Etes-vous resté dans le même milieu social que vos parents ou pensez-vous être un transfuge de classe (économiquement comme culturellement) ?
Economiquement, c'est assez difficile à dire. Ma mère ne travaillait pas. Mon père gagnait très bien sa vie, d'autant que nous habitions en banlieue où le coût de la vie n'était pas forcément très élevé. Il devait avoir à peu près le même salaire que moi aujourd'hui, mais dans les années 80, donc un pouvoir d'achat deux ou trois fois plus élevé, qui nous permettait de partir un mois aux USA en plein mois d'août deux années de suite, de partir une ou deux semaines à Courchevel chaque année, ou d'aller même passer deux semaines à Hawaï en 88... Mais tout le fric était dépensé, sans exception. Nous n'avions pas un sou de côté. De mon côté, j'ai un salaire plus bas (ramené à l'inflation), mais je suis propriétaire à Paris, avec très peu de dépenses. J'ai assisté à un tel gâchis de fric, et j'ai eu de telles difficultés à mon démarrage dans la vie active (par ma faute, par ma flemme, sans doute), qu'aujourd'hui ma principale préoccupation financière est la sécurité. Donc dans un sens, sans parler d'élévation ni d'abaissement, je fais tout l'inverse d'eux : j'économise, je place, je compare les prix. Je dépense, bien entendu (paire de chaussures encore hier), je vais au resto, dans des bars, j'achète des fringues ou des BR. Mais je profite par exemple des réductions que je peux trouver. Ca ne viendrait pas à l'esprit de mes parents de chercher sur Internet un bon de réduction de 10 ou 15% pour le nouveau frigo, ou pour la voiture de location cet été. Ou de réserver un billet de train ou un appart en Airbnb six mois à l'avance pour profiter des meilleurs tarifs. Un collègue (assez fortuné d'ailleurs), m'avait dit il y a peu qu'il "ne comprend pas ces gens qui aiment tant claquer du fric". Lui part en week-end à l'autre bout du monde trois les deux mois, pour assister à un tournoi de tennis ou une connerie comme ça, mais les billets et les hôtels sont réservés aux meilleurs tarifs près d'un an à l'avance.
Culturellement, nous allions beaucoup au cinéma (quasi toutes les semaines dès l'âge de 3 ans), mais je me suis vite détaché des films familiaux. Pour mon père, un film réussi est un film qui a du succès. Par contre, mes parents ne lisaient quasiment pas (un peu plus aujourd'hui), donc rien à voir avec moi. Là où je les rejoins, c'est niveau peinture, théâtre, photographie, danse, musique... Mes parents étaient du genre à visiter la statue de la liberté plutôt que le MOMA. J'avoue que j'en ai moi-même rien à foutre de tout ça. Mes collègues sont allés au Louvre la semaine dernière, avec des places payées en notes de frais, je les ai rejoins directement après pour le resto.
Vivez-vous les choses comme une ascension ou un déclassement ?
Je ne sais pas. Plutôt comme une fierté de ne pas avoir suivi le schéma famillial, même si dans un sens, j'occupe comme mon père un poste confortable qui n'est qu'alimentaire. Là où je suis assez content, c'est d'avoir su (récemment) éliminer une bonne partie des envies inutiles. Déjà il y a quelques années, j'avais arrêté (comme beaucoup ici) de payer le prix fort le jour de leur sortie des BR que je n'avais pas le temps de voir, et qui seront en tarif réduit dans six mois. Mais je me suis rendu compte assez récemment que l'argent ne me servait pas à grand chose, à part à assurer cette fameuse sécurité. Que concrètement, si demain on me donne un million, je ne sais pas quoi en faire pour me faire plaisir. Je les place, je les sécurise, je les donne à mon fils, je les partage avec mes parents et ma soeur, mais concrètement, pour moi, je n'ai envie de rien : pas de voiture, pas de bâteau, pas de vacances dans un palace à l'autre bout du monde.... Eventuellement 10m² de plus, mais que ferais-je de 50 ou 100m² de plus. Ce discours là est absolument inentendable pour mes parents.
Comment est-ce arrivé, est-ce que c'était conscient ?
Oui c'était conscient. Quand j'ai eu ma première "vraie" petite amie, j'ai halluciné devant le nombre de livres chez eux, ou devant la façon dont les choses (et l'argent) étaient gérées. Et pourtant ces gens avaient et dépensaient du fric.
Sentez-vous une barrière aujourd'hui avec vos parents ? En général comment vous comparez-vous à eux ?
Une barrière oui, vu que pour eux la réussite se mesure à l'argent gagné et à ce qu'on possède. Mon salaire correct et mon appart sont pour eux des marqueurs de réussite. Mais ils ne pigent pas que je n'ai pas de voiture, que je prenne si peu de vacances (ou que je parte l'été dans un appart réservé six mois à l'avance), que j'achète mes fringues ou les cadeaux de Noël sur Vinted...
Et avec le reste de votre famille ou vos amis d'enfance ?
Ma famille pense comme mes parents. Ils ne sont pas dans la sécurité, chacun de mes cousins en est à sa douzième SARL créée (enfin, certains ont aussi des postes plus stables). Quand une boite fait faillite, on en monte une autre. Dans un sens, c'est admirable. Mais seul le fric (dépensé si possible) compte, il n'y a rien d'autre.
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