Ouuuuuh punaise la douche froide.
Je m'imaginais bien que les docs de Špáta sous l'occupation soviétique ne seraient pas ses meilleurs, mais je pensais y trouver un cinéma simplement plus froid, déployant sa virtuosité à vide. Le bilan est en fait bien plus catastrophique : un anonymat béant, un appauvrissement flagrant du geste vers une approche illustrative, les films laissant entrer sans résistance tout le kitsch des années 70 et 80 (visuel, musique, océan feignasse de zooms et dézooms...).
Go in search of Happiness (16' - 1979)
C'est le pire. Grosso-modo, c'est l'équivalent d'une featurette de DVD de concert alternant quelques images de répétitions, quelques images de concerts, et quelques images de tourisme dans les rues des villes visitées. Le perso principal, un chanteur de variété bellâtre au sourire constamment collé sur le visage, est un trou noir d'inintérêt avec lequel Špáta ne tente d'ailleurs pas de dialoguer. Il y a un embryon de parti-pris dans la manière de filmer les concerts, en s'en tenant mordicus au point de vue "depuis la scène" : le sourire charmeur et intime du chanteur s'y confronte alors à une salle immense et anonyme, et cet écart a quelque chose de dissonant. Mais ce n'est qu'une piste fantôme totalement inexploitée, et pour le reste, la volonté de montrer l'artiste "au travail" est réduite à néant par le découpage zapping. Un désastre.
Variations on Gutav Mahler's Theme (13' - 1980)
Le plus valable des trois courts soviétiques, même si le principe de mise en image de la verve de la musique de Mahler obéit à un principe limité et scolaire. Il reste qu'il y a quelques étincelles qui naissent des rapports entre le chef d'orchestre et l'iconographe pour incarner la violence du morceau, par les allers retours entre eux que permettent la musique et les images de la partition raturée. Ce duo est malheureusement parasité par un autre binôme : le musicologue mielleux et laudatif sans intérêt, et la vieille amorphe à la nostalgie fétichiste débile. Ça amollit méchamment un doc déjà peiné par le fait de pas avoir grand chose à raconter. Mais il reste un truc à retenir de tout ça, une invitation vivante à Malher, qui a du d'ailleurs marquer Spata puisque qu'on en retrouve la musique dans
Between Light and Darkness.
Athletic Variation (27' - 1982)
Aussi vain que son titre, ce doc confirme que les "films d'auteur" sur les compétitions sportives (ici le championnat d'athlétisme de 1982 en Grèce) mènent toujours aux mêmes impasses. Le sport en soi est abordé au mieux sous un angle petit malin complètement vain (du genre : monter à la suite tous les cris d'athlète), au pire de manière atterrante et embarrassante (bruitages cocasses ou musiques parodiques pour accompagner les différents sports). L'idée d'ensemble est pourtant autre : confronter l'urgence du sport, regardé finalement avec bien peu d'estime ou d'amour, à la journée du pays alentours. Celui-ci, capturé sous l'angle de l'hybridation tradition-moderne (comme l'Irlande de
St Patrick's Land), n'est malheureusement exploré qu'à la manière d'une ballade de touriste, dans un zapping qui ne raconte absolument rien. À quelques belles images près, c'est surtout quelques rares chocs de montage entre le stade et la Grèce qui réveillent ici Špáta, comme ce court-circuit fulgurant entre les gradins remplis de téléviseurs et l'arène vide d'un ancien temple... Mais ces belles idées ne durent que le temps d'un raccord.
Le plus énervant en fait, c'est le potentiel. De temps en temps, on voit le Špáta narratif passer fugitivement dans son propre film tel un fantôme : le sportif effondré de fatigue face aux 10 journalistes qui le photographient agoniser un mètre plus loin, le lanceur qui se retourne vers l'écran géant du stade enregistrant l'Histoire pour y regarder où atterrit le poids qu'il vient de jeter, etc. À chaque fois, le plan prometteur est coupé trop vite, avorté, pris dans cette logique de zapping inepte et désintéressé.
Between Light and Darkness (24' - 1990)
Un grand photographe est invité par Špáta à la rencontre de la campagne tchèque la plus profonde. Difficile de ne pas voir, dans cette image forte et récurrente du photographe pénétrant la forêt de mauvaises herbes aux allures de jungle abandonnée, une métaphore de Špáta qui revient enfin visiter le peuple tchèque après la chute du mur. Et ça fait du bien de revoir enfin le monde tel qu'il est, de retrouver à nouveau des personnes, des visages, leurs paroles, de vraies rencontres. Le film semble presque construit comme un tableau post-apocalyptique, visite dans ce monde dévasté où les enfants de 5 ans jouent dans les poubelles et lisent une revue porno qui traîne, où les vieux hilares semblent arriérés. Le tout, néanmoins, non sans un respect un peu trop vite admis à la communauté rencontrée.
Plutôt que de jouer le contraste (la beauté trouvée dans la catastrophe), le film hésitant entre ses deux pôles se perd dans la mollesse du compromis : la lumière et l'ombre promis laissent plutôt une impression de grisaille indécise et d'ennui, l'insert ininterrompu des photos (pourtant superbes) tenant lieu de structure répétitive empêchant de véritables moments de s'épanouir. Il reste que des quatre films, c'est le seul qui peut sérieusement prétendre à être jugé comme n'importe quel autre de ses premiers documentaires, et malgré l'usure, on sent bien qu'il y retrouve une partie de sa santé artistique.
Dans la période il y avait aussi
The Fair dans le coffret DVD (une visite à la foire...), mais il n'est pas sous-titré anglais. Pas grave, ça avait l'air encore plus nul et vain que le publi-reportarge sur le chanteur.
Bon, il en reste encore quelques uns à voir pour les années 90, mais je crois que c'est plié, et qu'à part
The Greatest Wish II, ses meilleurs films sont à pêcher dans les premiers courts que je vous avais proposé y a quelques mois. Dommage.