Attention Karloff, faute à Jarmusch dans le titre du topic.
Personne n'est allé s'y frotter, du coup ?
Côté pile, c'est un film extrêmement séduisant, happant, qui immerge immédiatement dans son univers romantique et délétère - et, accessoirement, le premier Jarmusch qui ne m'ait absolument pas emmerdé. La métaphore sang / drogue a beau n'être pas neuve, il est assez frappant de voir combien le vampirisme est l'image idéale pour parler du milieu underground, de son dandysme passéiste, dépressif et lettré. Jarmusch cultive toutes les facettes de cette imagerie, notamment via l'imagerie des villes ensorcelées (un Détroit abandonné de fin du monde, un Tanger encore un pied rêveur dans les siècles passés), et sa plus grande victoire est peut-être, avec l'arrivée du personnage de Mia Wasikowska, de nous faire regretter la "pureté" (c'est vraiment le mot) de sa première partie, quand ce duo racé ne se mêlait pas à la trivialité du reste du monde. C'est son exploit : il nous rend, malgré nous, élitiste. Une image, fulgurante, celle du couple au lit, énonce clairement ce fantasme aux résonances eugénistes : celui d'être supérieurs, beaux et froids dans leur perfection glacée.
Côté face, c'est la pilule qui est très dure à avaler : c'est quand même un film d'un mépris incroyable. Prenant la pose jusque dans le snobisme hipster des références (Tesla, Marlowe... impression embarrassée de voir Rose vantant audacieusement les mérites de Picasso dans
Titanic), renvoyant toute la plèbe indigne de cet art de vivre au qualificatif si révélateur de "zombie", faisant constamment la morale à ces pauvres humains (nous, son public) incapable de comprendre les grands enjeux de la vie et du monde, Jarmusch peint l'autoportrait le plus détestable qui soit. On croit un temps que c'est une peinture consciente, amusée de son propre ridicule de vieux crétin passéiste, mais non : le film est d'un sérieux imperturbable quand il en vient à faire étalage de sa culture. Paradoxe, l'humour vient se loger au plus mauvais endroit, dans une espèce de pose satisfaite qui s'amuse du monde plutôt que d'en épouser totalement la tragédie. Je pense à la fin, par exemple, pleine de potentielle, qui aurait pu être absolument sidérante :
et qui ne peut se départir de cette espèce de pose grossière, de ce dédain et de cet air de ne pas y toucher...
Bref, on avance dans le film à la fois fasciné et irrité par cette prétention sans pareille, tout le sel tenant évidemment au fait que les qualités séduisantes du film ne peuvent exister sans ses défauts. Il faut de toute façon reconnaître à Jarmusch d'avoir su créer un univers ultra-captivant, d'une cohérence folle, que le jeu racé et halluciné de Tilda Swinton cristallise à la perfection (elle domine tout le cast, elle aurait grave mérité un prix).