Dans une horlogerie suisse où commencent à poindre les bouleversements induits par les avancées technologiques du XIXe siècle, Josephine, une jeune ouvrière, fabrique le balancier, véritable cœur des mécanismes. Alors que les dirigeants y réorganisent le travail, le temps et les salaires pour rester compétitifs, elle se retrouve mêlée à un mouvement local d’horlogers anarchistes où elle rencontre l’aventurier russe Pierre Kropotkine.Fine description des prémices du taylorisme, baigné d'une lumière naturelle (mais dont on a tout de même l'impression qu'elle est un peu filtrée, la photo a comme un petit voile diaphane), Désordres n'est pas sans rappeler les débuts du capitalisme croqué dans First Cow. Mais plus qu'à Reichardt, c'est à Peter Watkins, celui d'Edvard Munch et de La Commune, que l'on pense surtout. Mise en scène qui épouse jusque dans ses moindres détails les motivations du mouvement anarchiste naissant, avec ses cadres totalement excentrés qui redoublent le travail cartographique de Kropotkine (définir un territoire par et pour ceux qui l'habitent, en n'utilisant que les noms des lieux dits à la place des villes usuelles, ou en éliminant toutes formes de frontières), ou encore une bande son qui rend concrète l'aspiration à une égalité parfaite entre tout individu. Cela donne des scènes parfois très étonnantes (telle celle de l'image ci-dessus), où l'apparente sophistication de la composition est compensée par des dialogues qui annule toute profondeur de champs, peu importe la distance entre les acteurs et la caméra le volume de leur voix étant toujours identique.
Et malgré son dispositif hyper rigoureux dont il ne dévie jamais, loin de livrer l'œuvre rébarbative et empruntée que l'on pourrait craindre le film est au contraire un bel exemple de naturalisme brut (la majeure partie des acteurs sont non professionnels, le rendu final pourrait aussi faire penser à Rabah Ameur Zaïmeche) et emprunt d'une vraie légèreté, aidé en cela par son humour pince-sans rire tout helvétique (dont je ne peux pas croire que Schäublin ne le surjoue pas un peu). Humour qui fait se confronter une parole dont est exclu toute acrimonie (on empêche les mauvais payeurs de voter en s'excusant, on en vire d'autres en se saluant comme si on venait de prendre le thé ensemble, on en envoie une troisième au cachot tout en lui laissant ses outils pour qu'elle puisse régler son amende) à la violence symbolique de l'encadrement de l'usine, une armée de contrôleur en blouse blanche qui passe toute leur journée à chronométrer le temps de chaque étape du montage d'une montre, les déplacements d'un bâtiment à un autre, le meilleur raccourci pour couper à travers la forêt. Hilarant et glaçant à la fois, tant il semble impossible aux travailleuses de se révolter contre leur condition de travail et leur salaire de misère face à la bonhommie du patronat et de la maréchaussée. C'est en captant alors avec minutie le travail méticuleux de ces ouvrières de l'horlogerie que Schäublin leur redonne tout leur honneur.
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