Synopsis : un homme amnésique est repêché par un bateau de pêche au large de Marseille. Le seul indice sur son identité est un pointeur laser avec un numéro de code bancaire à Zurich. Marie, une... euh... étudiante (?)... va l'aider à découvrir qui il est et pourquoi tout le monde essaie de le tuer. Jamais lu les romans de Ludlum, aucun souvenir du téléfilm avec Richard Chamberlain, et aimé sans plus les premiers albums de la BD
légèrement dérivée,
XIII. Autant dire que Jason Bourne, c'est cette adaptation, pour moi, et rien d'autre. Et j'aime beaucoup la trilogie qui au final raconte le parcours d'un homme qui échappe à sa programmation.
Revoir aujourd'hui le premier épisode, c'est être un peu surpris de la mollesse de l'ensemble, véritable bond en arrière après deux décennies de films d'action dont l'escalade dans la frénésie était évidente, du premier
Rambo et des Walter Hill jusqu'au double-mouvement de l'inspiration HK (des prods Silver jusque
Face/Off) et de l'émergence du baroque Bayien*
Mais cette mollesse est aussi ce qui fait son sel, puisque Liman semble jouer l'argument cinéphilique et celui vidéoludique.
Il tente ainsi plutôt que de rivaliser avec cette surenchère pyrotechnique, de ressusciter la figure ancienne du thriller hitchcockien et ses dérivés, avec son héros dont l'innocence est mise en doute, pourchassé par des autorités anonymes et qui trouve refuge dans une idylle imprévue. Bourne s'inscrit dans une lignée qui va du héros amnésique de
Quelque part dans la nuit de Mankiewicz au
Charade de Donen, aux excroissances paranos 70s type
Les Trois jours du Condor.
Mais le film mélange également le parcours blockbusteresque du héros de type Campbellien, remanié par Vogler, avec le jeu vidéo. Un peu comme une version acoustique de
Matrix, chaque étape voit Bourne découvrir de nouvelles prouesses physiques ou intellectuelles tandis que le but devient de maîtriser l'environnement et ses chausse-trappes afin de surmonter les différentes épreuves (le moment très cool où Bourne fait exploser une réserve de fioul pour masquer sa fuite de la ferme). On s'en moque même avec le plan alambiqué que Bourne met au point afin que Marie récupère un document, papier qu'elle trouve en demandant le plus simplement du monde.
Bien avant
Edge of Tomorrow, Liman utilise donc ce canevas vidéoludique afin de faire progresser son héros, ici, un homme sans passé, alors que Cruise jouera un homme qui en a trop. Liman est un réal assez brouillon : il réussit toujours un beau plan dans des séquences bordéliques où on confond vitesse et précipitation (c'est bien simple, on dirait mes textes). Il y a toujours néanmoins de bonnes idées visuelles, une attention aux petits détails et des contextes et décors qui gardent de la personnalité. La création progressive visuelle du héros avec le pull troué et le petit sac rouge, est discrète mais efficace.
Et comme
Edge of Tomorrow, Liman excelle quand il intercale dans le récit des moments de creux qui permet de rapprocher les tourtereaux, un aspect résolument absent des Bourne suivants de Greengrass.
Faut juste que ton kink, ça soit se faire couper les cheveux. Mais on ne juge pas.Absent également des prochains, Alexander Witt s'occupe de l'action et finira par passer sur l'autre J(ames) B(ond) avec
Casino Royale et les Craig suivants
pour les séquences où l'on ne s'emmerde pas. Outre que j'aime à penser que l'échange entre les deux prods s'est fait sur un pont enneigé au petit matin, on peut noter qu'il y a déjà un peu du final de
Skyfall dans le moment où Bourne abat dans les hautes herbes l'agent joué par Cilve Owen
(comment cet homme n'est pas devenu une star, je n'en sais rien, tristes 00s). Et puis, on peut aussi ajouter au chapelet des évocations picturales celles des
Chiens de Paille et de
Get Carter.
Comme Liman, Witt soigne les détails des bagarres, ce qui est payant dans les meilleurs passages (le petit stylo dans la main) et on a bien le temps, sans doute trop, d'apprécier les enchaînements et le boulot de la star comme des cascadeurs. Ici pointe déjà l'étape suivante du film d'action hollywoodien, amenée en bien comme en mal par les Greengrass, et qui fera le lit des Daniel Craig susmentionnés mais aussi de
John Wick,
Jack Reacher,
Haywire et autres
Tyler Rake... soit le mec (ou la nana) surentraîné(e) qui frappe dur, mais pour une bonne raison et direct là où ça fait mal.
Je serai plus sévère avec la poursuite en bagnole dans Paris dont le rythme provient intégralement du morceau
Ready Steady Go, également utilisé la même année dans
Collateral (et dans lequel on pourrait lui substituer
Big Bisous sans que ça ne gêne). Le sympathique Patrick H. Willems a montré récemment le lien entre la poursuite de
Ronin et celle-ci, et j'ai envie de dire "halte-là, épicier, il y a pas photo". Mais là encore, c'est la conclusion comico-romantique qui est sympathique (et qui sera encore plus réussie dans
Mission: Impossible - Dead Reckoning 1re partie, un bien bon film)
L'influence de Frankenheimer se sent aussi dans ma séquence préférée du film, le retour à l'appart parisien dans lequel on passe a droit à un grand huit d'émotions : de l'intime à la parano, de l'action à l'horreur face aux conséquences de cette violence.
Et en prêtant l'oreille à l'excellente OST de John Powell (et où tous les thèmes sont déjà en germe), on comprend également l'axe employé par Greengrass dans les deuxième et troisième épisodes, à savoir foutre de la tension permanente basée sur la répétition du même ; action/révélation/évasion, ponctué par la bande-son importée depuis lors dans toutes les émissions de Carole Rousseau situées sur la Côte d'Azur.
Suite au 11 septembre
(2001, je précise pour les plus jeunes), le film a été remonté dans son final et ça se sent, vu que c'est là où je me suis à zoner. Mais je pense que l'intérêt est de toute façon en berne une fois que Bourne se sépare de Marie pour rentrer à Paris, tant se trouve dans ce couple trop choupi le petit cœur chaud et rigolo qui motive ce début de trilogie.
*HOSPYAN Robert, Michael Bay ou la fin de l'innocence, éd. Aardvark, 2022.