Berlin, début des années 60. MacNamara (James Cagney dans un de ses derniers rôles), la soixantaine, est le patron de la filiale allemande de Coca-Cola. Fort en gueule, ambitieux et cynique, mais doté toutefois d'une certaine indépendance d'esprit, il ironise sur le passé nazi supposé (ou refoulé) de ses subalternes, en particulier à l'endroit de son assistant souffre-douleur, le zélé Schlemmer (très bon Hanns Lothar, mort peu après le film).
Il entretient visiblement une liaison avec sa secrétaire, la jolie Ingeborg (Liselotte Pulver). Comme on sait, la situation politique est tendue, la guerre froide reprenant après la parenthèse de la déstalinisation, celle du Viet-Nam s'envenimant, mais le Mur n'est pas encore construit et l'on peut encore se déplacer d'une zone à l'autre. McNamara est en contact avec trois officiels soviétiques du secrétariat d'état aux boissons sucrées, hauts en couleur, qui lui font miroiter la possibilité de pénétrer le marché soviétique, ce qui accélérerait sa carrière.
Tout se complique quand le patron de la firme, Mr. Hazeltine, à Atlanta, lui demande de veiller sur sa fille de 18 ans Jennifer (Pamela Tiffin -la starlette en maillot de bain avec Robert Redford dans la Classe américaine, c'est elle) qui visite l'Europe. Jennifer est délurée et fêtarde, enfant gâtée et naïve de la bourgeoisie sudiste.
Deux mois plus tard, le grand patron Hazeltine entreprend un voyage d'inspection en Europe. Mais les extrêmes s'attirent. McNamara, qui avait un peu perdu la trace de Jennifer, s'aperçoit qu'elle vit une passion amoureuse avec un prolétaire de la zone-est, Otto Piffl (Horst Buchholz), un des rares habitants de Berlin-Est demeuré sincèrement communiste, et ce de façon déintéressée. Pire : ils auraient contracté un mariage secret. Le peu scrupuleux McNamara arrange un stratagème avec l'aide de Schlimmer pour le faire passer pour un espion pro-Ouest aux yeux des autorités de la zone Est, afin qu'il moisisse en prison. Mais d'autres rebondissements vont à nouveau changer la donne...
Comédie, tournée dans la foulée de
The Apartement, qui a la réputation d'être une des plus rapides de l'histoire, très proche de l'esprit du
screwball. C'est tout à fait exact; et chaque réplique est un bon mot, qui oscille entre le comique de répétition parfois laborieux et des saillies qui demeurent absolument hilarantes après soixante ans, ce qui est une gageure. Le film est donc un plaisir de spectateur.
Cependant l'humour repose principalement sur le dialogue, ce qui donne finalement à la majeure partie film une structure de pièce de boulevard, d'autant plus que Cagney, dont on peut quand-même deviner qu'il est un grand acteur, surjoue et hurle toutes ses répliques, tout en laissant un temps d'attente, blanc, mais rempli par des sortes de rires préenregistrés potentiels, dispositif télévisuel qui contredit le discours politique grinçant du film, d'autant que le film est assez statique et se déroule principalement dans le bureau moderne de McNamara.
La plus belle partie du film est finalement la moins comique, mais la plus décentrée: l'incursion à l'est de McNamara et ses acolytes, dans un hôtel "Potemkine" ("ancien Hôtel Göering puis encore avant Hotel Bismark") fantasmatique, peuplé de soldates soviétiques lesbiennes (montrées avec plus d'ironie tendre que de moquerie) découvert dans un superbe travelling à la Fassbinder (avec un caméo de Friedrich Hollaender, gueule extraordinaire, musicien légendaire du Berlin des années 30). Cette scène s'enivre ensuite, culmine dans un passage où Liselotte Pulver monte surr une table bourrée et fait un début de strip-tease sur la Danse du Sabre de Khatchatourian en jonglant avec des flambeaux et se termine dans une poursuite en voiture dans Berlin, extrêmement dynamique, qui n'a rien à envier à Bullit. Mais le film redevient ensuite immédiatement statique
Pourtant le postulat de Wilder est courageux : mettre sur le même plan la satire du communisme, du nazisme et celle de enterprise moderne prétendant mélanger humanisme et efficacité (on est pas si loin de la sensibilité m de l'Ecole de Francfort), pointant des correspondances et similitudes entre les trois univers , insistant sur une concurrence dans l'aveuglement qui est à la fois le nom du pouvoir et celui de la culpabilité.
Il y a même des blagues bien senties sur la Guerre d'Algérie et les indépendances africaines. L'irréverence du film et son intelligence de l'époques sont dont bienvenues. Mais d'un point de vue formel , c'est surtout une sorte de cross-over entre
La Scandaleuse de Berlin (pour le versant historique et collectif) et
la Garçonnière (pour le pôle individuel et économique, qui fonctionne comme une intériorisation inconsciente de ce qui a d'abord été donné explicitement dans l'histoire), extrêmement drôle, mais ne représentant toutefois qu'une forme dérivée de ces films, n'en possédant pas la profondeur psychologique ni le la richesse formelle.
On retrouve quand-même des constantes et obsessions qui traversent l'oeuvres de Wilder : il ya
A un jeu sur le travestissement (et un gag) qui surpassent
Certains l'aiment chaud (Wilder fait d'ailleurs ressembler Liselotte Pulver à Marylin, ce qui est là aussi une prouesse). La voix off introductrice (de McNamara) est comme dans
Double Indemnity le sur-moi moral d'un personnage qui ne l'est déjà plus au moment au moment où le film commence (cette compréhension morale plaçant le personnage hors du récit et du temps) : le récit est raconté depuis le point de vue d'une faute morale, qui investit la fiction comme une cachette. Et Wilder est assez féministe, les trois personnages féminins, Pulver, l'épouse bourgeoise (prenant le risque du divorce, dégoutée par le cynisme de son mari) et même Jennifer (Pamela Tiffin apparaît finalement comme une bonne actrice) sont plus intègres et lucides que les hommes. Elles seules prennent le rsique de sortir du jeu social, conscientes de la contradictions entre principe et actions, quand les hommes sont cette contradiction elle-même, une violence immotivée (et donc tragiquement sentimentale). Wilder est existentatiste pour les hommes, et mystique et essentialistes pour les personnage féminins : ils sont opposés et séparés comme le sont une action et sa raison. Agir pour Wilder est clairement un principe masculin, toujours l'effet d'une souillure, une contrainte : avec cette voix off, la rationnalité s'identifie à la morale pour devenir spectacle, mais est aussi au centre d'une nostalgie douloureuse (et le seul objet de fantasme possible ) , pareille à celle de l'innocence avant la chute ( le jeu sur l'ambiguïté sexuel indique au contraire ce qui peut retomber dans l'oubli et échapper au visible : on ne verra rien de la dérive de Schlimmer déguisé en femme dans Berlin-Est, ce qui rend les quelque répliques échangées à ce sujet d'autant plus drôles).
4.5/6