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MessagePosté: 22 Juin 2024, 19:51 
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André Masson est un commisseur-priseur en vue, aux allures de nouveau riche et au ton particulièrement cassant. Il doit faire face à Aurore, une stagiaire taciturne et passablement mythomane, mais son attitude face à elle révèle une forme de tact plus ou moins caché, le renvoyant à ses propres carapaces mondaines et professionnelles.
Dans le même temps, à Mulhouse (en fait plutôt du côté de Thann et Cernay), Martin Keller, un jeune ouvrier, emménage dans la maison qu'il a acheté avec sa mère en viager. Il a laissé le mobilier de l'ancien propriétaire, dont un tableau qui pourrait être les Tournesols fanés d'Egon Schiele, que l'on pensait perdu lors de l'Anschluss et des persécutions antisémites, et qui vaut une fortune.


Je ne connais pour ainsi dire pas Pascal Bonitzer comme réalisateur, et j'ai trouvé ce film plutôt bon, même si classique dans la qualité française. J'ai l'impression qu'il est plutôt atypique dans son oeuvre, relevant davantage de la chronique sociale que de la comédie. Les personnages sont certes hyper typés dès le début, mais le film a le bon goût de ne pas (trop) forcer les situations ni de multiplier les twists psychologiques et explications de complexes psychologiques. Le moteur du film reste l'attitude morale de l'ouvrier, qui comprend vite la signification morale et politique de la spoliation, et se fixe un cap qu'il garde. Trop en dire risquerait d'émousser cette lucidité, d'être rattrapé par l'attitude attendue habituellement associée à la classe sociale. Mais le film a alors tendance à faire de cette rectitude morale un mystère, quelque-chose d'ésotérique, qui s'oppose certes au risque du populisme. Dans les meilleurs moments le film fait beaucoup penser à Laurent Cantet, ainsi dans la partie à Mulhouse, assez fine. Le film arrive à nouer plusieurs classes sociales dans une situation commune, mais avec l'ambiguïté liée au caractère indirect, passager et accidentel de cet échange : il est rendu possible par la transcendance irrépétable du tableau de Schiele, et un consensus sur la mémoire de la seconde guerre mondiale, que l'ouvrier a presque honte de comprendre. D'où une sourde inquiétude : les personnages sont intègres et justifiés, mais perdent alors toute extériorité. Le fossé entre le social et le politique n'est jamais comblé.
Tous ont une origine, mais le plus proche d'un projet commun est le cynisme d'Aurore
certes le personnage a une identité secrète à protéger, ce qui le rend finalement rationnel
qui tourne celle-ci en dérision, s'inventant des drames familiaux alternatifs - la seule à se poser aussi la question de ce qui intéresse les autres plutôt que d'où ils viennent - un monde riche et inquiet où la praxis ressemble au mensonge ou à la lubie d'un seul. Pas mal vu en fait.

L'intrigue et la dénouements sont un peu bâclés
qu'il faille à un commissaire-priseur de cet acabit l'email une ex-stagiaire pour subodorer une entente entre un expert qui dénigre l'oeuvre et l'estime à baisse et l'avocat d'un futur surenchérisseur est un peu gros
mais ce mcguffin tintinesque rend le film finalement sympathique et presque modeste.

3.5/6

Sympa aussi de voir Laurence Côte dans un bon rôle nuancé (et peut-être meilleure actrice qu'à l'époque)

_________________
Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 18 Sep 2024, 17:31, édité 3 fois.

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MessagePosté: 18 Sep 2024, 16:35 
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Vieux-Gontrand a écrit:

L'intrigue et la dénouements sont un peu bâclés
qu'il faille à un commissaire-priseur de cet acabit l'email une ex-stagiaire pour subodorer une entente entre un expert qui dénigre l'oeuvre et l'estime à baisse et l'avocat d'un futur surenchérisseur est un peu gros
mais ce mcguffin tintinesque rend le film finalement sympathique et presque modeste.
c'est surtout que ça se set à des kilomètres à la ronde car quand le mec donne l'air déçu de la qualité du tableau, on sent que c'est pas très sincère et qu'il y a un truc louche

Sinon vu que tu as aimé ce Bonitzer, c'est classique de son style : dialogues et écritures de haut vol, un vrai écrin pour les acteurs qui se donnent à coeur joie. Comme Lutz qui arrive à la fois à etre odieux et attachant. Le casting se régale. Essaie d'en voir d'autres, c'est un cinéma qui base beaucoup sa force sur l'écriture. C'est avant tout un très grand scénariste qui a écrit pour RIvette, Akerman, Jacquot, Téchiné et Ruiz. Sa mise en scène classique limite la portée de ses films. Ce n'est pas le cinéaste que je verrais capable de faire un grand film, mais c'est tout le temps solide et plaisant à regarder.


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MessagePosté: 18 Sep 2024, 17:07 
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Oui je le connais comme scénariste, pour ceux que tu as mentionnés (et de façon plus inattendue pour Raoul Peck). Si mes souvenirs sont bons il est d'ailleurs acteur du premier rôle dans la Vocation Suspendue (très bon film de la première période française de Ruiz).

Tiens d'ailleurs tu fais bien de le rappeler, car le Ruiz est déjà l' histoire d'une peinture (ici une fresque) rendue invisible par l'occupation, et de ses spectateurs/propriétaires, comme ici clivés à la fois historiquement et psychologiquement, involontairement jumeaux alors qu'ils se veulent antagonistes. Mais le ton, Klossowski et Ruiz obligent, est plus surréaliste (tenant de Bunuel), à la fois hermétique et ironique (le livre est contemporain de la guerre, d'où paradoxalement un propos plus allusif et enclin à verser dans une forme de jeu métaphysique)...
Le titre du film de l'an passé est aussi une allusion à un autre Ruiz de la même époque, Pascal Bonitzer boucle intentionnellement une boucle avec ce film.

Ruiz filme aussi longuement la rédaction des Cahiers vers 1978 avec Bonitzer tenant le crachoir et parlant tout seul dans son "documentaire" De grands événements et des gens ordinaires.

Et le nom d'André Masson est aussi signifiant bien sûr par rapport à cet univers, la cruauté bataillenne devient par le personnage Lutz une expertise patrimoniale et historique, une monnaie lucide et morte, la reconnaissance une chose à la fois entretenue et spéculative, un colère rentrée, constante mais ne cherchant plus à provoquer quoi que ce soit.

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