Art Core a écrit:
J'aimerai comprendre le lien avec toutes la partie histoire architecturale de Berlin mais ça n'a pas cliqué chez moi.
Je me suis aussi posé la question et je me suis souvenu que dans "Barbara", une longue scène citait presque mot pour mot un chapitre d'un roman de WG Sebald (extrait du roman "Les Anneaux de Saturne").
Sebald, c'est un romancier qui construit ces récits comme des enquêtes mêlant histoire individuelle et grande Histoire: il fait ressurgir le passé oublié, effacé, de personnages d'exilés, de déportés, à travers l'étude érudite d'une masse impressionnante de documents d'archives, d'oeuvres d'art, de monuments de toutes sortes, dont il retrace l'histoire, parce qu'à travers elle se dessine le fantôme du passé de ces exilés, dont la mémoire n'existe qu'à l'état de traces. Je simplifie beaucoup sans doute, mais j'ai lu ces romans il y a un moment, tout en en gardant une très forte impression ("Austerlitz" en particulier, c'est un des plus beaux romans que j'aie lus).
Par certains aspects, ce sont aussi les grands thèmes des Petzold que j'ai vus ("Transit", "Phoenix", "Barbara").
Dans celui-ci, les longs monologues sur l'architecture de la ville font ressurgir les différentes strates de l'histoire allemande: la maquette de Berlin fait ainsi apparaître, en couleurs et en formes bien visibles, tout ce par quoi la ville a été marquée et qui, dans le film, n'est pas visible (la destruction par les Alliés, la reconstruction à l'américaine ou façon soviétique, la division est/ouest puis la réunification, et la reconstitution à l'identique de monuments détruits comme le Château de Berlin, apparition fantomatique du 18e siècle en plein 21e, comme dit le dialogue). Ces cours d'histoire architecturale sont déjà des histoires de fantômes, et résonnent avec l'histoire amoureuse, sortie du fonds des légendes germaniques.
(C'est un peu la même approche que chez Sebald, mais selon une perspective opposée: chez Sebald, le passé des personnages apparaît en filigrane, à travers l'exploration des archives; ici, c'est le passé de la ville qui apparaît en filigrane à travers le récit amoureux)
Par exemple, je me suis demandé si l'histoire d'amour entre Ondine et le plongeur ne rejouait pas une partie de l'histoire de Berlin, quand la ville était divisée par un mur: pendant tout le film, les deux amants doivent traverser toute la ville en train pour se retrouver, comme s'ils vivaient dans deux mondes séparés, impossibles à réunir. Symboliquement, le plongeur travaille sur un barrage, sur les soudures de trappes sous-marines qui doivent être maintenues ouvertes ou fermées, comme si ce barrage était en fait ce qui le séparait d'Ondine. La légende (avec cette histoire d'amoureux vivant dans deux mondes différents, l'un sur terre, l'autre sous l'eau) fait ainsi revenir quelque chose de l'Histoire récente.
Le film est étrangement construit: il y a d'un côté un amour qui semble fusionnel (Ondine et le plongeur), et de l'autre, le soupçon que cet amour unique se rejoue en fait sans cesse sous diverses formes, à travers le temps (puisque le film commence par une rupture amoureuse, et qu'Ondine ne semble pas moins amoureuse du précédent amant que du plongeur; son nom est écrit au fond de l'eau, assorti d'un coeur, comme si elle vivait depuis des temps immémoriaux et répétait sans cesse la même histoire d'amour et de rupture)
Que ce soit dans les cours sur l'architecture de la ville ou dans les histoires d'amour, il y a donc cette idée commune d'une unité originelle perdue, forcément légendaire, mais rejouée et recherchée quand même, comme une "soudure" remédiant aux divisions et aux séparations de l'Histoire.
Je ne sais pas trop où Petzold veut en venir avec tout ça - parce que par ailleurs, le film m'a semblé tout "plate" comme on dit au Québec: très lisse, très théorique, ne nous donnant jamais une chance de croire à ces fantômes.