Nihon no yoru to kiri (
日本の夜と霧) en VO.
1960. Le mariage de deux jeunes étudiants engagés marque l'apaisement d'une année politiquement agitée, dans le sillage du changement de ligne du Parti communiste japonais. Mais l'arrivée d'un invité inattendu, accusant ce mariage de trahir la lutte des étudiants, va pousser les langues à se délier et les blessures à se rouvrir...Oshima est, en 1960, plus clairvoyant sur les mouvements d'extrême gauche que la plupart des films politico-engagés de la décennie qui suivra. Faisant un pas de recul vis-à-vis de l'idéologie (bien qu'on lui devine des sympathies de gauche), il empêche sans cesse notre regard de se focaliser sur la cause défendue : c'est le système qui est démantibulé, la toile d'araignée d'influences et de dominations, les assemblées démagogiques à anathèmes et effets de groupe, les concepts utilisés comme des slogans et leur novlangue, la formation progressive d'une pensée dominante molle, la désillusion mortifère qui frappe la jeunesse engagée lorsqu'elle comprend qu'elle ne peut rien (ce que renforce discrètement la quasi-absence de lutte à l'image : on en parle beaucoup avant, après, mais on y est rarement).
Le film débute par l'intrusion d'un invité absurde (ne serait-ce que parce que le scénario en fait littéralement un hors-la-loi), comme propulsé artificiellement au sein d'une dramaturgie et d'un décor (celui du mariage) qui ne sont pas faits pour lui. Mais alors qu'il semble activer le récit par le tranchant d'une ligne pure (l'idéologie intacte qui va faire tomber les masques de ceux qui se sont compromis), le film nous montre au contraire son acharnement contaminer le groupe, transformer tout échange en rapport de force, imposer le dénuement de toute intimité, faire de l'assemblée un tribunal stalinien. Il est dur de savoir quel est la position d'Oshima face à tout ça : le final, qui accuse de façon bizarrement nette un personnage (et la ligne qu'il représente) d'être la cause de la démantibulation de cette lutte, absout de fait ses opposants (alors que tout le film a plutôt œuvré à renvoyer chacun dos à dos, dans leur obsession puérile à savoir qui-est-le-plus-révolutionnaire). Cette fin, bien que puissante, m'a un peu déçu, parce que le reste du temps, la hauteur de vue d'Oshima ne flanche pas.
J'ai beau préférer la deuxième partie de sa filmo, ce type est quand même d'une intelligence redoutable : on peut s'ennuyer de la logorrhée du film (= de la façon dont il finit par ressasser un peu toujours le même schéma), mais c'est tellement pensé et précis, absolument conscient de ce que ça opère, que ça reste toujours un cinéma vif, la pensée ne peut pas s'endormir. Il faudrait pointer ne serait-ce qu'une idée, tellement évidente, qui dit bien la précision de cette mise en scène : la décision de tout couler en plan-séquence (voire plus, par le liant des métamorphoses de lumière). Ça semble paradoxal pour ce qui se présente très vite comme un film-puzzle, mais il n'y a en fait pas mieux pour s'extraire du champ de bataille des interjections politiques, des accusations multiples, des discours idéologiques en ping-pong : c'est tout bêtement le premier moyen d'imposer un regard sur ce mouvement politique qui ne soit pas soumis à son hystérie interne.
Évidemment, tout cela est parfois un peu frigide, mais la démonstration est soumise à des évolutions qui, en la colorant d'une dimension humaine plus émouvante, lui donnent du relief : la dégradation poignante de certains personnages (notamment Takao, perso resplendissant), ou la façon dont le film plongeant progressivement dans la dépression et la nuit, jusqu'à l'interrogatoire final où il fait presque intégralement noir. Il y a une dimension de cauchemar désagréable, sans pour cela en passer par un tournis artificiel (par une surenchère de débats politiques vains qui nous épuiserait) : Oshima se contente d'installer sa cérémonie de mariage au milieu de nulle part, petit théâtre entouré de bois et de brumes, rituel qui se veut stable mais qui est comme assailli, assiégé par cet extérieur fantastique d'où émergent les camarades accusateurs des luttes passées ; ou encore par le fait de faire poindre les flash-back d'un noir opaque, sous forme de souvenirs à moitié imprimés, comme traumatiques. Tout le film semble être la déduction de ces scènes primales, comme si un pêché originel avait condamné la lutte au pourrissement... L'absurdité qui effraie les personnages, l'idée que leur lutte serait totalement vaine, trouve dans ce continuel risque d'abstraction une incarnation idéale.
Ça reste difficile à suivre (quand on parle politique on est d'abord largués, nombre de personnages et évènements évoqués obligent - puis quand on vire aux histoires de cœur, le film perd un peu de sa fascination). C'est aussi beaucoup moins généreux que les derniers Oshima. Mais l'intelligence de l'ensemble est captivante, et vaut le coup de passer sur la longueur parfois pénible du film.
Concernant le DVD : grand écart typique de Carlotta. D'un côté du très bon, c'est à dire ici une image splendide (restauration, compression, c'est absolument parfait), et de l'autre un son tout simplement... désynchronisé sur l'intégralité du film. Tranquille. Ça se corrige sur certains lecteurs vidéo d'ordis : le son est trop tôt par rapport à l'image, il faut le décaler de 250 ms en avant (~ 6 images).