Difficile de commenter séparément les trois films, tant ils sont reliés, par les histoires et les personnages, tout en ayant des facettes complémentaires.
Cela ne sert à rien de les opposer l'un à l'autre.
L'Adamant est finalement celui qui décrit le plus la psychiatrie comme institution, avec un intérieur et un extérieur (mais le monde extérieur y est présent/absent, "mis entre parenthèse" par l'hôpital comme disaient les phénoménologues).
Paradoxalement Averroès et Rosa Parks, qui commence par une cartographie générale de l'immense et spectaculaire hôpital de Charenton, est en fait plutôt centré sur le transfert entre patient et psy (on voit peu les infirmiers alors qu'ils sont centraux dans les deux autres volets).
La Machine à Ecrire est intéressant, car il filme les malades chez eux, forcément rendu à une relative autonomie et en voie d'amélioration (d'où une certaine légéreté, notamment avec la femme qui aime Janis Joplin, qui parait un peu lunatique, un chouïlla érotomane aussi mais plutôt sympathique et à bon droit sûre de ses goûts), mais cette liberté rendue correspond presqu'exactement à la lassitude et la fatigue des soignant (on sent que le psy qui traite avec le dessinateur-musicien est un peu agacé par celui-ci, son bordel et une forme de pose artiste : lorsqu'il se met à commenter philosophiquement la scène d'Harold Lloyd suspendu dans le vide, il tombe lui-même alors dans une forme de pédanterie professorale comme pour le défier, du moins c'est comme cela que je l'ai perçu - et il s'adresse peut-être plutôt à la caméra pour la séduire qu'à son interlocuteur).
D'ailleurs ce dispositif d'infirmier-dépanneur est moins anodin qu'il ne le parait, car d'après ce que je sais, le suivi chez eux des malades sortis d'hospitalisation relève plutôt d'infirmiers libéraux. Or ici, ce sont encore visiblement des psy et infirmier issus du CMP (donc de la psychiatrie de secteur dont relève l'hôpital de jour) qui "s'incrustent" chez les malades, cela me parait un peu hors-cadre, potentiellement problématique, même si ce n'est certes pas le sujet du film.
Les documentaires m'ont touché et intéressé. Rosa Parks est central et approfondit ce qui dans l'Adamant apparaissait un peu superficiel et comble un manque de temps qui donnait une image trop adamique de la maladie. Mais l'Adamant constitute alors une sorte de préface nécessaire. Ce n'est pas anodin, la description de l'institution devient, dans la construction de la trilogie le prélude de l'expérience plus brute et individuelle d'une altérité psychologique parfois radicale. Et finalement le transfert thérapeutique que le psy essaye de créer est placé par Philibert en marge voire en dehors de l'institution - ce qui n'est pas forcément faux, les psys ont à la fois une technique et une subjectivité, que les malades paraissent parfois exploiter et qu'ils laissent exploiter.
L'insistance sur les personnages permet aussi d'inverser des perspectives : le chanteur/illustrateur qui dans l'Adamant apparaissait aller relativement bien, encore créatif, est ici enfoncé dans son bordel, et son lit ressemble à un cercueil - le mythe culturel de la contreculture des seventies qui apparaissait comme un carburant dans l'Adamant devient dans la machine à Ecrire un tombeau, ce qui est collectivement daté se traduit individuellement comme une morbidité ou une dimension suicidaire ou anomique, non sans raison, mais sans dérivatif, le personnage parait trop solitaire, trop autiste, pour être autre chose que le charme déclinant des seventies. C'est horrible car on sent qu'il a été progressivement rejeté au marge de la société, alors que dans les années 70 il pouvait s'inscire dans son temps.
On se rend compte aussi que le malade, particulièrement intelligent et construit qui dans l'Adamant défendait les médicaments, et discute ici avec la (très belle) psy du dosage des sommifères tout raconte son histoire, a une personnalité plus compliquée voire trouble qu'il n'y parait : il valorise et peut-être flatte les médecins (il met quand-même la docteure en même temps que le spectateur dans sa poche), mais apparait aussi systématiquement critique et détaché des autres malades, envers lesquels il es assez agressif voire laipidaire
on perd notre temps lors de la discussion il est vrai un peu foireuse, mais pas si bête entre le prof de philo et la malade d'origine Chinoise (la psy le remarque d'ailleurs en relevant que dans un autre contexte que l'hospitalisation, une solidarité entre lui et les autres serait possible, mais qu'il ne perçoit justement pas que la maladie la rend précisément impossible, que l'institution psychatrique n'a pas non plus pour but de l'instaurer ).
Il y a un curieux mouvement où il impute à la fois aux médecins et aux médicament une forme de toute-puissance (une forme du surinvestissement) tout en dénigrant ses pairs.
Le soin s'inscrit dans le prolongement d'une rupture avec le monde qui a déjà eu lieu depuis longtemps, et l'apparente cohérence et modestie de ses propos ne sont peut-être uniquement qu' une absence de regret. c'est assez maladroit de ma part de mobiliser ce registre, car cet homme est visiblement très sensible.
Mais singulièrement, il mobilise souvent , de manière un peu opportuniste, un registre idéologique dont il est lui-même détaché, qui est en fait l'extérieur en tant que tel, pour justifier son détachement voire sa condamnation d'autrui : il reproche à sa famille d'accueil d'avoir essayé de le convertir à l'Islam, mais aussi, de manière finalement assez proche pour signifier que son père était un mauvais père, il dit principalement "vous voyez, il m'a empêché d'être footballeur, et il croyait que l'Union Sovétique était un modèle, ce genre de personne".
L'idéologie, l'altérité et même la notion d'affect sont mis à distance voire même condamnées d'un même moment par lui : il ne pardonne pas à l'idéologie d'être aussi fragile qu'un rapport, d'être mortelle, elle est l'opposé d'une force, et s'il valorise à l'inverse la position des médecins , c'est peut-être qu'elle est le contraire d'une idéologie : un ordre, performatif mais sans intention, qui ne s'opposerait qu'à la mort.
Ce personnage esst assez fascinant, car ce qui se joue derrière le délire des malades les plus âgés est en effet souvent la peur de mourir, qui quand elle est avouée, rompt brièvement l'expression d'une démence. Un médecin utilise souvent l'expression "
comment pouvons-nous rassurer" (cela rappelle les critiques très fortes d'
Erving Goffman contre la psychiatrie et l'hôpital perçus comme un service, délivrant la norme sociale à la fois comme un idéal et comme une prestation). Il peut bien les rassurer contre eux-mêmes, mais non contre leur déclin physique, qui est accéléré par leur solitude et leur dépendance. C'est à la fois le non-dit et l'ambition des pschiatres : la complaisance individuelle dans la morbidité est ce contre quoi ils luttent, ce par quoi ils évaluent ausdi la lucidité des patients (la question à laquelle il faut répondre pour sortir est "
quels sont vos projets ?", on en évalue la cohérence et le contenu, mais pas la chance de succès, il faut que le malade retrouve un rapport d'objet, extérieur à lui, transforme du neutre en désir et accepte que le monde fasse l'inverse), mais non la mort elle-même, que les malades énoncent comme si elle était l'essence de la réalité elle-même, voire-même "le" projet.
Singulièrement, le seul personnage qui échappe au champ-contrechamp, et parle directement à Philibert lui-même plutôt qu'à un médecin est la jeune fille suicidaire au pull gris, qui avoue que l'internement la protège mais n'annule pas les idées noires,. Ele échappe au délire par une forme de retenue et de pudeur dans l'expression, mais lui pose aussi une question : est-ce seulement cet hôpital ou le principe de l'institution psychiatrique elle-même qui sont démunis : à partir de quand cette impuissance a une cause économique, que ma maladie ne perçoit pas ?
Ces trois films sont articulés par une forme de pessimisme radical : la psychiatrie relève d'un bien commun, mais ce commun quel est-il ? Est-ce la santé, et la possibilié d'être libre et en même temps socialisé qu'elle permet, ou bien au contraire la maladie elle-même, qui est une forme de refuge face au déclin du politique?
De fait beaucoup de malade articulent eux-mêmes la question du commun, même si c'est de façon plus ou moins illogique et déplacée : le malade qui inscrit une opposition entre soin et foi religieux, celui qui veit se réinsérer par l'impôt etc...
Ce qui fait société c'est une blessure que l'institution elle-même anticipe, puis conjure comme un fardeau superflu quand elle devient manifeste : la faiblesse est l'objet réel de l'institution, mais elle devient alors rivale à la parole, l'une essaye de lutter contre l'autre.
On voit que la démarche de Philibert est radicalement opposée à celle de Wiseman, plus descriptive et plus centrée sur la description des jeux de pouvoirs.
On sait que Wiseman se laissait guider non pas parce qu'il voyait mais par ce qu'il entendait : il suivait l'élément pertubateur iss d'un éclat sonore, d'abord hors-cadre puis recherché. Ici on a l'inverse : la psy interroge une jeune fille suicidaire, mais aussi vive intellectuellement (celle qui défend l'idée que ses études de aux Beaux-Arts pourraient convertir sa T.S., qu'elle peut à la fois l'expliquer et s'en détacher, la convertir en objet
on n'est pas artiste si l'on ne part pas de soi, mais cela pourrait faire peur au jury), mais dans le même temps une autre femme hurle dans le couloir attenant.
La psy essaye de continuer la séance, d'approfondir l'idée par une conclusion, mais la jeune fille lui lance un regard autoritaire qui signifie
vous devriez y aller, c'est votre rôle, la caméra reste sur la jeune fille, mais le fait qu'elle ait pu exercer une forme d'autorité sur l'institution, même abstraite, la fait sortir aussitôt du film, elle ne reviendra plus. Là encore le pouvoir est le contraire de la représentation, un seuil entre l'intérieur dont on témoigne et l'extérieur hors-champs (peut-être qu'alors le pouvoir politique est identifié à la santé, aussi introuvable qu'elle - la question du commun est alors détachée de celle du pouvoir politique - état que Philibert n'a pas provoqué, mais lui-même trouvé coomme une loi subie , à la fois décevante, objective et inédite).
Sinon une question