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MessagePosté: 05 Mar 2018, 00:50 
1945, à la toute fin de la seconde guerre mondiale, au Japon. Pendant que les grandes villes sont bombardées et brûlent, un village de montagné isolé, resté relativement préservé du conflit a accueilli un certains nombre de femmes et enfants réfugiés de la ville. Il recueille également un aviateur américain noir, tombé en parachute dans la jungle environnante et blessé à la jambe.

Le maire du village, autoritaire et impopulaire, applique les consignes des autorités militaires, qui imposent (tout en promettant récompense et un dédomagement) de maintenir le prisonnier en vie jusqu'à ce que la police militaire arrive, pour organiser un transfert. Il demande à une famille pauvre, devant déjà gérer des réfugiés, de le nourrir. Mais le bombardement des villes fait que cette consigne ne connaît pas de suite. Le prisonnier est entreposé dans une étable à bestiaux, le pied ferré dans un piège. Seuls les enfants du village interagissent directement avec lui ; pour eux l'altérité de la couleur de peau réduit celle qui existe entre Japonais et ennemi.

Les adultes ont un rapport plus flou et méfiant avec lui. Le prisonnier, d'abord traité correctement, est réduit à l'état de chose, maintenue à distance, mais sa venue va rendre de plus en plus apparents toute une série de conflits larvés, entre le maire riche et des édiles pauvres, les familles de réfugiés de Tokyo et leurs hôtes, les gueules cassées du début de la guerre maintenant liées au pouvoir local et les jeunes recrues qui ne veulent plus aller au front pour une cause perdue, les amants et les maîtresses. Seuls trois enfants, un gamin d'une dizaine d'années, un autre d'une quinzaine d'années et sa jolie cousine réfugiée un peu plus âgée, et convoitée par les hommes du village, vont tenter de rester extérieurs à cet engrenage.



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Il s'agît d'un adaptation d'une nouvelle de Kenzaburō Ōe, et d'un film de commande pour Oshima. Le cinéaste, tricard dans les grand studios à cause de sa proximité avec les Communistes, et dans l'attente de monter sa propre structure de production, avait accepté cette commande d'un petit studio qui fera faillite peu après. Le tournage et la production semblent avoir été assez houleux, avec des conflits entre Oshima, le studio et l' écrivain sur le cut final
et une petite incohérence de scénario au milieu du film, où on ne comprend pas qui est la fille qui s'est suicidée, même si la mise en scène à ce moment est extrêmement puissante et rend ce passage marquant
. Il a la réputation d'être un film plutôt mineur dans la filmographie de son auteur.
Il s'agît pourtant d'un film remarquable, et d'une bonne porte d'entrée dans l'oeuvre d'Oshima.
"Le Piège" est exactement à cheval entre la veine néoréaliste chorale de ses premiers films et les expérimentations formelles (ainsi que le retour paradoxal vers un dramaturgie théâtrale proche de Brecht, à la fois épurée et conflictuelle) de la fin des années 60.

Au vu du scénario, je redoutais que l'intrigue ne laisse place à un récit un peu édifiant et didactique (à la Rhinocéros de Ionesco), comme dans la Pendaison , mais cette dimension, si elle n'est pas absente, est englobée dans un humour caustique (la situation ressemble beaucoup aux tragi-comédies de la collaboration ou de l'épuration que l'on connaît en France, telles que Uranus de Marcel Aymé, dans une version tout aussi cruelle mais plus marquée politiquement à gauche) un souffle lyrique (qui permet à la communauté filmée de s'incarner) ainsi qu'une forme cinématographique éblouissante, qui renforcent la critique du racisme au centre de la situation, tout en la décentrant en même temps, en en faisant le hors-champ que les personnages ne comprennent pas, mais qui est matériellement présent.
Le film est composé de plans-séquence (souvent en plongée distantes à la grue) sublimes. La manière de filmer les corps de très près, mais en scope, est d'une puissance érotique troublante (mais transférée habilement du corps vers l'aspect irrationnel et groteque de la communauté ; cet érotisme est l'inconscience des villageois vis-à-vis de ce qu'ils produisent et pourrait les sauver). Le regard sur l'enfance, comme condition collective, située dans l'écart qui sépare la condition de spectateur de celle de juge) est remarquable.
La scène de l'assaut sur le cabanon, à sûrement été vue par Kubrick, qui s'en est souvenu dans Shining.

Au niveau politique et sociologique, c'est aussi un film extrêmement intéressant, permettant de comprendre en quoi la seconde guerre mondiale avait accusé le fossé entre un Japon des villes, bureaucratiques, nationalistes, et des campagnes plus pauvres, visiblement un peu à l'écart du conflit et plus sceptiques sur le nationalisme du régime, du fait même de leur complexe d'infériorité économique. La scène où les enfants se réjouissent (dans une attitude qui est exactement à cheval entre la fascination devant un théâtre d'enfant et un ressentiment politique complètement poujadiste, cyniquement adulte et conscient de lui) du bombardement de Tokyo, qu'ils surplombent, est extrêmement marquante.

C'est aussi un film extrêmement fort dans son angle d'approche global, notamment à la fin, où le film continue une vingtaine de minutes après
la mise à mort du prisonnier, par une horde dirigée par le maire qui jusque là le protégeait, qui voit l'occasion de cacher une turpitude sexuelle qui vient d'être révélé par les femmes
. Phrase terrible et en même temps extrêmement comique : Bon on va dire qu'on va oublier cette historie de nègre, ainsi que ce qui s'est passé pendant la guerre.
Il traite le refoulement de la culpabilté devant le fascisme non pas comme un processus inconscient, cathartique, mais justement comme un programme conscient, délibéré et discuté en commun, qui est plutôt le terme final que l'expression de cette dimension catharique. Ce refoulement, planifié, est situé dans l'intervale exact entre le moment où l'adminstration de l'état japonais n'existe plus, la guerre terminée, et celui où le nouveau régime lié à l'arrivée des Américains ne s'est pas encore installé, mais est déjà connu. C'est un moment de paix et de tranquillité paradoxale, qui montre que les villageois avaient tout à fait la capacité de mettre en oeuvre une forme de savoir et de pratique démocratique, en discutant ensemble de leur sort, si cette aptitude n'avait pas été employé à mauvais escient et marquée par la honte et la recherche d'une expiation. Cette culpabilité est aussi le moment de la reprise des vieilles traditions villageoises (la fête du feu, dans une scène très forte, qui la montre du point de vue d'un des trois gamins qui a essayé de rester moral, suromplombant ce spectacle, dont il comprend la part de comédie sinistre), que le nationalisme guerrier, tout en en faisant une justification, avait interrompue.
Dans cet écart entre ordres ancien et nouveau, le refoulement de la culpabilité apparaît non pas comme l'antithèse, mais comme au contraire la conséquence inévitable et voulue comme telle, d'une délibération consciente et collective d'un récit "officiel" sur la seconde guerre mondiale. Cette amnésie programmée est à la fois l'opposé et l'équivalent en terme de "valeur" morale de la bureaucratie vaincue (mais que le nouveau régime d'occupant doit maintenir pour ne pas créer un vide de pouvoir) et d'un espace qui aurait pu être celui d'une démarche révolutionnaire (le pauvre père de famille bouc-émissaire du village, grotesque et obséquieux, à qui on veut coller le meurtre du soldat, et qui explose et ose finalement défier le maire, qui lui-même s'écrase).

Enfin c'est un superbe film-monde, qui fait vivre une collectivité.
Cela suscite d'ailleurs une interrogation sur le cinéma d'Oshima : à la fin des années 60, plus son cinéma devenait radical politiquement plus il se centrait sur des groupes de plus en plus réduits, passant du lumpen-prolériat (l'Enterrement du Soleil et ce film-ci) au parti-famille (Nuit et Brouillard au Japon et la Cérémonie) puis au quator amoureux malade comme reliquat d'une expérience communiste échouée (l'Obsédé en plein Jour ) et finalement couple suicidaire (Journal d'un Voleur de Shinjuku puis ses succès commerciaux des années 1970) qui devient comme un point de rebroussement plutôt qu'un achèvement (vers le camp de prisonnier et l'amour-passion gay de Furyo, vus comme les deux faces d'une synthèse). Il y a peut-être dans le mélange de revendication et de mélancolie subie de cette trajectoire un miroir des points aveugles du mouvement politique réel de l'époque, une forme de lucidité critique qui, sait reconstruire et justifier les points de biffurcation des luttes de l'époque, mais sans malheureusement pourvoir s'y arrêter et suggérer une reprise pour un nouvel essai, et se consumant dans la proclamation de cette impuissance ( le désir et le manque sont alors transférés du corps vers la mémoire).

Très belle musique de Riichiro Manabe, proche du mélange de modernisme et de traditionnalisme du plus connu Toru Takemitsu.

Un bon article sur le film : http://www.dvdclassik.com/critique/le-piege-oshima


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