L'histoire de l'Exode racontée par Moïse, Aaron, l'ange de la mort, Jésus et le père de la réalisatrice. Mais il existe une autre perspective : celle de la Déesse, la divinité originelle de l'humanité, qui ressuscite au cours d'une lutte tragique contre les forces patriarcales.
A la sortie de Sita chante le blues, Nina Paley s’était fait taper sur les doigts par des voix l’accusant d’appropriation culturelle, lui demandant comment elle réagirait si on se moquait de sa propre culture. Il faut croire que la réalisatrice ait pris ces critiques au mot car 10 ans plus tard sortit dans un cadre encore plus libéral que Sita (directement sur le web en accès libre après une carrière en festival), Seder-Masochism, interrogeant la culture judaïque dont est issue sa famille.
On retrouve dans ce nouveau film plusieurs éléments déjà creusé dans Sita chante le blues : la relecture de mythe fondateurs, la mise en parallèle avec la vie personnelle de l’autrice, le détournement de chansons existantes (toujours sans payer les droits d’auteurs), l’interaction entre documentaire et animation ainsi que l’expérimentation visuelle notamment avec une impressionnante séquence d’animation de broderie.
Comme pour son précédent long-métrage Seder-Masochism suit également plusieurs intrigues entremêlées. Le fil narratif s’articule autour d’un enregistrement éducatif datant des années 50, The Moishe Oysher expliquant les différents rituels du Seder de Pessah, la fête juive célébrant la sortie des hébreux hors d’Egypte, le tout raconté par un Jésus de La Cène de Juan de Juan animé façon Monthy Python. En parallèle nous suivons les différents épisodes de l’Exode en mode comédie musicale. Une troisième partie narre la création du Monde par ce qu’on pourrait appeler la Déesse-Mère avant qu’elle soit renversée par un Dieu masculin. Enfin une quatrième partie illustre une interview réelle par Nina Paley de son père Hiram, alors en phase terminale. Interview dans laquelle la réalisatrice présente son père sous les traits de Dieu et elle-même en chèvre sacrificielle (tant parce que l’holocauste était le moyen de communiquer avec Dieu, que Nina Paley se voyait comme le bouc émissaire de la famille).
Tout comme elle l’avait fait avec le Ramayana, Nina Paley passe donc le livre de l’Exode au crible de sa moulinette caustique, mettant dans la bouche de Moïse, d’Aaron ou du pharaon des chansons diverses venant d’artistes et de groupes tels que Led Zeppelin, Louis Amstrong ou même Dalida, un peu à la manière d’On connait la chanson d’Alain Resnais. Si on ne retrouve pas la prouesse de Sita chante le blues, où la réalisatrice avait réussi à raconter tout le Ramayana avec le répertoire d’une seule chanteuse, l’association entre les morceaux, souvent cultes, et les épisodes évoqués de la Bible se marient généralement bien (malgré un montage parfois maladroit comme avec la partie consacrée au plaies d’Egypte). On pourrait parfois jurer, et la confusion fut accentué par la diffusion des extraits sur Youtube, que les extraits sont les clips officiels des chansons choisies, le plus notable étant le Spider Suite de Duke of the uke illustrant la mort des premiers nés égyptiens.
L’utilisation de chansons déjà existantes, en plus de sa fonction comique et désacralisant renforce également l’ironie du récit, façon Good morning Vietnam. Le cas le plus probant étant l’utilisation de This land is Mine d’Andy William, chanson tirée du film Exodus d’Otto Preminger, devenue ensuite hymne sioniste. La faisant réciter par une série de soldats hébreux, grecs, romains, arabes, s’entretuant à travers les âges, pour la conclure dans la bouche d’une faucheuse triomphante, le film fait ressortir la vanité du propos. Autre exemple : Moïse chante The things we do for love de 10cc, tandis ce superpose les images du KKK, des bombardements israéliens ou encore du 11 septembre, comme conséquences directes de la mise en place du monothéisme.
Car Seder-Masochism, présente une vision de l’Exode bien éloignée du whitewashing d’un Prince d’Egypte, que Paley, athée convaincue, oppose à la pompe grandiloquente du narrateur christique. Moïse y est ainsi dépeint comme un vieillard intolérant et sexiste, les premiers-nés égyptiens comme des victimes collatérales d’un dieu cruel et tandis que le culte du veau d’or (généralement perçut comme un sacrilège d’inspiration diabolique) est montré comme un instant d’émancipation féminine (magnifié par rien moins que le Woman de John Lennon), le film enchaine avec le massacre des idolâtres, faisant le parallèle direct avec les crimes de Daesh.
On retrouve là, l’influence de l’essai de l’historienne Gerda Lemer, The creation of patriarchy. Cet essai soutient que le monothéisme juif s’est construit en opposition au culte des déesses de la fertilité et que le passage d’une représentation féminine du divin à une représentation masculine serait directement lié à l’apparition de la propriété privé et de la société de classe. Cette idée se retrouve surtout dans les passages du film évoquant la Déese-mère. Montrée ainsi que ses avatar smultiples (vénus de Willendorf, Vénus de Laussel, Isis, etc), créant le Monde, surplombant les 3 religions du livre, sublimée par les chants exaltant des chœurs bulgares, représentant un temps primitif, la dites Déesse finit cependant par voir son titre divin usurpée par l’Homme. Aussi la fin du film montre t’elle des silhouettes de laboureur quadriller la Terre personnifiée par une Déesse à l’agonie.
On pourrait reprocher à Nina Paley un certain manque de subtilité dans son message (ce qui ne serait pas la première fois au vu de ses courts-métrages anti-reproduction) tant le film use et abuse de symboles depuis le mont Sinaï en forme de phallus au chant des Vierges Marie (que l’on devine être énièmes avatars diminués de la Déesse déchue) « God is a patriarcal male », seule chanson originale du film. On peut aussi se questionner sur la cohérence du film et sa pertinence de situer l’instauration du patriarcat au moment de l’Exode, vu que selon le film même, la vénération de figure féminine n’empêche pas l’Egypte du pharaon d’être patriarcale et esclavagiste.
Mais ces remarques fondent vite, face à la générosité et l’inventivité de ce film, vraie claque païenne lancée à l’Amérique bigote de l’ère Trump.
L’entretien entre Nina Paley et son père, athée mais qui tenait à enseigner le Seder à ses enfants pour la transmission de l’héritage culturel familial, sonne tout autant comme un hommage à ce père dont elle parait tenir l’esprit subversif qu’à une exploration de l’abandon de sa foi. Encore une fois, le décalage est à nouveau là, car Hiram Paley ayant les traits de Dieu, le film nous donne l’impression d’avoir un Dieu qui ne croit plus en lui-même et prêt à renoncer à sa domination. Après tout, la chanson du générique de fin le dit bien : « Give me that old-time religion ». Ici, c’est un retour à la Déesse-Mère que prône le film. Le veau d’or serait-il toujours debout ?