarde seul devant son ordi sur cette plateforme - et le fait est que c'était exactement la mentalité derrière les pillages qu'on a connu récemment, dont je pense qu'une bonne partie des auteurs sont abonnés, ou en tout cas se partagent des comptes. et je ne doute pas que ça corresponde à la manière dont netflix se vit - un braquage contre le capital établi pour finir par adopter et amplifier toutes les horreurs du système qu'on a attaqué mais on s'en fout puisque maintenant c'est nous qui en profitons. mais je n'ai vraiment aucune sorte de passion pour tout ça, pour ne pas dire une franche hostilité. c'est une règle basique des arts narratifs qu'on s'intéresse principalement à ce à quoi on s'identifie d'une manière ou d'une autre, et si vous n'avez pas l'intention de devenir dealer ou braqueur ou escroc c'est parfois dur de se sentir concerné.
bref, si vous avez zappé le texte et vous arrivez juste sur ce dernier paragraphe pour avoir l'avis en 140 caractères : une proposition sympa de cinéma, qui bénéficie de raphaël quenard de chartres et de ses références à un cinéma disparu, mais totalement quelconque et oubliable à la seconde où c'est fini, et assez problématique moralement.
Dernière édition par FingersCrossed le 18 Juil 2023, 10:29, édité 1 fois.
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