Un avocat New-Yorkais accepte de défendre un dealer accusé du meurtre d'un policier. Il croit son client qui affirme avoir agi en état de légitime défense alors que le flic tentait de le racketter. Pour sauver son client, il veut aller jusqu'au bout, quitte à bouleverser sa vie et à la mettre en danger, et compte sur l'aide d'un ami policier.C’est un
trope parmi les plus expéditifs du genre : un notable ou un flic corrompu, souvent un traitre qui plus est, est percé à jour lors du derniers tiers de l’intrigue et se justifie dans un mélange de panique et d’indignation, à genou et/ou mains levées, d’avoir succombé à la tentation après des années de droiture en se rendant compte qu’il ne supportait plus que les criminels qu’il chassait gagnent en une soirée l’équivalent de son salaire annuel— et si jamais cette explication arrive plus tôt dans le film, elle restera toujours secondaire face à un comportement généralement sadique et vicieux de sa part dans plein d’autres domaines, afin de le rendre encore plus détestable comme adversaire, et surtout évacuer toute interrogation plus profonde sur les rouages de la corruption.
Shakedown prend ça à rebrousse poil. Alors les flics corrompus sont des salauds qui prennent plaisir à infliger de la souffrance, mais Glickenhaus ne se prive pas de montrer qu’on ne se corrompt pas tout seul dans son coin, que la corruption ne tombe pas du ciel, qu’il s’agit d’un système et qu’elle est toujours affaire de contagion. C’est une épidémie. Et le patient zéro, c’est encore une fois le lumpenprolétariat : cette sous-classe identifiée par Marx et Engels comme une force contre-révolutionnaire particulièrement dangereuse, et que d’autres militants postmarxistes, comme les Black Panthers par exemple, en faisaient au contraire la force vive de leurs discours, ce qui en dit long sur leurs intentions concernant la société américaine.
Pour autant il ne s’agit pas d’un brûlot unidimensionnel : le flic et l’avocat font bien la chasse aux flics corrompus… Aussi parce qu’ils savent que lutter contre le lumpenprolétariat est peine perdue, autant que de lutter contre le capital.
Le personnage de Weller gère l’équilibre précaire au cœur de son dilemme : défendre un dealer de crack dont il connaît parfaitement le statut de nuisible, mais dans le cadre d’un coup monté par d’autres nuisibles (chouette et courte scène de tension entre sa femme et lui pour enfoncer le clou). Il ne se fait pour autant aucune illusion, et assume le dégoût profond que lui inspire la majeure partie de sa clientèle et à quel point ça le ronge de les défendre, dans une illustration foudroyante de la fameuse « loi de Conquest » (Robert Conquest qui était spécialiste de l’Union Soviétique) :
generally speaking, everybody is reactionary on subjects he knows about.
Celui de Sam Elliott, plus pulp, c’est la caution cow-boy avec un soupçon de briscard semi-clochardisé, celui par qui la castagne arrive, le mec de terrain qui épaule Weller le dynamiteur institutionnel au nom de la droiture nécessaire à l’exercice de son métier (et qui s’appelle… Marks !). Au passage, la castagne est de qualité, avec de bonnes cascades, de la bonne poursuite, de la bonne pyrotechnie.
Qui plus est, l’élément déclencheur qui ouvre le film sème le trouble sur tout un genre cinématographique auquel Glickenhaus a largement contribué avec l’excellent
The Exterminator. Le dealer le dit, d’ailleurs : «
I thought he was a vigilante, I had to defend myself! », et son témoignage à la barre donne accès au vécu de la victime d’un tel vigilante, la terreur brute d’être sur le point d’être abattu et de le savoir, le traumatisme d’y échapper. Et ça cohabite bien avec le point de vue sans aucun angélisme de son propre avocat.
Il y a de tout, dans
Shakedown, dont la générosité m'a épaté : franche camaraderie dans les bas-fonds, interventions musclées, action, romance qui s’emberlificote, scènes de procès et poussées pulp complètement
shameless (la double résolution :
). Fruit de son époque aussi, comme en atteste l'assistante du procureur intransigeante : dans un film sur le NYC de 2024, on aurait droit à une magistrate elle aussi fidèle à son époque, qui se battrait pour la libération immédiate et sans caution de suspects considérés comme défavorisés, voire oppressés, pourtant connus de forces de l’ordre comme étant des récidivistes violents et dangereux.
Mortel et mordant, encore (surtout) aujourd'hui.
Film incroyable, donc, et pas étonnant qu’il ait une postérité plus que discrète. Bonne préfiguration des films de S. Craig Zahler, qui plus est.