Etes-vous resté dans le même milieu social que vos parents ou pensez-vous être un transfuge de classe (économiquement comme culturellement) ? Plutôt un déclassement par rapport à mes parents. En revanche mon père venait d'un milieu très prolétaire du Nord (mais pas miséreux, il a grandi dans un bon tissu social, une vie de quartier riche) et a eu un très bonne position (qu'il n'a pas su garder jusqu'au bout) à cause de ce qu'il a perçu comme une promotion au mérite scolaire (mais ses soeurs qui n'ont pas étudié et travaillé tôt ont connu finalement le même processus). Il est aussi très à l'aise pour investir son argent, mais de manière assez obsessionnelle, cela ressemble à la psychologie du Père Goriot, en presque pire, focalisée sur l'idée d'aider ses enfants, mais plus rancunière et cynique, les dépossédant en fait de la moindre part d'initiative. Il était clairement (au moins) névrosé. Il nous foutait une pression de dingue, il fallait être bon partout, à l'école sportivement, voire sexuellement, il élaborait des stratégies matrimoniales pour nous (et pour lui aussi, ma mère vient d'un milieu plus bourgeois mais désargenté, et il lui faisait sentir de manière assez humiliante). Il n'a aucune notion de ce qu'est uen vie privée pour lui et ses proches. Il était rapidement jaloux de la réussite apparente d'autrui, qu'elle fusse matérielle, sentimentale ou intellectuelle . Il était mu par un sincère idéal de justice sociale, antiraciste, voire libertaire car il a fait mai 68 tout en étant confirmiste et omnubilé par l'idée de réussite, sans percevoir la contradiction entre ces deux logiques. Il était implusif et sanguin, vite violent verbalement, rancunier, tout en étant hypersensible, comme on dit. Du coup sérieux problème psy chez ses fils. Par ailleurs, il a été assez marqué par la guerre d'Algérie, et le souvenir de la seconde guerre mondiale était très présenr dans la famille, autre facteurs qui expliquent cette violence rentrée. Il n'a jamais eu honte de son milieu d'origine, et il regrette une forme de solidarité ouvirère guère présente dans la bourgeoisie (scolairement cela se traduisait par le fait qu'il privilégiait l'école publique, tout en ayant des stratégies de sélections sociales ostentatoires - il voulait en fait surtout marquer par là une forme de différence avec une bourgeoisie plus ancienne), mais n'a jamais perçu que sa violence ou les aspects destructeurs de son comportement envers ses proches pouvait être en fait un complexe de classe latent.Tout en exigeant que nous réussissions de manière impérieuse, il nous reprochait d'être dès la naissances les bourgeois qu'il avait voulu être par sa carrière professionnelle - ce qu'il percevait comme une identité de classe, chez les autres était traduite comme au plan individuelle comme une exigence de reconnaissance morale individuelle, démesurée et impossible ou satisfaite. C'est finalement une forme de construction déologique, devenue le fond visible de sa personnalité.
Vivez-vous les choses comme une ascension ou un déclassement ? Déclassement voire plus haut
Comment est-ce arrivé, est-ce que c'était conscient ? Dans mon cas oui, j'ai fait des choix scolaire et académidiques qui visaient à ne pas devenir un bourgeois comme mon père l'entendait, ce qui m'a un peu sauvé par rapport à mes frères, qui suivaient le moule familial avec moins d'opposition, et ont sombré à la trentaine.
Sentez-vous une barrière aujourd'hui avec vos parents ? En général comment vous comparez-vous à eux ? Oui, totalement, mais il y eu aussi plusieurs évènement dramatiques liés à ma mère et à mes frères, du coup je suis bien oblige de communiquer avec mon père et de transiger avec lui pour en amortir les effet.
Et avec le reste de votre famille ou vos amis d'enfance ?
Cela se passe bien, un des avantages de la situation que j'ai vécue et que je comprends à la fois la psychologie, les manière de parler et les réalités de la bourgeoisie et celle des milieux plus populaires (plutôt urbains) donc malgré tout j'ai en fait une certaine aisance et peux lier des amitiés fortes dans les deux univers. Le fait que je sois à cheval sur deux pays m'aide aussi à comprendre le rapport au monde d'un immigré/ expatrié (même si ce terme est ambigu et qu'il fait s'en méfier, car justement parce qu'il véhicule une plus grande idée de reconnaissance sociale et de légitimité par la réussite matérielle). En fac, mes meilleurs potes, avec qui je suis resté en contact, venaient de milieux plus populaire que la moyenne des étudiants, et je comprennais ce qu'ils ressentaient. Je décèlais bien les attitudes involontaires (et sans malveillance) de mépris social venant de personnes plus aisées (au départ sans en être affecté moi-même, mais au fur et à mesure que je vieillis et suis confronté à la vie j'ai tendance à me sentir moi-même vexé, une forme de susceptibilité sociale s'exaspère plus vite - mais l'inverse est aussi vrai, j'ai pas mal d'amis et de collègues, souvent dilômés et aisés, qui viennent de la région de Charleroi, sociologiquement pas si différente que les réalités de Lille ou Roubaix, et la manière dont ils présentent eux-même cette origine comme un motif d'une forme de honte ou de gène sociale plus ou moins subie m'exaspère aussi, même si la psychologie nationale belge joue ici un rôle). Par ailleurs ma grand-mère qui venait du milieu ouvrier était plus curieuse et, plus solide aux plans moraux et intellecutels que la partie bourgeoise (et parisienne, même si avec de fortes racines à Lyon et en Provence) de ma famille (mais pas ses enfants). Mon respect pour la culture (plutôt classique et reconnue) vient en fait de la part ouvrière de mon histoire familiale, quand le côté bourgeois de ma famille et (d'une façon générale, il y a des exceptions, que j'ai mis du temps à percevoir, un peu comme la dynamique des romans de Proust - la vérité des personnes se manifeste lentement, c'est ce qui rend la vie intéressante) à la fois plus conservateur, décadent et cynique Mon père en revanche n'a pratiquement pas d'amis, à cause de sa situation de transfuge de classe (et de sa psychologie compliquée)
_________________ Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ? - Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.
Jean-Paul Sartre
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