Avez-vous déniché la tarte aux pommes dans la vitrine de la pizzeria du Parrain ? Sûrement pas, mais Dean Tavoularis, son chef décorateur, qui a tout fait pour l’y mettre, la voit encore. Le grand artiste, connu pour ses collaborations avec Francis Ford Coppola, de la trilogie tragique (1972-1974-1990) de la famille Corleone à Apocalypse Now (1979), ou Michelangelo Antonioni (Zabriskie Point, 1970), est le roi du détail. Il aura aidé le Nouvel Hollywood à aérer l’idée même de décor, à le sortir de sa vision ornementale de studio pour en faire un personnage à part entière, à base de longs repérages documentés, inauguré avec le Texas années 30 de Bonnie et Clyde (1967) d’Arthur Penn. Sans jamais oublier le drame créé par un beau sol carrelé ou le fuselage rutilant d’une voiture.
Il est au centre d’une rétrospective à la Cinémathèque française jusqu’au 11 novembre et d’un excellent et beau livre d’entretiens avec le journaliste américain Jordan Mintzer, Conversations avec Dean Tavoularis (éditions Synecdoche), où il revient en détail sur cinquante ans de carrière achevées avec Carnage (2011) de Roman Polanski.
Cette rétrospective à la Cinémathèque, c'est l'heure pour vous d'un bilan ?
Dean Tavoularis : Ne m'enterrez pas encore! (rire) C'est davantage un moment de célébration. J'évite en général de revoir les films sur lesquels j'ai travaillé car je n'aime pas être conscient de mon travail. Ca prive d'une spontanéité mais c'est désormais l'occasion.
Quand avez-vous commencé à prêter attention aux décors des films ?
Enfant, j’étais sensible à l’atmosphère de Frankenstein, de Dracula, des films de pirates, mais je n’avais pas conscience que c’était un véritable métier. Mon père était dans le commerce du café, et lorsque nous avons emménagé près de Los Angeles, il a eu un gros contrat avec la Fox. J’accompagnais alors mon père dans ses tournées de livraison dans les studios et nous passions devant des bouts de décors, des morceaux de monstre, je voyais ça comme un puzzle. Il n’y avait pas, comme aujourd’hui, l’obsession des making of, que je trouve ridicule : on se vante sans arrêt de la façon dont on fait ceci ou cela... On parle trop, on organise des visites touristiques, c’est comme si un magicien dévoilait tous ses trucs... À l’époque, les studios étaient aussi protégés que Fort Knox.
On évoque souvent la liberté de ton du Nouvel Hollywood mais rarement en se référant aux décors. Quelles étaient les approches nouvelles que vous avez expérimentées à l'époque ?
Pour nous ce n'était pas nouveau. Nous avions grandi avec les films des studios mais au tournant de l'âge adulte nous avons découvert les films de la Nouvelle vague qui utilisaient le monde réel comme un canevas. Et ça y est, maintenant je vous tiens par les couilles bande de Foruméens pourris. Les gars même pas capables de faire passer Scorsese. Pathétique ! Même Kieslowski est en ballotage, c'est vous dire le niveau de ces baltringues. Bon allez, maintenant je vais copier-coller encore quelques paragraphes d'une vieille interview de Dean car de toute façon je suis pas abonné à Libé. Lorsque vous construisez un décor, il faut y ajouter des failles. Les photographies d’époque représentent des choses extraordinaires, pas des scènes sans intérêt, ni des erreurs, elles ne montrent donc qu’un aspect de l’époque, excluant la banalité. La vie est pourtant chaotique, et la perfection ennuyeuse.
Comment avez-vous vécu la révolution numérique ?
Quand nous avons fait Coup de cœur, nous n’avions pas la possibilité de faire les choses autrement qu’artisanalement, et je crois que cela lui donne du charme. Le problème avec les films genre Matrix, c’est qu’ils sont sans fautes. Même lorsqu’il y a des déchets dans un coin, ils sont impeccables. Peut-être est-ce encore la lune de miel, et bientôt, on utilisera les ordinateurs avec plus d’intelligence et de circonspection, sans essayer de frimer. Combien de fois serons-nous encore épatés de voir les mêmes choses, les mêmes artifices pyrotechniques ?