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MessagePosté: 12 Juil 2023, 22:40 
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Fin du 19ème, à Genève et à Rome. Frederick Winterbourne est un étudiant issu de la très bonne société américaine faisant son grand tour, probablement pour achever un doctorat de philologie ou d'histoire de l'art.
Il rencontre via le petit frère insupportable (mais psychologiquement incisif) de celle-ci, la très belle Daisy Miller, ainsi que leur mère, un peu névrosée et perdue, plutôt sympathique.
Venus d'une famille de parvenus, les Miller sont au seuil de la bourgeoisie expatriée, dont il méconnaissent (ou ne comprennent pas) l'étiquette, et chaque invitation ou soirée dissimule mal une mise à l'épreuve potentielle.
Daisy est espiègle et délurée, et se lance dans un jeu d'avances et de rebuffades envers Frederick, plutôt par malice que par cruauté. Elle entretient par ailleurs une relation, superficielle mais tapageuse, avec un bellâtre italien plus agé. Daisy Miller est très mal vue, en particulier de la tante et l'ex-maîtresse de Frederick, qui la surveillent pour mieux l'accabler de ragots. Frederick adopte une attitude ambiguë: il défend Daisy en son absence, au sein de son propre milieu, mais exerce envers elle une attitude de protecteur sévère, jouant en fait un rôle de père incestueux (et jaloux) que Daisy Miller devine de loin. On dirait que, du fait de la morale étriquée de son milieu, Frederick cesse de la désirer et s'identifie à sa liberté, dont il jouit par procuration, plutôt qu'à elle.


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Le film m'intriguait depuis longtemps, et le livre récent de Tarantino (Cinema Speculations) qui lui consacre un chapitre m'a encouragé à franchir le pas. Je l'ai apprécié, plus que le Temps de l'Innocence de Scorsese (dont l'histoire est proche) : plus élégant, plus précis, plus rapide (1h27 et pas une scène de trop, cela va même presque trop vite). Le film est très classique, c'est du James Ivory hétéro, mais la caméra est nerveuse et dynamique (notamment les plans complexe autour des carrosses, avec des cadres dans le cadre assortis de changements d'axes compliqués où un mouvement brusque casse le cadre et s'arrête souvent sur Daisy qui tente de résister à l'écoulement de la scène vers un point de fuite).
Tarantino axe sa critique sur la prestation de l'acteur qui joue Frederick, Barry Brown, en effet excellent, mais qui malheureusement s'est suicidé à 27 ans (c'était par ailleurs un historien du cinéma de genre, sorte de Christopher Gans américain).
Il est vrai qu'il a un style bien particulier, difficile à rattacher à un autre acteur, à la fois raffiné et modeste, rappellant à la fois Al Pacino et John Cazale. Malheureusement, il est symétriquement assez injuste (comme beaucoup) envers Cybill Shepherd (d'une manière générale, il est très sévère envers les actrices, particulièrement quand elles furent les compagnes des réalisateurs - mes respects à Zoé Bell) que j'ai trouvée elle-aussi très bonne, et il escamote ainsi tout l'aspect féministe du film. Les regards-caméras de Shepherd sont géniaux, elle n'a que ce biais que pour indiquer qu'elle est consciente à la fois du tragique de la liberté sexuelle, et d'être un spectacle, à la fois devancée et enviée par le regard du spectateur (Frederick la considère elle-même comme un personnage, dont la légitimité des motifs est évaluée, qui peut-être désiré mais sans éprouver de passions, c'est un critique bienveillant, pas un amant).

Il est vrai que si l'on se base sur le film, le féminisme est présent dans la nouvelle de James nmais n'est pas, pour autant, une thématique autonome : il se confond avec une sorte de doute que la bourgeoise américaine entretient envers ses valeurs et ses goûts, avec le risque du nihilisme et de l'abandon. L'éruditition de Frederick (familier avec Byron et Hugo) est à la fois une valeur pour lui-même, et un signe pour son milieu : celui d'une vieille réussite économique, bienveillante mais distante envers les richesses plus récentes, dominante mais allergique envers toute notion de concurrence, pondérée mais aussi tenaillée par une jalousie qu'elle comprend mal. Ainsi, cruellement, après la mort de Daisy, il semble sincèrement étonné par ce que sa tante lui révèle : Daisy le désirait et il n'a jamais répondu, parce qu'il aurait été l'occasion indirecte d'une promotion sociale qui pour lui n'avait plus aucun sens. Lui-même ignorait qu'il avait le droit de désirer une personne socialement dévaluée, que cela serait passé pour une forme de puissance et de pouvoir.
Cela m'a fort touché, n'étant pas indemne des ambiguïtés masculines que montre Bogdanovich, vis-à-vis de femmes qui ont eu un peu le même tempérament que Daisy Miller.

L'enjeu général du film est bien-sur de revenir dans le passé pour montrer la part tragique , légitime mais risquée, de la libération sexuelle contemporaine.

Le passage le plus marquant du film est sans doute la visite et la scène de drague dans le Château de Chillon. Bogdnovich trouve un rythme et un ton que je n'ai pas vu ailleurs, même si la situation est codée et convenue (on peut penser Aux Deux Anglaises et Adèle H. de Truffaut, dont le film est esthétiquement proche). Le couple congédie un vieux guide suisse, qui balbutie ses explications historiques dans un anglais si rudimentaire qu'il commence à les agacer et à les distraire de la parade érotique. Peter Bogdanovich fait durer le plan après la sortie couple, du plan et montre le guide retournant dans un petit local, muet et profondément mortifié d'avoir été évincé grossièrement. Le désarroi et la honte d'être inutile le transforment malgré lui en passeur de l'Achéron, au seuil de la mort de l'autre : on lui demande d'à la fois regarder et d'attendre, ce qui lui est insupportable. C'est une représentation immédiate du jeu des classes sociales, par le seul fait de figurer dans le passé une déception massivement transhistorique et silencieuse : la solitude à laquelle la société nous contraint, dès lors qu'elle perçoit et consomme totalement le sens que notre existence a pour elle.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 13 Juil 2023, 11:21 
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(+ Les Trois Couronnes du Matelot de Raoul Ruiz ont sans doute été rêvées à partir de ce film - le plan qui capte le nom de l'hôtel de Vevey comme un hiéroglyphe nocturne et végétal est très ruizien, comme certains autres éléments du film - les dents de Randolph notamment, l'agonie de Daisy où elle est déjà invisible, ou encore le fait que l'on ignore les activités de Bobby Browne durant les ellipses)

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