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J’ai moi-même été un collégien qui faisait chauffer le magnétoscope pour
Buffy contre les vampires, diffusé après l’heure à laquelle je devais me coucher. J’étais donc très étonné par ces premières minutes d’un film qui semblait s'ancrer dans une évocation de cette culture de masse autour des séries des années 90, l’enregistrement de leurs épisodes hebdomadaires sur VHS et les aprem (ici soirées, mais peu importe) ritualisés à plusieurs pour les découvrir, tout en parvenant à être le moins
relatable possible.
Alors bien sûr j’ai vite compris. L’existence d’une culture de masse implique forcément celle de niches. Et c’est bien de ça qu’il s’agit : le film apparaît dans un premier temps comme une allégorie qui concerne une part démographique très, très, très spécifique de la population.
Et sa principale limite, c’est qu’il n’est que ça.
Mais plus (en fait, moins) qu’une allégorie, et donc plus (moins, toujours) qu’un film, je dirais qu’il s’agit d’un manifeste. Matrix peut être qualifié d’allégorie sur la question trans. Mais les films ont très bien fonctionné, et peuvent totalement continuer à fonctionner (c’est-à-dire parler aux spectateurs) sans cet élément de trivia. C’est le principe même d’une allégorie : ça peut être là comme ça peut n’être pas là, et avec ou sans l’œuvre fonctionne quand même. Là, non. C’est là et ça prend toute la place. Si on l’enlève il ne reste plus rien. Ce n’est donc pas une allégorie, mais bien un manifeste avec un
vernis d'allégorie.
Maintenant, si on s’intéresse aux éléments qui se situent autour : c’est épouvantablement lourd et chiant. Un vrai supplice. A tel point que j’aurais pu copier/coller l’intégralité du message de FF sur
Eraserhead (du coup j’en profite pour mentionner les velléités lynchiennes qui sautent aux yeux et sont verbalisées comme telles dans la note d’intention— elles ne méritent cependant pas plus que la mention). Adolescents neurasthéniques, étirement impitoyable d’une écriture fade et tiède à l’extrême, pas stimulante une seule seconde, des dialogues d’une foudroyante banalité. Zéro tension, zéro enjeu. Et donc forcément, en plus de ce mauvais bilan, l’absence de marge de manœuvre thématique achève de rendre l’expérience suffocante.
Ensuite, le regard porté ici sur les séries ne s’inscrit certes pas dans de la nostalgie déplacée façon
90’s bitch qui se contenterait d’enfiler les références creuses et sans propos comme autant de perles, mais dans quelque chose finalement d’attenant, bien que plus profond, à savoir le trop plein d’identification à ce qu’on regarde, à plus forte raison quand on est jeune, et à plus forte raison encore quand on est jeune et vulnérable.
(Au passage, ancrer ça autour d’un riff sur
Buffy est loin d’être anodin : c’est la série qui a percé la première dans les milieux universitaires américains en tant que sujet d’étude, attirant notamment les chercheurs en queer studies et compagnie à qui l’on doit en partie le déversement hors de la chambre à écho des universités des questions de genre désormais omniprésentes.)
Là où le film se montre vaguement amusant, c’est dans ce à quoi ressemble sa version de
Buffy : des plans fixes pourris, limite tournés au camescope, qui renvoient à l’aspect cheapos de la première saison. La parodie n’est pas d’une grande habileté, et n’est certainement pas bien dosée, mais le clin d’œil est suffisamment référencé pour être parlant. Pour revenir à ce qui m’intéresse, il y a une scène où le personnage à la télé attire l’attention d’un ennemi avec ce sarcasme caractéristique de
girlboss (qui a désormais envahi toute la culture, merci Joss Whedon) pour le provoquer au combat, ce qui suscite les larmes de la spectatrice. J’ai été bien naïf à ce moment-là. Je me suis dit « ah ? peut-être qu’on va avoir quelque chose d’un peu plus ambivalent ?? on va enfin rappeler que la fiction n’est pas là pour qu’on se sente moins seul ??? on va comprendre qu’elle a un gros, gros problème et que c’est pas juste Les Autres © ??? » Mais non, ça s’inscrit pleinement dans ce qui veut être dit. Les séries peuvent nous aider quand personne d’autre ne nous comprend. Elles sont nos amies. Nos modèles. Elles font écho à notre moi profond. *.gif de Walter White qui halète et tombe dans le sable*
Don Quichotte et
Madame Bovary sont pourtant passés par là sur cette même question du pouvoir de fascination délétère que peut exercer la fiction sur un individu, jusqu'à ce qu'il se perde complètement. L'avènement de la technologie moderne et du cinéma n'y changent rien. Or ici, l'individu qui résiste à se "perdre dans la série", c'est celui qui fait le choix tragique de rester caché aux yeux de tous. On en déduit que l'autre, qui fait l'inverse, est celle qui s'émancipe. Et contrairement aux oeuvres pré-citées, qui disent une des vérités universelles concernant les liens entre réalité et fiction,
I Saw the TV Glow donne plus l'impression de tenter de convaincre, d'affirmer, de montrer... Mais ne démontre rien, se contente de dire. Et sur ce sujet là,
media literacy oblige, c'est plus qu'insuffisant.
Mention spéciale sinon à la présence au casting d’Amber Benson (Tara dans
Buffy) et Fred Durst (???).
Citation:
Comme dans son précédent, la possibilité que le fantastique ne soit que fantasmé, symptôme d'une condition mentale (comme certains qualifient justement la dysphorie de genre)
Honnêtement, cet univers maussade est tellement, mais tellement mal rythmé, la question même de l'irruption du fantastique est tellement gérée par dessus la jambe (presque une heure avant que ça ne débarque comme un cheveu sur la soupe), c'est tellement approximatif niveau grammaire et syntaxe du genre que cette ambivalence qui aurait pu être possible se trouve étouffée, pas stimulante. Qui plus est, l’intentionnalité de ce manifeste au vernis allégorique est de viser à légitimer une expérience subjective comme pouvant prétendre au statut de réalité objective, ce qui ne permet pas de jeu de fausses-pistes type trouble/pas trouble, hallucination/réalité au risque de saboter, pour ne pas dire trahir son seul et unique sujet (il y a du doute et de l'incertitude au coeur de l'expérience, mais on va pas se mentir, le film est clair sur ce qu'il veut évoquer : le mauvais renoncement au doute (celui qui choisit le statu quo à l'émancipation)).
Ensuite, pourquoi utiliser cette formulation entre parenthèse alors que la dysphorie de genre figure dans les manuels diagnostics internationaux de psychiatrie ? Il ne s’agit pas là de « certains » pélos qui qualifient les choses ainsi selon leur bon plaisir dans leur coin ou du haut de leur tour d’ivoire, mais de professionnels de santé mentale, des chercheurs scientifiques. Des spécialistes.
Bref, entre une célébration fâcheuse de La Nostalgie ™ et un manifeste fatalement rigide dont la forme se veut onirique et méandreuse mais qui est surtout pauvre et limitée, se trouvait sans doute une bonne idée, quelque part. Tant pis.