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MessagePosté: 01 Oct 2023, 12:06 
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Angela, assistante de production, parcourt la ville de Bucarest pour le casting d’une publicité sur la sécurité au travail commandée par une multinationale. Cette « Alice au pays des merveilles de l'Est » rencontre dans son épuisante journée : des grands entrepreneurs et de vrais harceleurs, des riches et des pauvres, des gens avec de graves handicaps et des partenaires de sexe, son avatar digital et une autre Angela sortie d'un vieux film oublié, des occidentaux, un chat, et même l'horloge du Chapelier Fou...

Avec ce dernier opus Radu Jude assoie plus que jamais sa place de principal héritier de Godard, et ce n'en déplaise à notre ami François pour qui ce rôle serait dévolu à Albert Serra (que je trouve personnellement bien plus bressonien que godardien dans sa démarche). Parce à qui mieux que lui le fameux aphorisme Une image juste, juste une image (merci à Déjà-vu pour me l'avoir rappelé juste avant la séance) conviendrait-il ? Ce questionnement innerve en profondeur ces derniers films, obnubilé semble-t-il par le besoin de déconstruire la fausseté des images fabriqués par le régime de Ceaucescu ou celles d'un inconscient collectif qui préfère oublier la responsabilité de la Roumanie dans le massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale.

Petit pas de côté ici, la mise en perspective historique étant moins prégnante (et ce malgré la structure en montage alterné, oscillant entre le présent du film de Jude et le film de 1981 de Lucian Bratu, qui au final renforce surtout l'impression d'un machisme de la société roumaine ayant bien peu évolué avec le temps, les mecs étant juste devenus plus ouvertement odieux), Jude se concentrant cette fois dans la description des affres de notre société moderne. Ça n'est pas très reluisant, et force est de constater que malgré une forme relativement austère et extrêmement répétitive, il parvient à pointer avec justesse maints travers de notre monde actuel : exploitation de la main d’œuvre dans une société capitaliste (tout le monde en prend pour son grade, uberisation et casse de la protection sociale, délocalisation et accaparement des ressources d'un pays tiers, salariat et non respect du code du travail, accidents du travail dont on cherche à faire endosser l'entière responsabilité à l'employé), machisme, racisme (avec cette particularité roumaine dû fait de la forte présence de roms sur son sol, honnie par la majeure partie de la population non-Rom, mais aussi ici particularisme associé à la minorité magyar), le tout bien évidemment redoublé par un questionnement formel constant.

Pour ce qui est de la critique du capitalisme, Jude ne se contente pas de pointer ses effets dévastateurs, mais (et c'est probablement le reproche principal que je pourrais faire au film) il ambitionne de les faire ressentir dans leur chair aux spectateurs mêmes. N’attendez pas trop de la fin du monde use en effet de l'épuisement à plusieurs niveaux, usure des corps à l'écran, patience des spectateurs mise à mal tant on sent que Jude fait durer toutes les séquences un peu plus que nécessaire, joue systématiquement de la répétition (les sempiternels déplacements en voiture d'Angela, quatre entretiens identiques des accidentés du travail, les 4 minutes silencieuses des croix sur la route et bien évidemment les différentes prises pour la scène finale). Une fois compris le but de Jude (et on s'en rend compte relativement rapidement), le systématisme du dispositif devient aussi sa limite. Le film est donc nécessairement trop long, sans que le but recherché m'ait convaincu pleinement (parce que trop lisible).

Mais c'est bien sur l'aspect formel que son film est une nouvelle le plus passionnant, tant tout son dispositif semble mûrement construit (j'ai rarement ressenti un basculement du noir et blanc à la couleur aussi juste par exemple) et les différents formats d'image autant porteur de sens. L'occasion d'évoquer rapidement les passages de Bobita sur TikTok, alter ego monstrueux de vulgarité d'Angela (son sas de décompression), qui d'une certaine manière m'ont semblé tisser un lien, ne serait-ce que ténu, avec Voyages en Italie, les deux n'ayant aucun scrupule quand il s'agit de relever la trivialité du monde moderne.


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 13:18 
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Antichrist
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Le projet du film est bien résumé, c'est à la fois drôle, pertinent et auto-indulgent quant à son propre dispositif. Mais c'est quelque chose, oui, et Radu Jude est l'un des derniers grands réals à tenter formellement quelque chose de différent.


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 13:26 
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Par contre, je ne sais toujours pas comment prendre l’interlude Uwe Boll.


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 13:26 
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Robot in Disguise
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J'adore comment la liste des "Topics en relation" ci-dessous commence avec des Radu Jude pour aller progressivement vers le cinéma le plus diamétralement opposé.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 01 Oct 2023, 13:35 
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Antichrist
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Lohmann a écrit:
Par contre, je ne sais toujours pas comment prendre l’interlude Uwe Boll.


Bah, ça lui permet de chier sur les critiques roumains non ?


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 13:41 
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Karloff a écrit:
Lohmann a écrit:
Par contre, je ne sais toujours pas comment prendre l’interlude Uwe Boll.


Bah, ça lui permet de chier sur les critiques roumains non ?

Ça lui permet surtout de chier sur la délocalisation des tournages en Roumanie et des conditions de travail exécrables. D’autant que l’interview est faite par Bobita. Du coup Boll endosserait le rôle de méchant exploiteur, comme Nina Hoss.


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 14:02 
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Antichrist
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En fait, comme tout le film, il renvoie tout le monde dos à dos. Quel perso génial Bobita.


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MessagePosté: 01 Oct 2023, 15:26 
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Allez vous m’avez convaincu. J’irai.


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MessagePosté: 02 Oct 2023, 12:10 
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Il me faut là arrêter les frais avec sieur Radu dont le système ou plutôt la méthode me semble tourner à vide. Protagoniste principal qui, on l’imagine, lui ressemble (hipster dans l’audiovisuel) et fait même office de porte-parole, mise en abyme, ironie qui se voudrait mordante, catalogue de citations, blagues affichant un goût suspect - car superficiel - pour le name-dropping. N’en jetez plus. Il pourra toujours alimenter la machine avec quelques gimmicks (Bobita et le filtre travestissant, les images montées en parallèle d’un vieux film roumain dont il triture en même temps l’histoire façon roman photo). Au milieu de tout ça, il se trouvera quelques images « justes » de façon commode dont il se propose non sans une certaine mégalomanie de conserver la trace : un figurant regardant la caméra qu’il immobilise avant de zoomer dessus par exemple ou une digne famille ouvrière pas tout à fait prête à se faire entuber. Sinon un catalogue de clichés sur l’exploitation de l’homme par l’homme, fonctionnant comme une version filmée de la Roumanie pour les nuls. Un dialogue entre la protagoniste et la mère est symptomatique portant sur la mort de la reine Elizabeth : la mère dit qu’elle l’aime bien, la fille à la langue bien pendue répond avec un sarcasme de bon alois. Voilà qui résume en somme la verve satirique du réalisateur roumain. Notre heroïne jure comme un charretier mais lit Proust et Tom Jones de Tom Fielding, petit père des satiristes. Dotée d’un job de merde, satiriste des masculinistes venus troncher de la roumaine, elle est capable de parler Goethe et Stevenson. Merveilleux. Le pendant local du film de la réalisatrice allemande sur le mal-être de la capitaliste allemande, le titre me revient, Toni Erdmann. Et si Jude et Ruben Ostlund, ces deux adeptes des réseaux sociaux, étaient les plus grosses fraudes ce cinéma satirique neobourgeois contemporaines?

Lohmann a écrit:
Par contre, je ne sais toujours pas comment prendre l’interlude Uwe Boll.


Figure significative, un peu punk du cinéma-entrepreunariat de ces 30 dernières années, à la manière d'un Ed Wood, dont on ne s'étonne pas qu'il a parti liée à l'industrie cinématographique roumaine et ses tournages low-cost. Finalement, il a inventé le combat en forme de duel médiatique à l'ère moderne, au tout début des réseaux sociaux.


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