Alors qu'un projet de construction menace leur terrain de baseball adoré, deux équipes amatrices d'une petite ville de la Nouvelle-Angleterre s'affrontent pour la dernière fois. Face à cet avenir incertain les tensions et les rires s'exacerbent, annonçant la fin d'une ère de camaraderie.Impossible de ne pas mettre Eephus en perspective de l'autre film de la boite de prod de Tyler Taormina également en compétition à la Quinzaine cette année,
Christmas Eve in Miller's Point, dont Carson Lund est le directeur de la photo, tant les ponts entre les deux films semblent évident. Le même terreau de l'Americana déjà, au travers du prisme d'une adolescence des années 80-90 chez Taormina déjà à l’œuvre dans son précédent
Ham on Rye, mais surtout une même ambition formelle, une sorte de refus de la dramatisation où tous les protagonistes seraient traités sur un même pied d'égalité. Et à ce petit jeu je trouve que Carson Lund s'en sort tout de même mieux que son producteur. Chez Taormina cela se retranscrit par des bulles temporelles nostalgiques, des souvenirs d'une époque révolue assemblés tant bien que mal à la recherche d'un tout qui tâtonne parfois pour atteindre à une certaine homogénéité (ou plutôt, qui peine pendant trop longtemps à soulever un intérêt suffisant). Ajouté à cela que chez Taormina il y a un fond arty qui a un peu tendance à polluer et annihiler l'ambition première.
Aucun soucis de cet ordre dans Eephus qui combine unité de lieu et unité de temps et est dépourvu de toute afféterie de mise en scène. Deux équipes de baseball amateurs et vieillissantes, deux arbitres, une poignée de spectateurs (dont certains comme moi qui ne comprennent pas grand chose aux règles), une partie pour durer jusqu'au milieu de la nuit. Ça n'est certes pas par la qualité du jeu pratiqué que l'on est happé, entre balles molles et coups de batte foirés, on est vraiment dans un équivalent du match de foot de vétérans du dimanche matin tels qu'ils se pratiquent chez nous. Et c'est ce qui fait toute la beauté du film. J'ai lu (je ne sais plus où) qu'avec ce film Carson Lund avait réalisé l'un des meilleurs films sur le sport. Oui, mais pas sur le sport tel qu'on l'entend habituellement, non pas dans sa capacité à capter ce qui en fait la beauté particulière, le beau geste ou la tension, mais plutôt sur ce qui anime le monsieur tout le monde qui lui aussi se pique, chaque week-end, avec son talent et ses capacités limités, d'en découdre avec son équivalent du village voisin, et met un point d'honneur, tout autant que n'importe quel sportif professionnel, à remporter le match. Mention spéciale évidemment au plus beau personnage du film, ce spectateur qui n'aura raté aucune des confrontations entre ces deux équipes, aura relevé soigneusement chaque score avec la profusion de détails que seul le base-ball est à même de générer au cours d'une partie, jusqu'à se voir promu, honneur ultime, arbitre pour la fin du match. Il faut le voir partir, fauteuil et calepin sous le bras une fois le match terminé, un tour d'honneur inespéré auquel sa carrière de spectateur assidu mais lambda ne l'avait pas préparé, d'une humilité particulièrement touchante.
Si ce n'était que cela le film serait déjà une belle réussite. Mais Carson Lund va au-delà, s'inscrivant pleinement dans la ligne directrice d'Omnes Films, et parvient à nous faire ressentir la nostalgie qui habitent ces joueurs du dimanche, pas seulement parce que les circonstances font qu'il s'agira là de leur dernier match, mais sur ce que sont ces circonstances elles-mêmes, une reconfiguration du territoire états-uniens. Cela passe parfois par quelques clins d’œils furtifs (les joueurs de football sur le terrain d'à côté, dont on voit qu'ils sont nettement plus jeunes que nos joueurs de base-ball bedonnant) mais surtout dans les discussions sur le banc, où l'on se lamente en particulier du
college qui va se construire sur leur terrain et de la trop grande distance qui séparera leur ville de l'autre terrain de base-ball le plus proche. On image sans mal qu'au sein de ses deux équipes il y ait autant de personnes qui votent Démocrates que Républicains, sans que cela influe aucunement sur la jovialité qui règne durant cette confrontation, une bulle temporelle où les différences s'estompent et où seul le plaisir de faire perdurer leur communauté l'emporte. Dans le fond pas si loin du sentiment que l'on pourrait retrouver dans bon nombre de western.