Je pense que les gamers devraient kiffer ce film.
En même temps, je dis ça mais je suis pas un gros gamer et j'ai adoré la logique vidéoludique du pitch, le potentiel narratif qu'il amène mais aussi ce qu'il permet au cinéaste de raconter au-delà du cocktail d'action et de SF. Et de film de guerre.
Le mal-aimé (ou mésestimé) Doug Liman continue son petit bonhomme de chemin, abordant à chaque film un nouveau genre tout en y apportant sa sensibilité, son point de vue, cet ancrage dans le réel qui se manifeste tant au travers de la forme que dans le fond.
Visuellement, le mec a vraiment trouvé son style sur
The Bourne Identity : ces tonalités de gris parfois chromé, cette caméra portée de tous les instants. C'est pas la patte la plus originale du monde mais c'est pas exactement ce que font un Abrams (plus nerveux, plus coloré, plus flashy, *flare*) ou un Greengrass (plus épuré dans la photo, plus radical, dans le grain et le filmage à l'épaule) par exemple.
Avec
Jumper, Liman faisait pour le film de super-héros ce qu'il avait fait six ans auparavant pour le film d'espionnage, embrassant les codes du genre en y apportant un peu de fraîcheur par le biais de cette approche esthétique qui changeait clairement des mètres-étalons du genre (qu'il s'agisse du
Superman de Donner, des
Batman de Burton, Schumacher ou Nolan, de tous les Marvel...) et qui collait à la caractérisation de son héros qui n'en était pas (encore) un.
On retrouve de ça dans
Edge of Tomorrow. Contrairement au film de super-héros, la SF et le film de guerre ont déjà connu ce genre de traitement formellement "réaliste" (
Saving Private Ryan,
Minority Report pour citer les meilleurs), mais Liman parvient toutefois à apporter un peu de nouveauté dans le mélange des deux. Après une rapide entrée en matière faite d'extraits télévisés, on est propulsé sur le front lors d'une scène ahurissante, en plein débarquement sur une plage, sauf qu'ici on est largués d'un avion vêtu d'une armure mecha.
En faisant de sa guerre, opposant humains et aliens (au design plutôt original), une guerre de tranchées qui rappelle aussi ouvertement la Seconde Guerre Mondiale - situer l'action en Angleterre et en France n'est pas innocent - Liman troque une imagerie cinématographiquement déjà vue (on n'est pas dans une guerre futuriste à la
Terminator ou
Matrix, ni dans du film d'invasion extra-terrestre à la
Independence Day, par exemple) pour une imagerie familière mais du réel (le débarquement en Normandie). Ce faisant, il parvient non seulement à assoir ce postulat de SF dans une imagerie autrement plus proche de nous mais il entame également son propos sur la guerre elle-même.
On va pas se mentir,
Edge of Tomorrow est principalement un
ride au rythme presque parfait qui exploite à merveille les possibilités de son concept à la
Un jour sans fin. Ou plutôt à la jeu vidéo.
Le principe de l'intrigue, qui voit le protagoniste se réveiller chaque matin avant le débarquement avant de mourir au combat, parvenant jour après jour à survivre un peu plus longtemps parce qu'il sait d'où vont l'attaquer ses adversaires, renvoient évidemment au
gameplay d'un jeu vidéo où l'on
respawn en début de
level à chaque fois que l'on meurt, conscient des obstacles à venir et donc plus préparé à les surmonter.
À l'instar de
Jumper qui déroulait son univers au travers de l'action plutôt que de s'arrêter pour l'exposer, et qui faisait état de scènes d'action assez "exigeantes" pour l'oeil du spectateur, appelé à suivre les mouvements trop rapides pour la caméra des téléporteurs,
Edge of Tomorrow ne prend jamais le spectateur pour un con et ose des ellipses massives dès que le concept est posé. Cette fois, c'est l'intrigue qui se téléporte. Et le film va très vite parce qu'il sait qu'il peut demander au public de suivre.
En ça, c'est assez jouissif à regarder. Voir le personnage de Tom Cruise évoluer, devenir de plus en plus
badass sur le terrain, jusqu'à être imbattable, (si je voulais faire une critique hors sujet de poseur, je dirai qu'en méta, c'est un peu le film qui raconte comment Tom Cruise est devenu Tom Cruise), se fait aussi avec beaucoup d'humour (génial petit perso secondaire de Bill Paxton, l'un des nombreux clins d'oeils à
Aliens) avec ces inévitables séquences où le héros sait tout sur tout le monde mais auxquelles l'écriture, la réa et le montage confèrent un dynamisme de fou, avec aussi quelques idées ça et là (le camion). Je suis vraiment admiratif de la façon dont le film ne perd presque jamais de temps.
Le film n'est jamais aussi bon que lorsqu'il exploite à fond ce potentiel, dans l'humour, dans l'action (bien qu'elle soit secondaire, Liman a mis les petits plats dans les grands et rend sa caméra un peu plus aérienne mais avec un dynamisme et parfois un chaos qui, une fois de plus, collent de plus près au réel), mais aussi dans la relation naissante entre les deux personnages. On est évidemment pas dans la romcom comme chez Harold Ramis mais, une fois de plus, dans le film de guerre, qui s'avère en réalité le principal genre du film. Celui qui dû attirer Liman. Parce qu'ici, le personnage d'Emily Blunt, contrairement à celui d'Andie McDowell, bah il crève aussi.
Cruise la voit mourir jour après jour, tous les jours, un nombre incalculable de fois, jusqu'à ce que ça lui devienne insupportable.
C'est là aussi que le film est assez intéressant, dans la façon dont le concept SF implique de manière inhérente un triste constat du statut de soldat. Pour les troufions, chaque jour ressemble au précédent. Ici, c'est littéralement le cas. Comme en témoignent également une scène où sont évoquées les guerres passées directement dans le texte, l'Histoire est condamnée à se répéter inlassablement. Toutes les guerres sont les mêmes (comme je le disais, c'est pas pour rien que Liman refait le débarquement, le parallèle est délibéré).
Je me demandais ce que l'auteur de films comme
The Bourne Identity et
Fair Game, oeuvres critiques du traitement réservé à leurs "soldats" par les services secrets américains, avait trouvé dans ce projet. Et c'est donc cet angle-là, qu'il traite une fois de plus, en filigrane, avec ces troufions "jetables" que l'on sacrifie sur le front. Je trouvais débile le casting de Cruise en troufion mais la justification va en fait dans le sens de ce propos : l'acteur joue un Major chargés des Médias. Il est l'image de l'armée à la télé, apparaissant pour vendre la guerre dans des JT entrecoupés de propagande militaire aux accents presque verhoeveniens. Mais ça, c'est avant de faire une bourde qui lui vaudra d'être rétrogradé. Il y a quelque chose d'assez vénère dans ce choix de balancer celui qui se vante d'avoir "convaincu des milliers de gens à faire la guerre" dans la guerre en question. Une leçon.
Durant les deux premiers tiers,
Edge of Tomorrow est génial. Comme je le disais, le film brille lorsqu'il va vite, explore les richesses de son univers, a des choses à dire. Dès qu'il s'interrompt pour donner dans de l'exposition obligatoire (les scènes avec Carter), il se fait plus banal. À l'image de ce dernier acte, plus classique et donc plus faible.
Mais c'est compensé par une dernière scène et un dernier plan très beaux.