J'ai trouvé sur Google Book un large extrait du texte de Serge Daney dont tu parles, ainsi qu'une interview faite dans son émission de France-Culture entre lui et Wim Wenders à l'époque des Ailes du Désir. Le texte est sans doute un de ses derniers, ce qui explique peut-être son ton à la fois désabusé et égocentrique. La différence entre la sévérité de Daney à l'égard de Wenders en 1990 (il est vrai liée à une perte de qualité et de pertinence de l'œuvre de Wenders assez unanimement partagée par la critique : une double récompense à Cannes clôture en fait un cycle chez un auteur, et Daney le dit à mots couverts dans l'interview, cela arrive souvent comme avec HHH récemment) et le ton fraternel de l'interview de quatre ans antérieure est assez frappante et donne une impression de malaise hypocrite dans l'amitié, pas propre à Daney mais peut-être au ton à la fois critique et cinéphile. Dans l'interview, Daney dit assez justement qu'il n'y a jamais de représentation de la méchanceté dans les films de Wenders, elle est remplacé par un mystère ontologique et materialisé (une atmosphère, une lumière, une rue) : le mal est la fiction au sein de la fiction, irrepresentable par elle.
Il y a beaucoup d'humour dans
Au fil du Temps. La scène du suicide est très nerveuse, filmée comme la poursuite de Bullitt, mais la voiture n'est qu'une petite Coccinelle enfantine. Au moment de chier, Rüdiger Vögler annonce pudiquement, de manière enfantine
Je vais faire pipi, mais la radicalité du plan suivant fout par terre ce tact. La sphère de la dérision correspond exactement à celle de la matière, jamais à celle de l'humain, et c'est là la gentillesse dont parle Daney.
Je crois que Wenders a un imaginaire privé très particulier, où le christianisme est codé par les atttitudes sociales anodines et communes, qui perdent dès lors leur sens et leur autonomie et deviennent de pures représentations. Il s'est retrouvé accidentellement en résonnance avec la sensibilité post-68 .Ce qui était crise (au double sens de faillite existentielle et de rejet critique) au point de vue politique et collectif devient une forme de rachat au point de vue moral et individuel, l'image n'est qu'une articulation entre les deux moments, la conversion elle-même.
Ce qui est singulier dans le film, c'est le logo pop du titre, rappelant celui de Coca-Cola, à la fois opportuniste et nostalgique, commercial et rond.
Par ailleurs le film a eu une grosse influence sur Taxi Driver, la scène où de Niro emmene Sybil Shepherd au cinéma porno est reprise d'Au fil du Temps
,chez Wenders elle est déjà triste - c'est un adieu, mais sans tragique ni dimension baroque.(Scorsese et Wenders partagent peut-être un même rapporr au christianisme, à la violence et au corps, mais ce qui est folie chez l'Americain reste pensé en terme de connaissance et d'initiation pédagogique chez l'Allemand, au sein d'une même démarche de condamnation du réel et de recherche de pureté à la fois morale et psychologique).
Texte court mais très intéressant (venu d'un autre âge d'Internet) sur l'affinité entre le cinéma de Wenders et l'architecture de Jean Nouvel, jusque dans leur crise liée à un excès de reconnaissance :
https://www.bourbouze-graindorge.com/IM ... nouvel.pdf