Way Down East en VO.
Une jeune fille modeste, Anna Moore, est abusée par un don juan de province, Lennox Sanderson, qui l'abandonne. Bientôt orpheline, elle accouche d'un enfant...Je me l'étais gardé au chaud, le mélo muet ultime, et quelque part je comprends pourquoi il a cette réputation. L'art de Griffith est à incandescence, ça n'a jamais été aussi élégant, aussi affuté. On le sent débordant d'assurance, enchaînant les scènes courtes à la volée, passant sans cesse sur la façon dont il conviendrait de découper, fonçant à présent droit sur ce qui l'intéresse. Tout est plus fin que d'habitude, notamment les seconds rôles non-comiques excellents, qui feraient presque ressortir les mimiques de Lilian Gish (qui se rattrape sans problèmes sur ses grands moments - notamment la rupture, qui est sans doute sa meilleure scène de tout ce que j'ai pu voir d'elle).
C'est étrange que ce soit justement au moment où Griffith approche de si près l'essence, cette épure qui traverse sa filmo, qu'il lourde son film d'un comique pas drôle et envahissant. Sérieusement, c'est facile un tiers du film à regarder trois persos secondaires faire des pitreries de vieux ! Même au-delà du comique raté (qui infecte jusqu'à l'épilogue), c'est dingue de le voir sous-exploiter à ce point sa veine romantique, qui n'a jamais été aussi parfaitement incarnée (le jeune acteur, idéal et rayonnant, n'a même pas le temps de prendre ses marques dans le récit), goinfrant son film de passages émotionnellement plats. On pourra jauger que c'est une question de goût, que Griffith ne lâche jamais son film une seconde - et c'est vrai -, mais cette façon de détourner constamment le regard de ce qui manifestement l'émeut est plus que frustrant : c'est carrément contradictoire avec tout ce qu'a été jusqu'ici son cinéma.
Il y a une telle impression de contrition que lorsque le final débute enfin, il donne l'impression de grandes vannes qui s'ouvrent pour déverser toute la violence jusqu'ici contenue, le film se payant dix minutes hallucinées qui amènent au point ultime l'obsession communicative (et puritaine sans doute - qu'importe !) d'une pureté vénérée. Comme on rejouerait ce qu'a subi le fils, Griffith déchaîne un sauvetage hurlant, plongeant Lilian Gish dans les glaces mortelles pour lui rendre son innocence virginale, pour effacer la trace du mauvais enfant. Cette violence lyrique et primale, qui s'accorde à une violence réelle (certains plans attestent très clairement que le tournage a risqué à la vie de ses acteurs bien au-delà du raisonnable) arracherait presque à elle seule la victoire du film. Ça pourrait être le summum de la carrière de Griffith, vraiment : tout est là. Mais le film s'est trop empesé en route pour s'imposer complètement.
Des scènes sublimes plein les yeux, que je prendrai plaisir à revoir seules je pense. Mais ça aurait pu être tellement parfait ! A revoir peut-être, je n'écarte pas l'idée de m'être trop préparé à ce que j'avais envie d'y voir...