Brothers : A Tale of Two Sons (XLA/PC/PSN)
A la fois charmé et déçu par ce jeu que j'attendais beaucoup. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, le principe est simple : deux frères à diriger dans un jeu solo, chaque joystick de la manette (ainsi que chaque gâchette arrière, plus rarement utilisées pour les actions) étant attribué à l'un des deux personnages. Évidemment, c'est un maniement impossible : le cerveau n'arrive pas à coordonner deux directions dissemblables, deux fonctions opposées, et deux mains occupées à une tâche différente. Le but, et le plaisir du jeu, consiste en ce va-et-vient entre des périodes de maîtrise (ou l'on parvient réellement à faire fonctionner les deux frères ensemble), et d'autres où la "fluidité" de ce lien se casse.
J'admire beaucoup le jeu pour ne pas avoir rempli sa progression d'exploitation théorique du duo en mode puzzle-game, de challenges ou jeux d'adresses, bref, tout ce qui finalement pourrait décentrer le jeu de ce gameplay de base :
diriger les deux personnage en même temps, juste être capable de traverser ce monde à deux. Mais faire le vide autour de ce principe ne suffit pas à le faire briller, et c'est là où le jeu est plus perfectible.
Je me souviens d'une interview, concernant
Silent Hill, on l'on disait que la raideur de maniement du personnage était volontaire, pour augmenter le stress devant les situations de danger. J'avais trouvé ça un peu bizarre, en tout cas ça posait question : est-ce qu'on peut se contenter d'un geste soustractif de ce type, posé là au milieu d'un jeu "normal", et considérer que la simple cohabitation des deux est satisfaisante ?
C'est grosso-modo le même genre de gêne que j'ai ici. Le jeu se contente finalement souvent de la difficulté du maniement, sans organiser autour un jeu qui va l'épouser pour en souligner l'essence. Au-delà des défis ultra-faciles et un peu secs qui lorgnent de toute façon vers le puzzle/énigme ("aller chacun actionner un levier"), je ne vois que deux moments où l'évolution à travers ce monde vient flatter la dissymétrie du maniement : l'ouverture des sas à distance pour le frère suspendu dans la mine, et le passage en rappel devant le palais en ruines. Deux moments, en fait, où l'un des frères peut mettre l'autre en danger à cause de la confusion (se tromper et lâcher le mauvais bouton dans le second, par exemple, et par là-même lâcher son frère dans le vide). Peut-être aussi le passage aux loups...
Or la majorité du jeu, même s'il le cache parfois bien, n'est qu'une avancée sans risque. On se rend vite compte que sur un bâton tendu dans le vide, sur le bord d'une corniche, au milieu d'un décor qui se détruit derrière nos pas... il est impossible de tomber. Il suffit de sagement diriger sa manette pour avancer (dans certains passages, de rapides ou de tobogans, on peut même complètement lâcher la manette). Ce qui ramène finalement assez souvent le jeu à son aspect décoratif, dont il a manifestement conscience, l'univers se faisant de plus en plus impressionnant au fur et à mesure de la (courte) aventure, la caméra étant moins utilitaire qu'occupée à dessiner d'immense perspectives... Bref, l'avancée des deux garçons est moins mise en valeur par la capacité de notre maniement, que par sa mise en relation constante avec l'univers qui a été inventé pour eux. Cette tendance générale au descriptif ne va pas sans certains dangers : impression de film interactif traversé en rail, abus de cinématiques (et manie de nous déposséder régulièrement de l'action), tendance au kitsch et au lacrymal.
Une superbe idée de départ donc, de bons réflexes et pièges évités par les créateurs, mais un jeu très frustrant au final - dont je retiendrai surtout une superbe idée-climax dans le tout dernier "niveau", simple et éblouissante (j'avais pas eu un coup sur la tête comme ça depuis le final de
Braid).
J'en sors juste, conquis.
L'enjeu du gameplay n'est pas pas un quelconque challenge - ou alors il est émotionnel et pas performatif - mais de rendre dans l'expérience physique du joueur le sentiment fraternel. L'enjeu c'est d'éprouver organiquement le lien dissociatif entre les deux personnages (main gauche/main droite, cerveau gauche/cerveau droit) pour faire l'effort de les unir. C'est une idée qui est entièrement justifiée par l'accomplissement du jeu:
Le second enjeu c'est plus simplement d'éprouver, par le gameplay, un univers, sorte de condensé exhaustif du romantisme allemand, qui ne ménage pas ses splendeurs. Ca puise dans le sublime à la Friedrich et dans les vieux contes nordiques. Il n'y a aucune réserve à avoir sur le plan esthétique, c'est une merveille de tous les instants.
Du coup le seul reproche que je ferai au jeu c'est de quitter parfois cette expérience directe de son environnement pour des cinématiques qui sont mises en scène avec un assez franc mauvais goût et à grand renfort de musique larmoyante qui m'ont sorti épisodiquement de l'émotion globale. L'impression d'un deuxième jeu à ce moment-là qui ne fait qu'entacher la luminosité du reste. J'aurai aimé que le jeu aille jusqu'au bout et que la narration se déroule intégralement in game (car quand il le fait c'est très fort).
Mais ça reste une belle baffe.