Le délitement d’un homme, d’un couple et de l’hôpital public dans une ville de province russe.
Juste après
Climats de Ceylan, le film fait office de bouffée d’air alors que le sujet est en partie le même (mais l'amour est mort-né chez Ceylan). Même les critiques les plus négatives du film de Ceylan sur imdb admettaient qu'il bénéficiait de jolis paysages. Point de jolis paysages ici, si vous voyez ce que je veux dire, mais autrement plus d'intérêt.
Autre différence importante, qui concerne l’intrication de la sphère intime et professionnelle. Dans le film de Ceylan, on voit brièvement le personnage dans l’université où il enseigne et dans des discussions avec un collègue, jamais tiré de son solipsisme pourtant. En fait, le personnage n’a aucun intérêt, ses atermoiements sentimentaux non plus même si certains disent que c’est fait exprès.
Ici, loin de cette anémie, on suit les pérégrinations d’un médecin urgentiste dans un récit hybride qui allie une sobriété de cinéma d’auteur et une efficacité narrative toute hollywoodienne. C’est en définitive ce caractère hybride et no-nonsense, typiquement russe, qui frappe : d’un côté pas de musique extérieure au récit à part au moment du générique final par exemple - et encore ça n’arrive que deux fois - des plages de silence qui viennent déchirer les dialogues ou les aspirer, de l’autre la description quasi idéalisée du professionnel qui excelle dans son travail - pas n’importe lequel, on l'a dit - et s’oppose à une hiérarchie et des directives absurdes (mais son opposition dans les confrontations directes est presque nulle, loin d'être hollywoodienne).
Ses conflits intérieurs se déclinent en conflits de couple et conflits avec ses supérieurs, ce qui lui confère cet aspect systématiquement hybride qui correspond à celui du film, héros ordinaire ou type pathétique, plus certainement entre les deux, ou un peu des deux alternativement, mais toujours émouvant. Le film fait preuve d’une compétence sèche, qui suscite souvent l’amusement dans sa manière de regarder ce qu’il raconte dans les yeux, sans chichis comme on dit, avec ce regard qu’on imagine être celui des médecins tout particulièrement, pour finir par accoucher d'une émotion, "pas peu exigeante en termes de temporalité", pour citer notre ami Juan Branco.
Ici pas de russité intrusive et artificielle, de désolation surjouée et pesante comme chez Zvyagintsev : le film, malgré son côté désabusé, fait preuve d’énergie et de naturel, même si l’alcool coule un peu plus que de raison - je n’avais pas encore précisé que le personnage principal avait un problème avec. Les acteurs sont au tops, Gorbacheva qui joue la femme gagne en présence au fil du film de manière impressionnante, mais c’est aussi le cas de l’ambulancier qui accompagne Oleg par exemple, une espèce de colosse au regard doux et un peu las. Pour "le portrait en creux de la Russie actuelle", évoqué comme un cliché éculé par bon nombre de critiques dans les extraits allocine, on repassera, le film me semble bien plus universel.
Nota bene : les médecins en Russie dans le public, qui font des études de sept ans je crois, gagnent d’après les déclarations officielles un peu plus de 700 euros par mois.
Dans un article de 2017, je lis que « le taux horaire d'un médecin (2,30 euros) est inférieur à celui d'un travailleur de la chaîne McDonald's (2,40 euros) » dans un autre de 2019, « Irina Volronova is a neurologist at a public hospital in Yaroslavl, a city north of Moscow. She earns approximately $365, less than half of what she should be earning according to a decree signed by President Vladimir Putin. »
L'avis de changjackie sinon, qui a consacré pour le moment sa filmo à la description du monde hospitalier et de du métier de médecin, serait intéressant, mais on le connaîtra pas.
5/6 les doigts dans le nez (et typiquement le genre de film dont la moyenne des spectateurs sur allocine va être meilleure que la moyenne des critiques - raisonnablement enthousiastes - d'une manière somme toute logique).
la critique de cultureaupoing est bien
https://www.culturopoing.com/cinema/sor ... e/20180802