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MessagePosté: 23 Oct 2017, 00:22 
Dans le grand jardin du sanatorium, Eve se repose avec son mari Joseph sur une méridienne, attendant patiemment le facteur et son courrier. Arrive l'étrange "Monsieur Robert", avec sa bicyclette, son costume de velour couleur daim et sa barbe de marin. Il connaît d'autres espaces, d'autres lieux, notamment une rivière et une carrière. Il entreprend de séduire Eve. Il s'agît peut-être du "tueur de femmes blondes" dont les journaux parlent. Mais Eve est brune, les choses ne vont pas forcément se répéter selon l'ordre existant.

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Adaptation-transposition de la Genèse par Věra Chytilová et Ester Krumbachová. Sortie deux ou trois ans après les Petites Marguerites , juste après le Printemps de Prague. Le film fut montré à Cannes en 1969, puis Chytilová ne put plus tourner pendant une dizaine d'année.
Film intrigant et déroutant, à la foix singulier, vernaculaire, et en résonnance avec la modernité de l'époque. Il ressemble une version à la fois ludique, plus hermétique, et finalement plus tragique de "Détruire dit-elle" de Duras, jusque dans les lieux, un hôtel ou sanatoriumm Belle-Epoque irréel, fantasmé, assez provocant politiquement dans le contexte tchèque, mais annonce aussi des productions plus récentes comme le cinéma de Greenaway. Hélène Cattet et Bruno Forzani ont dû le voir, car des séquences de "l'Etrange couleur des Larrmes de ton corps" utilsent le même procédé de rotoscopie, la même manière de représenter le mouvement d'un corps de femme...les deux films sont thématiquement assez proche, avec l'idée d'un assassin introuvable, qui diffère perpétuellement son acte et s'annule lui-même, laissant la femme seule dans l'écart entre innocence et ignorance ...
on peut aussi penser à une version féminine de Jodorowski, plus secrète.

Je dois dire que le film m'a au début agacé, par son formalisme (je tenais le coup grâche à la superbe musique de Zdeněk Liška, intégrée aux rythmes du montage, quasi-ambiant, entre Brian Eno et Pierre Henry. Mais il m'a progressivement semblé de plus en plus passionnant, transformant une atmosphère de bombonnière sophistiquée, et un humour régressif en une fable philosophique épurée, et poignante, sans rien perdre de sa sensualité.

Eve est prise seule dans la différence entre innocence (perdue) et ignorance (malheureusement toujours menaçante, même pas conjurée par le chute), mais dans cet écat le discours solipsiste du désir sexuel aboutit finalement, est paradoxalement assouvi. Il "reboote" dans une demande adressée au mari "ne cherche pas la vérité" au moment où la pomme lui est tendue, qui est la première fois qu'elle dit "tu". L'ouverture à l'altérité étant une sorte de recommencement d'un discours (à la fois érotique et scientifique) qu'il a fallu laisser s'épuiser, laisser mourir.

Le film devait être triplemenent subversif dans le contexte de la Tchécoslovaquie de 1969 :

- les lieux du Paradis perdu sont figurés dans un palais bourgeois de style Napoléon III ou Beidermeyer, un lieu fantasmatique qui en correspond à aucun ancrage sociplogique précis, mais qui touche immédiatement l'imaginaire du spectateur .

- le paradis est montré comme un lieu où innocence et ignorance sont d'abord confondues, puis qui finissent pas s'exclure mutuellement, et cela de façon inévitable. Il y a à la fois une différence radicale entre ce qui relève d'un désir (celui d'Eve de connaître, au prix de la salissure) et d'un programme (le mari Joseph, veut différer le départ d'Eve et sa recherche de Robert, l'amant-serpent, d'ailleurs assez récalcitrant et hésitant, en lui offrant une sécurité matériellement équivalente au savoir), mais aussi, ce qui est plus troublant et politiquement signifiant, une ressemblance momentanée. Joseph le mari et Robert le serpent, fraternisent temporairement, ont tous deux la même peur vis-à-vis d'Eve, et posent les mêms gestes, sont pareillement extérieurs à la féminité. Cette ressemblance d'Adam avec le serpent et aussi une sorte de court-circuit religieux et historique, qui fait qu'Adam est renommé Joseph, le père du Christ : dans cette peur sa descendance est d'emblée du discours, d'emblée ce qui va énoncer l'enjeu d'un salut sans se sauver lui-même, ou bien être sauvé à la place des hommes).

- les images de l'utopie politique (qui est aussi une dystopie, mais de façon souterraine) , "idéologiques", sont complètement identifiées avec celle de l'imaginaire érotique individuel : la déception y est pareillement inévitable et pourtant cachée, comme un objet qu'il s'agit bizarrement de trouver et d'interprêter, dans cette similitude, cette adhérence des mots au sexe la politique devient un rapport herméneutique à une déception.

Enfin le film est un remarquable travail à quatre, outre Chytilová et Krumbachová, le chef-opérateur Jaroslav Kučera (le mari de Chytilová) a été associé à la composition des plans du films , tout comme Zdeněk Liška (dans le livret, Jaroslav Kučera compare la manière capitaliste de faire un film, en partant du scénario et en rajoutant la réalsiation et la photographie puis la musique comme les couches d'une pièce montée, avec cette approche, dans un référentiel qui, il est vrai, est plus pictural que narratif ou littéraire).


Vraiment un film à voir, même si je comprends qu'il puisse rebuter et être classé comme formaliste (surtout dans un contexte français, ou la Nouvelle Vague est plus inspirée par le roman que par la peinture, contrairement à l'aile expérimentale de la NV tchèque ), les interviews de Chytilová dans le livret -passionant - du DVD Malavida, faites en 1967, montrent qu'elle et Ester Krumbachová sont bien conscientes du miracle de l'année 1967 où le film a été conçu dans un régime de production qui n'était ni capitaliste, ni socialiste, et qui était son seul écosystème, mais aussi du fait que cela va très vite se terminer, et plutôt mal. Le livret (écrit par Antonin Liehm) mentionne ainsi de façon intéressante que les autorités tchèques recherchaient des coopération internationales avec l'ouest (ce film a été co-produit en Belgique) justement pour censurer ou en tout cas "neutraliser"la Nouvelle Vague nationale (les filières de production étaient beaucoup plus développées que celles de distribution, mais externalisées et faciles à liquider).

Enfin, il s'agit d'un grand film féministe, en lutte.


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