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Le fait du soir, c’est la projection du nouveau film de Wes Anderson, THE DARJEELING LIMITED. Comment s’y prendre, à peine descendu, pour rendre compte de ce qu’a été le voyage dans ce train-là - car c’est bien un train qui donne ici le titre, succédant au sous-marin de LA VIE AQUATIQUE ? Depuis quelques jours, sans la dire on rumine la même pensée : qu’il y a des films pour lesquels on n’est peut-être pas doué de l’équipement adéquat. Nous n’avons pas toujours le bon matériel. Nous ne sommes pas polyvalent. A cet égard pareils au Darjeeling. Parfumé ? Non : limited.

Soit, premier sens, que nous manquions des références (comme on dit) qui permettraient de bien apprécier tel film : de l’appréhension du vaste monde qui est le sien. Soit, second sens, que la sensibilité se trouve tout à coup prise en défaut, comme s’il y avait des endroits où elle n’ose, ou ne sait, ou ne veut s’aventurer. (Il y a ainsi des moments où le critique, se frappant la poitrine sous le badge plastifié, redoute d’entendre sonner creux.)

Le premier sens s’illustrera demain, avec le film de Todd Haynes sur Bob Dylan, I’M NOT THERE, vu à Paris en début de semaine. Pour bien en parler il faudrait avoir avec soi la bio de François Bon qui sort la semaine prochaine, et qu’on souhaite aussi forte que celle des Rolling Stones ; le premier volume - génial - de CHRONIQUES publié par le maitre ; éventuellement les textes de Greil Marcus ; et bien sur les BASEMENT TAPES, BLOOD ON THE TRACKS, MODERN TIMES, toutes les chansons du troubadour à la voix pareille à du sable dans la colle (dixit David Bowie, héros de VELVET GOLDMINE, du meme Haynes).

Le second sens, c’est maintenant : THE DARJEELING LIMITED. De même que le train qui parcourt l’Inde ressemble au sous-marin de Steve Zissou, l’histoire n’a varié que de quelques iotas : toujours une famille à recomposer, un père absent, une mère à retrouver, etc. Le même style reprend la route : mélange de chic et de cheap ; tableautins ; riches couleurs balayées en travellings latéraux ; comique pince-sans rire servi par des acteurs à la mine de beaux chiens battus, en l’occurrence Owen Wilson, Jason Schwartzman et Adrien Brody. L’ensemble évoque une vieille bande dessinée dont on viendrait de retrouver, intacte, l’encre encore humide, la première édition. Ou mieux, à un dessin animé en Technicolor dont l’adaptation en film aurait ralenti les mouvements, et engourdi les sentiments. Une mélancolie est ici palpable, et si l’on s’émerveille, c’est avec flegme.

Est-ce drôle ? La salle a peu ri, mais il serait bête d’y voir un verdict. Ce qui intéresse Anderson est davantage la définition stable d’une drôlerie, la fixation d’une note qui certes autorise les ruptures (bel enchâssement d’un épisode new-yorkais au milieu de la dérive indienne, avec Barbet Schroeder en garagiste) mais qui, surtout, dessine les contours d’un monde : un comique qui s’adresse au commun sans rejeter personne, cela n’est pas si fréquent.

Où s’arrête alors notre sensibilité ? C’est que tout cela - à notre sens - n’interdit pas l’ennui, une certaine complaisance, encore moins l’impression d’une étroitesse. C’est que l’exotisme peut toujours se retourner en confort domestique, en tourisme autrement dit. Ce soir, les spectateur français auront particulièrement pu méditer ce dernier écueil, puisque le long est précédé d’un court tourné à Paris, HÔTEL CHEVALIER, et que l’un s’achève avec Joe Dassin (AUX CHAMPS ELYSÉES, wouap-doo-wouap) tandis que l’autre fait de Natalie Portman une nouvelle Jean Seberg et invoque, mais oui, Sacha Distel.

Peut-être avons-nous seulement les yeux bouchés et les oreilles idem. On pourra en effet répondre que ce n’est pas de l’ennui, mais un cinéma qui cherche à faire durer un charme, à relancer les dés, à ne pas dire au-revoir. De là qu’il paraisse parfois se perdre en manœuvres dilatoires : le court métrage en prologue, l’intro du long avec Bill Murray, le voyage interrompu puis repris. To be continued, dit à un moment Angelica Huston, la mère, la maitresse des clés : elle sait qu’un film d’Anderson est comme un feuilleton, comme un train, qu’il comporte beaucoup d’épisodes et beaucoup de wagons.

A suivre donc, encore : il y a quelques années, beaucoup adorèrent LA VIE AQUATIQUE ; il en est déjà, c’est sûr, qui adorent ce DARJEELING LIMITED qui nous semble seulement agréable et réussi, pas mieux. On en reparlera.
*

Précision : Il y a beaucoup de films dont on ne parle pas ici. Certains par respect pour la famille : SLEUTH de Kenneth Branagh, IT’S A FREE WORLD de Ken Loach. D’autres parce qu’ils sont sortis ou vont l’être bientôt : LA FILLE COUPÉE EN DEUX de Claude Chabrol, LES AMOURS D’ASTRÉE ET DE CÉLADON d’Éric Rohmer, LE RÊVE DE CASSANDRA de Woody Allen. D’autres faute de les avoir vus.

Portman... Nue... A Paris.