Rome et sa banlieue, en hiver. Deux voleurs vieillissants et sans envergure, mais jouissant bizarrement d'un certain prestige et d'une certaine autorité, tentent maladroitement de voler une Fiat 1400, et sont pris par la police, ayant coincé le klaxon. Cosimo, le plus entreprenant des deux, est envoyé en prison. Récidiviste, il cherche un pigeon qui endosserait le délit et échangerait sa place derrière les barreaux, moyennant une rétribution de 100 000 lires (la pratique est apparemment courante et est presque une alternative au chômage et à la retraite). Il démarche auprès de sa bande : Mario (Renato Salvatori) un jeune blouson noir, orphelin, qui sert d'agent de recouvrement, mais se montre un peu trop tendre et timide pour le job. Ferribotte (Tiberio Murgia*), un Sicilien, petit , rogue et taciturne, qui séqueste, d'ailleurs sans grande violence, sa soeur (Claudia Cardinale) pour la placer dans un bon parti conjugal. Capannelle, un vieux pique-assiette un peu sénile. Tiberio, un photographe, visiblement plus riche, mais dont la femme est en prison pour escroquerie, qui hérite d'un nouveau-né. Il insiste sur son rôle de papa-poule pour tirer une certaine autorité auprès de la bande sans se montrer particulièrement actif. Norma, vraisemblablement prostituée et suffisamment élégante pour donner le change. Tous refusent, mais se rabattent sur Peppe (Vittorio Gassman), un boxeur de troisième ordre, au casier vierge. Celui-ci se dénonce, mais de manière comiquement et grotesquement théâtrale, peut-être par ruse. Il finit lui-aussi en prison, mais libéré avant Cosimo, lui vole le plan du casse que celui-ci avait en tête pour trouver l'argent. Un maçon aurait confié à Cosimo que l'appartement voisin d'un mont-de-piété, au centre de Rome, avait été rénové avec une maçonnerie de mauvaise qualité, et donnait directement sur le coffre. Entreprenant et intelligent, Peppe finit par diriger la bande de Cosimo, et prend conseil auprès de Dante Cruciani (Toto, première fois que je le vois et remarquable, dans un rôle d'ailleurs finalement peu comique et quasi- melvillien), une légende du forçage des coffre-fort, qui les entraîne et les brieffe, payé sur l'épargne des nourrices de Mario. Il surveille aussi par caméra le lieu du casse, entouré d'immeubles neufs et de rues en hauteur, pour collecter des informations. Plusieurs indices laissent pressentir que l'opération sera plus difficile que prévu, l'appartement censé être vide est habité par deux vieilles filles et leur jeune bonne (Carla Gravina, d'ailleurs superbe et plus marquante que Claudia Cardinale). Peppe, bien de sa personne, monte un stratagème pour la séduire et s'approcher plus facilement de l'appartement. Il remarque que la jeune fille est assez libre, mais a honte de son statut, et affabule un peu en se présentant comme la fille d'une famille de haut-gradés militaires.Considéré comme un film de transition dans la comédie italienne, délaissant le néo-réalisme pour une fibre plus sociale et cynique, celle de Dino Risi et Ettore Scola (c'est aussi le premier succès critique d'Age et Scarpelli), le film avec sa distribution de folie anticipe aussi indirectement sur les films de "heist" à ensemble cast américains (les Ocean, mais aussi M.I. ou même Mann voire Inception). C'est lui-même une forme de déconstruction de
Rififi chez les Hommes de Dassin ou
Bob le Flambeur. Il n'a pas vieilli et reste un plaisir de spectateur, notamment du fait deses dialogues brillants et extrêmement drôles (
C'est trop tôt : il ira en prison quand il sera grand ) d'Age-Scarpelli (humour bien plus rafiné et intemporel que chez Audiard, plus dans l'observation sociale, mais aussi parfois dans l'absurde, on peut penser au meilleur de Fluide Glacial - Scarpelli était d'ailleurs un peu une sorte de Gotlib avant de passer au scénario) . La mise en scène de Monicelli est aussi brillante, peut-être plus dynamique et mobile que celle de Dino Risi (la superbe caméra mobile sur l'immeuble, en décors réel, lorsque le plan du casse est exposé, le contre-plongé et les échelles de plans dignes de
L'Obsédé en Plein Jour d'_Oshima sur le couple de bobo qui s'engueule dans la véranda, le plan improbable sur les trois tabliers à motif Donald des marraines de Renato Salvatori, proto-frères Coen, ou le travelling remarquable dans la cave).
Le fond politique est bien là. Le casse ne peut pas réussir, ils ne convoitent pas une banque, mais un Mont de Piété où des gens semblables à eux aliènent directement leur bien (gag terrible du revolver Beretta "usagé, 1000 lires").
Pierre Carles voit dans le film une critique idéologique du travail en tant que tel. Il y a de cela (
Soyez réaliste, vous ne serez jamais des voleurs, vous êtes tout juste bons à travailler) mais c'est plus complexe, même si le film oppose en effet l'idéal social (et partage des richesses, inaccessibles et provocantes) au travail (à la fois commun et individuel, séparé), et met en scène le saccage à la fois gratuit et involontaire d'un appartement cossu du centre de Rome par des des habitants des faubourgs, qui convoitent (avec plus de désir que d'agressivité) le centre. Le film n'enfonce pas les personnages, ils sont silencieusement conscients de leurs défaut et de leur situation, d'où la communauté réelle, malgré l'échec et la dispersion (mais quand Gassman reprendra son personnage de boxeur dans les Monstres, sa blessure et sa débilité maintiendront le rapport sentimental malgré sa perte de justification économique. La caméra s'arrêtera, la justesse de la distance remplaçant le mouvement centrifuge dispersant le groupe dans le réel). Cette lucidité est cependant brièvement explicite dans la réplique, apparemment anodine, de Gassman, qui remarque qu'en prêant plus d'attention à la plainte de la jeune femme
ces deux pies me font travailler pour rien, toujours à échanger les meubles du salon et du couloir, le casse aurait pu réussir...
L'enjeu du cinéma ultérieur de Scola et Risi (voire Comencini dans le Grand Embouteillage) va être de se débarrasser du prétexte policier et de l'illégalisme, pour cerner plus directement les rapports sociaux et la question de classe, inscrire l'échec dans une condition plutôt qu'un récit, mais maintenir le portrait de groupe (une communauté sans récit, impuissante mais ordonnée directement par des valeurs). Mais cela sera aussi au prix d'un plus grand cynisme, fataliste et désespéré , et de la perte de ce recul lucide des personnages sur eux-mêmes.
Ici les personnages persévèrent (sauf Salvatori, tiens d'ailleurs les plus généreux ici n'ont pas de famille, comme Gassman qui fait exprès de louper le casse pour ne pas incriminer la bonne, principale suspecte. La famille renvoie au pouvoir et à l'exploitation, bizarrement elle est aussi sans lieu propre, avec la prisonnière de Mastroianni, les mensonges de la bonne ou les stratégies spéculatives du Sicilien), même s'il savent vite que cela va foirer. La solidarité est autant un idéal que la sécurité matérielle, elle demande elle-même une forme de technique que les personnages savent être une jouissance, et l'échec volontaire, l'imitation de l'ironie du destin, est ici tout à la fois la pudeur de la morale et la parole qui maintient et transmet l'énoncé de l'injustice subie.
*Sarde (et rescapé de la catastrophe de Marcinelles dans des des circonstances dignes du film)
*(la page Wikipédia italienne du film oublie complètement le personnage, drôle mais antipathique, de Mastroianni)
Belle B.O. jazzy (comme chez Scola) de Piero Umiliani