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MessagePosté: 03 Fév 2017, 12:55 
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En 2005, Billy Lynn, un jeune Texan de 19 ans, fait partie d'un régiment d'infanterie en Irak victime d'une violente attaque. Ayant survécu à l'altercation, il est érigé en héros, ainsi que plusieurs de ses camarades. Et c'est avec ce statut qu'ils sont rapatriés aux Etats-Unis par l'administration Bush, qui désire les voir parader au pays... avant de retourner au front.

Je suis vraiment allé le voir en étant dubitatif. Entre une réception critique US plus que mitigée et un délire des critiques français (dont j'ai tendance à me méfier) je ne savais plus très bien si j'allais perdre deux heures ou pas.

Je dois dire que je suis sorti relativement séduit par ce film dont la principal qualité est l'espèce d'étrangeté organique qui le traverse. Pour faire court, tout sonne faux ou presque dans le film, des dialogues entre soldats semblant parfois sortis d'une fabrique automatique, aux situations, en passant par les personnages (dont cette grotesque cheerleader purement métaphorique) il y a quelque chose qui semble gangréner le film de l'intérieur, comme un grain de sable venant enrayer la machine cinéma. J'ai eu un peu le même sentiment que devant certaines scènes d'American Sniper comme lors de ce moment où le sniper jouait avec une arme à feu dans la cuisine. Une espèce de malaise diffus devant un truc sans cesse un peu à côté. A l'image aussi de la mise en scène avec ces cadrages face caméra lors des dialogues qui viennent soudain un peu déstabiliser le champ/contrechamp traditionnel.

Peu à peu se fait jour le projet d'Ang Lee. Dynamiter de l'intérieur l'enrobage du film de guerre pour mieux nous plonger dans la détresse du personnage principal et de son PTSD, qui est là sans l'être, qui vit ces moments comme dans une brume traumatique qui distord la réalité. Cet acteur inconnu au visage androgyne (il y a d'ailleurs tout un truc autour du genre assez étonnant) qui semble porter dans son visage toute la misère du monde, dans ses yeux constamment humide, embrumé d'une tristesse qui ne le quittera plus. Il n'est d'ailleurs qu'un visage ce Billy Lynn, son corps est raide et n'existe que dans son uniforme de militaire. Il est hiératique comme une statue mais son visage ne cesse d'exprimer le désir de s'en extraire. A l'image de ce symbole (peut-être un peu lourd) des cicatrices visibles de sa sœur, là où ces cicatrices à lui restent invisibles.

L'idée aussi de mêler intimement l'expérience militaire et l'expérience du retour est très belle. La guerre ne s'arrête pas aux frontières, il la porte en lui, à l'intérieur. Et le spectacle qui en est donné et qui vient peu à peu se calquer sur les scènes traumatiques de guerre sont une manière de commenter la société du spectacle dans ce qu'elle cherche à rendre spectaculaire l'horreur, dans ce que l'héroïsme présupposé est une négation de l'humain derrière la façade. Il y a (même si de manière presque un peu lourde) toute une intrigue parallèle sur le film que veut faire Hollywood sur les personnages mais en réalité ce film, c'est celui qui est devant les yeux de Billy Lynn, ce spectacle grotesque patriotique et déconnecté. Sans cesse Ang Lee tente d'ouvrir vers ailleurs, que ce soit le discours bouddhique d'un Vin Diesel surprenant, que ce soit ces plans furtifs sur de la viande ou des animaux accrochés au mur. Le film nous parle sans cesse de la vie, qui sourd, qui pulse là où au contraire on ne cesse de vouloir y célébrer la mort (que ce soit dans l'hommage aux soldats ou dans le concept même du film de guerre).

Du coup je rigolais un peu de tous les mecs sur Twitter qui se plaignait que l'on ne pourrait pas voir le film dans les conditions originales (3D 4K 120fps) mais au final je comprends à quel point ça doit intensifier la singularité du film, renforcer sa bizarrerie. Tenter de donner à ressentir ce malaise qui étreint sans cesse Billy Lynn, qu'il soit célébré comme un héros dans son pays ou porteur d'une mitraillette à l'autre bout du monde. Le film a tout les atours d'un cauchemar sans fin où est sacrifiée une jeunesse sans repères. Une espèce de film purement mental. La toute fin, cette dernière scène, qui vient célébrer la fraternité militaire dans une déclaration d'amour bizarre en vase clos (ce décor de limousine) est la conclusion de tout ce processus expérimental de Lee. De tout ce parcours de Billy Lynn. Maintenant que le cauchemar est derrière lui, ou plutôt que le cauchemar a été assimilé en lui, que ce soit la guerre ou la célébration de celle-ci, il ne reste plus qu'un amour pur et sincère pour ses camarades, dans un espace déconnecté du monde.

Il y a des défauts, une photo particulièrement moche, grise et terne, certaines scènes s'éternisent un peu (toute la sous-intrigue du film à la fin un peu reloue même si pleine de sens), ce décalage dont je parlais au dessus parfois ne fonctionne pas toujours (les visions "comiques" de Billy Lynn lors de l'interview, idée assez nulle). Mais au final elles s'effacent rapidement pour laisser place au projet plus global du film.

Un film vraiment passionnant, qui vieillit très bien (je suis sorti à 4/6 mais je serai plutôt à 5 aujourd'hui), auquel je repense sans cesse depuis hier. Un vrai film d'auteur kamikaze au cœur de Hollywood. Sa malédiction, cet échec critique et public, il la porte en lui. Comme Billy Lynn qui ne peut s'épanouir au sein du monde, le film épouse totalement sa déconnexion, son incapacité à "être". Et les mêmes larmes qui perlent aux paupières. Peut-être le film le plus intelligent jamais fait sur le rapport du cinéma à la guerre. Sur sa représentation.

5/6

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CroqAnimement votre


Dernière édition par Art Core le 29 Aoû 2017, 14:59, édité 1 fois.

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MessagePosté: 03 Fév 2017, 18:36 
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Citation:
Je dois dire que je suis sorti relativement séduit


Citation:
Peut-être le film le plus intelligent jamais fait sur le rapport du cinéma à la guerre. Sur sa représentation.

5/6


Tout est relatif, comme on dit.


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MessagePosté: 03 Fév 2017, 18:59 
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Oui le film a bien vieilli en direct pendant que j'écrivais. Mais de toute façon cette dernière phrase n'est pas tellement une preuve d'appréciation mais plutôt l'expression de l'idée d'un film de guerre qui réfléchit à sa représentation intrinsèquement (ce qui me semble extrêmement rare).

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MessagePosté: 06 Fév 2017, 15:14 
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Je te rejoins globalement sur les qualités du film Art Core (hormis sur la fin de ton texte, là je pense que tu t'emballes un peu en disant qu'on tiendrait le plus grand film sur le traitement cinématographique de la guerre), mais les lourdeurs que tu relèves sont rédhibitoires. Pour moi la balance penche malheureusement dans l'autre sens, l'image degueu (car le film n'est pas projeté dans son format originel?) et les personnages caricaturaux (insupportable Steve Martin) finissent par me faire oublier ce que ce film avait d'original.


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MessagePosté: 06 Fév 2017, 19:25 
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Robot in Disguise
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Quelque part entre du Eastwood, du Verhoeven, du... du... Barry Levinson, ou que-sais-je. Unique.

De la même manière qu'on se projette visuellement dans le film pour essayer d'imaginer le rendu 3D et 120fps, on est constamment en train de se projeter intellectuellement dedans pour essayer de déchiffrer cet étrange film conceptuel. Pendant très longtemps on sait pas où ça va aller, ce que ça veut raconter, et du coup en tant que spectateur on devient extrêmement actif. C'est une expérience rare car le film est vraiment bizarre mais extrêmement riche, parfois extraordinairement inspiré. Il y a de belles fulgurances. Et un super travail sur le son. Et notons que Billy Lynn est super dans le rôle, constamment fascinant.

Sur le dernier quart le temps se fait long, les choses se font malheureusement plus claires, voir carrément surlignées, ce qui casse un peu le mystère si enthousiasmant du film, mais on en ressort quand même désarçonné, remué.

Stimulant.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 07 Fév 2017, 19:54 
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J'aime bien ton texte je m'y retrouve totalement.

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MessagePosté: 10 Fév 2017, 14:24 
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Ca va être compliqué de le déloger de mon top3 de l'année alors qu'on est qu'en février.

Tout à déjà été très bien dit au dessus.
J'ai particulièrement apprécié le fait que le film s'en prend, non pas aux institutions ni à l'armée, mais bel et bien au fait que les USA envoient ses enfants faire la guerre pour que le peuple à la maison puisse se sentir bien américain et penser qu'il fait parti de quelque chose de plus grand: la lutte contre le mal, pour la démocratie, pour la liberté, mes couilles dans ta mère... créant ainsi des héros sur des victoires qui n'en sont pas (la référence à Alamo qui abat tout un mythe en une seule phrase, ou Steve Martin qui vente sa réussite alors que son équipe est en train de se faire pourrir le cul sur le terrain, ou un entrepreneur qui pense lutter avec eux parce qu'il fait du fracking...). Au même titre qu'Eastwood l'abordait dans American Sniper ou Flags of our fathers, le héros américain ne sert qu'à cimenter une nation où ces héros n'ont pas leur place, avec ces meurtriers "what else is there?" et "Let's go back home" dans la bouche des soldats d'Ang Lee.

Au passage, après un séance 2D en salle (comme tout le monde), j'ai pu me faire une séance 3D à la maison et force est de constater que l'ajout est indéniable selon moi. Les faces caméra gagnent en force, et des plans simples en soi, tels que Billy à l'arrière plan qui confesse enfin à ses supérieur les raisons qui l'ont fait s'engager prennent vraiment de l'impact dramatique.

Ce film n'avait de toute façon aucune chance aux USA. Critiquer la guerre et le gouvernement, ça passe très bien là bas. Mais donner au peuple le miroir de son hypocrisie (en pleine période électorale...)... c'est forcément une autre affaire. Surtout de la part d'un taïwanais :)


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MessagePosté: 10 Fév 2017, 23:16 
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J'ai trouvé la première moitié pas désagréable à suivre mais un peu mécanique par moments, dans l'articulation de ses différentes temporalités, surtout quand celles passées font un peu "échantillonnage de scènes convenues de film de guerre" avec de l'armée un peu vacharde et du retour à la maison tendu. Tant dans l'écriture que la mise en scène, j'ai trouvé certaines transitions maladroites : certains points de montage font la part belle à l'écho visuel, d'autres me restent insondables (les fondus enchainés sont pas tous très heureux).

Cela dit, dès le départ, tu captes que l'image a tout de même une haute résolution, avec ces gros plans, ces scènes où tout est toujours très bien éclairé, et j'ai vraiment regretté de ne pas pouvoir le voir en 120fps, même si j'avais trouvé le 48fps du Hobbit foireux. Et il va sans dire que j'aurai voulu le voir en 3D tant la composition de presque CHAQUE plan paraît pensé pour le procédé, multipliant les grandes profondeurs de champ, les cadres composés en strates...

Et la combinaison des deux devait être démentielle pour toute la scène-clé du film, cette mi-temps incroyable, avec une scène de guerre dont la force de frappe, sans chaos, est redoutable, séquence qui assène le propos plus puissamment que jamais, sur l'idée de la guerre comme mise en scène totale pour le peuple, dans le fond comme dans la forme, où les soldats sont presque des candidats de télé-réalité ou pantins que l'on sort sur scène en figuration, complètement sacrifiés à l'autel du spectacle qu'il faut fournir au public afin qu'il valide la guerre. C'est un peu l'anti-American Sniper. Des films mous et douteux comme le Eastwood ou Du sang et des larmes sont tout simplement sodomisés par l'intelligence du propos de celui-ci, version plus réussie et moins académique du Flags of our Fathers d'Eastwood mais sur "notre guerre à nous".

La première heure m'a laissé trop froid et la fin s'étire un peu trop pour que j'adhère plus que ça (de toute façon, le cinéma d'Ang Lee ne dépasse pas le 4/6 chez moi) mais c'est intéressant et si je pouvais le voir en HFR 3D, j'y retournerais.


PS : mention spéciale à Vin Diesel, dans un rôle qui semble être un remake assumé de son tout premier dans le Spielberg, et surtout à Garrett Hedlund, qui confirme être une sorte de Mark Wahlberg, aka un mec qui peut être parfaitement casté (Sur la route, ici) mais aussi catastrophique (globalement tous ses autres films).

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MessagePosté: 28 Fév 2017, 14:04 
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Très beau film de guerre paradoxalement flottant, débonnaire.
Si l'acteur qui joue Billy Lynn est excellent, celui qui joue le sergent mérite aussi bien des compliments.


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MessagePosté: 01 Mai 2022, 21:50 
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Inscription: 06 Fév 2022, 11:54
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Est-ce qu’il y en a qui ont été troublé par le rapport étrange qu’entretient Billy Lynn avec sa propre soeur? Il n’y a probablement pas d’inceste consommé (et il n’y en aura probablement jamais) mais quelque chose de l’ordre de la relation platonique incestuelle, quelque chose de névrotique qui devrait s’éteindre à l’âge adulte mais qui perdure, un peu comme dans "Shame". La première scène où il revient chez lui, son regard intense avec lequel il la scrute, elle qui minaude un max (très bonne idée d’avoir casté Kristen Stewart qui est bourrée de tics et d’afféteries), j’ai cru que Kathryn était sa petite amie, avant de comprendre qu’il focalisait sur l’une de ses deux sœurs. Il reparle d’elle à plusieurs moments : lors de son entraînement (les raisons de son engagement dans l’armée pour échapper à une peine judiciaire), au moment où il enregistre le numéro de la pom-pom girl Faison Zorn dans son portable ("c’est qui cette Kathryn? T’inquiètes, c’est juste ma soeur […mon plus gros fantasme inavoué mais t’inquiètes!]. On peut se demander si son engagement dans l’armée et son indécision à retourner au front n’est pas directement à rattacher à cet attachement inavouable. Tirer un trait sur cette expérience traumatisante, c’est revenir auprès de Kathryn, mais y retourner, c’est aussi un prétexte pour la fuir.
A creuser (ou pas)


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MessagePosté: 01 Mai 2022, 22:42 
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Oui c'est assez troublant.
Ça me rappelle cette pub culte : https://youtu.be/uMwFWDIFVCU

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