Bindonvilles de Manille. La jeune Insiang se retrouve à vivre seule avec sa mère, qui a chassé la belle-famille des lieux. Lorsque la vieille femme ramène chez elle le truand qui lui sert d'amant, la vie de l'adolescente devient un enfer.
C'est marrant, pour chaque pays inconnu y a comme un film estampillé du label "à voir pour se donner l'impression d'avoir fait ses devoirs". Voilà, Insiang c'est ça, le film-phillipin-à-voir, et franchement de loin ça donnait pas envie : descriptions des bidonvilles sur un mode tristoune, ça fleurait le pensum social assommant. Mais si le film insiste beaucoup sur l'importance de ce décor particulier (à travers son générique qui fait la visite), il n'en fait pas l'enjeu central. Le ton est en fait moins pathétique que tragique : nous présentant d'abord le chaos du lieu et de la famille, Brocka évide rapidement (c'est d'ailleurs le premier geste du film, chasser la belle-famille) pour faire émerger des personnages dont la configuration apparaît très vite évidente d'un point de vue dramaturgique, chacun s'inscrivant à une place logique façon théâtre antique. C'est du coup limite un huis-clos que le film met en scène, celui de la cabane laissée à son trio de personnages (le truand, la mère, la fille), le bidonville jouant le rôle de caisse de résonance à la violence des échanges interne, de remous alentours qui se charge régulièrement de faire avancer le récit (les tentatives de fuite, les bouches-à-oreille, les vengeances...).
C'est néanmoins surtout autour de son héroïne que le film se construit, autour de ce qu'elle dégage : dans un univers chaos, brouillon, misérable, bordélique, avachi, elle est approchée comme la dernière figure droite, noble (elle est d'ailleurs, je trouve, souvent éclairée avec un soin qui n'est pas celui du reste du film). Une sorte de pureté digne émane du perso, sa discrétion immobile fait contraste avec l'univers de mouvement et de cris qui tourne autour d'elle ; et elle gagne, dans l'avancée du récit, un charisme froid, presque sociopathique, qui peut évoquer certaines héroïnes vengeresses de séries B.
Donc voilà, si on passe sur quelques vrais défauts (la bonne demi-heure avant de rentrer dans le vif récit surtout, ou encore l'intro au symbolisme lourd, les moments autour des garçons moins passionnants, une certaine mollesse dans les scènes de rue...), c'est vraiment une bonne surprise, assez loin du film naturaliste-social-larmoyant qu'on pouvait imaginer. D'ailleurs, en mettant en scène une quasi-tragédie avec un matériau qui vibre d'un réalisme cru (le bidonville est criant de vérité, d'ailleurs ça doit être un vrai), Brocka donne à son film un goût assez original.
Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris :
- En explicitant la vengeance, qu'on avait très bien deviné - En entachant la droiture de cette vengeance d'un regret bizarroïde (pas qu'il soit "bizarre" qu'elle regrette, mais jamais le film n'a montré jusqu'ici la vengeance comme une spirale dangereuse dont il va falloir payer le prix, ça arrive de nulle part) - En finissant toute cette histoire sur la relation mère-fille, alors qu'il me semble que le film essayait justement de définir son héroïne en dehors de ça - En abandonnant le jeune adolescent, la seule figure idéaliste du film, sans mener nulle part ce que le film a construit autour de lui - En ne retournant pas, enfin, se reconfronter à ce décor du bidonville, qui a conditionné tout le drame, qu'on veut fuir, et qui se retrouve presque nié dans ce dernier segment calme et évidé. Il manque vraiment ce dernier face à face avec les lieux.
Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final.
EDIT - Et bien apparemment, c'est effectivement dû à la censure :
Citation:
I believe Brocka followed O'Hara's teleplay up to Insiang's explanation of her actions to her mother; after which is the conclusion forced on Brocka by the Marcos censors, who insisted that a daughter can't completely reject her mother.
Bon, mais ça n'explique pas ce qui devait à la base servir de fin.
La copie cinémathèque (vu qu'il me semble qu'il y en existe plus que deux au monde) : plutôt bonne qualité, mais projection en 1.37, quand partout on parle de 1.66. Je sais pas qui a raison, mais j'ai en effet souvent eu l'impression d'avoir trop d'image.
Insiang (Hilda Coronel) est une jeune fille de 19-21 ans qui vit dans un bidonville pauvre de Manille, situé en bordure d'océan. Son allure à la fois virginale et revêche se remarque dans cet univers, où les femmes sont dans une position ambigüe, travaillant durement et régulièrement (comme commerçantes ou maraichères) et détenant dès lors un pouvoir financier important, mais exposées à ce qui,dans le meilleur des cas, est du hacélement sexuel régulier..tandis quand les hommes sont eux à cheval entre le prolétariat ni vraiment paysan ni vraiment ouvrier (impressionnante séquence d'ouverture dans un abattoir , très proche de 'Killer of Sheeps' de Burnett sorti juste après)le chômage, le trafic, ou bien partis travailler loin, sans que l'on sache s'ils ne reviennent pas car ils ont quitté leur famille ou bien parce qu'ils se sacrifient pour elle). Son père est inconnu, elle est élevée seule par sa mère, Tonya (Mona Lisa, une actrice qui rappelle Simone Signoret ou de Bette Davis), une femme dure, cassante jusqu'au sadisme, à la fois crainte et moquée dans le quartier. Tonya exploite sans vergogne sa fille comme blanchiseuse, puis comme domestique et nettoyeuse de toilette, l'enferme pour contrôler sa sexualité. Tonya gagne de l'argent en participant à un circuit de jeux clandestins. Tonya est en fait en couple avec son partenaire de jeux, Dado, un homme beaucoup plus jeune, hyper-viril, mi-prolétaire, mi-caïd mafieux, le mâle-alpha type, qui bizarrement ne souffre pas d'être notoirement le gigolo d'une vieille. Magré le flicage de sa mère, Insiang sort avec, un mec qui a un homme aux manières de rebelle marginal de cinéma à la Jame Dean, franc et intègre; mais qui est en fait plutôt pleutre, fasciné par Dado qui le brime régulièrement. Au début du film Tonya héberge sa belle-famille, mais son frère a disparu. Quand sa belle-soeur (qui a une allure plus bourgesoise que Tonya) ne peut plus payer, elle est chasséé sans ménahement, ses enfants en bas-âge mis à nus dans la rue car leurs vêtements appartiennet à la marâtre. Il s'agît en fait de faire place à Dado, qui vient occuper la place vacante et s'installe chez les deux femmes, Tonya espère ainsi assouvir sa passion sexuelle.
Paradoxe, le mystère du film provient de son immédiate proximité avec notre culture cinéphile européenne, de sa familiarité déçues envers les conventions qui sont les mêmes que le nôtres (chrétiennes, mais également un marxisme déjà en crise, et qui survit en se repliant dans le sociologisme), du romanesque assumé mais aussi mis à l'épreuve d'une trame narrative nerveuse et dense qui empêche de s'attarder (aucune scène qui ne fasse pas progresser l'action, même quand un oeil voyeur est dilué lentement pas la nuit) et laisse l'oubli envelopper tout, y compris le souvenir d'avoir été puissant et pervers, transforme la mort en effet de ce qui ne peut être causé que par l'inconscient - un équivalent narratif de ce qui, sans destin, dépuillé de soné volution serait uniquement la morale. Au début le film apparaît fassbinderien et brechtien : les personnages énoncent eux-même le sens de leur action et la morale qui les résume. Il s'agît d'un des efficaces procédé de distanciation. La lucidité politique exige l'acceptation d'une forme d'abandon, à la fois moins mortel et plus monotone que l'absurde, avec l'idée que sans l'épreuve d'une déception intimement personnelle- sexuelle- la société, dans ce qu'elle a de neutre et dans ce qui la soumet à des lois tant écrites que non-écrites, ne serait même pas vue. A la fin il bascule dans un expressionisme, qui doit beaucoup à Hitchcock (Psychose) ou à Nicholas Ray, où la lucidité psychologique est comme prélevée sur le baroque des situations, elle vide de l'intérieur, soumet à une logique de pourrissement et d'usure, par un procédé de compensation complexe entre ce que les personnages comprennent et ce qu'ils avouent.
Attitude rare: le cinéaste ne croit en fait pas au désespoir de ses personnages, qui déconstruisent plus l'histoire que le metteur en scène ne le fait lui-même. D'habitude, c'est l'inverse . Ce qui est fonctionnellement sociologique dans le réel, est transposé dans le récit sous forme d'ironie et de raillerie: ainsi le cinéma (lieu à la fois du viol et de la révélation de l'impuissance) est opposé à la télé-réalité -c'est ; ce qui était au Philippine le divertissement des déclassés dans les années 1970 est semble-t-il devenu celui de la classe moyenne européenne 35 ans plus tard , mais ici elle est encore un discours auquel l'aliéné est le seul à pouvoir donner son juste nom, qui lui manque, et qui devient alors impossible à croire - car son public n'a même plus besoin de la voir pour la raconter).
Superbe musique, presque à la Michael Nyman mais en plus épurée (par un compositeur qui s'appelle Minda D. Azarcon), acteurs d'un professionnalisme étonnant, qui évoquent deux cynismes contraires (tant le pédagogisme cruel d'un Mankiewicz et l'autoritarisme compassionnel d'un Fassbinder), on réalise toute la complexité de la culture et l'industrie cinématographique des Philippines (ce qui chez Brillante Mendoza a pu passer pour une singularité individuelle provocante et cruelle est en fait l'avatar d'une tradition à la fois politiquement marginale et populaire, qui lui donnait depuis longtemps un contenu) Grand filmqui invite à voir d'autres Lino Brocka (et il y en a beaucoup).
Dernière édition par Gontrand le 28 Avr 2016, 12:55, édité 7 fois.
Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris :
- En explicitant la vengeance, qu'on avait très bien deviné - En entachant la droiture de cette vengeance d'un regret bizarroïde (pas qu'il soit "bizarre" qu'elle regrette, mais jamais le film n'a montré jusqu'ici la vengeance comme une spirale dangereuse dont il va falloir payer le prix, ça arrive de nulle part) - En finissant toute cette histoire sur la relation mère-fille, alors qu'il me semble que le film essayait justement de définir son héroïne en dehors de ça - En abandonnant le jeune adolescent, la seule figure idéaliste du film, sans mener nulle part ce que le film a construit autour de lui - En ne retournant pas, enfin, se reconfronter à ce décor du bidonville, qui a conditionné tout le drame, qu'on veut fuir, et qui se retrouve presque nié dans ce dernier segment calme et évidé. Il manque vraiment ce dernier face à face avec les lieux.
Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final.
EDIT - Et bien apparemment, c'est effectivement dû à la censure :
Citation:
I believe Brocka followed O'Hara's teleplay up to Insiang's explanation of her actions to her mother; after which is the conclusion forced on Brocka by the Marcos censors, who insisted that a daughter can't completely reject her mother.
Bon, mais ça n'explique pas ce qui devait à la base servir de fin.
Personnellement je n'ai pas trouvé la fin bancale
Sans cela je n'aurais pas compris qu'Insiang est probablement née d'un viol de la mère, qui est d'ailleurs sans doute le personnage central du film. D'ailleurs cela semble aussi une révélation au même moment pour Insiang, alors que c'était évident depuis le début (la mère la rejette à la fois pour la punir et la protéger par tranfert inconscient, parce qu'elle reproduit son comportement au même âge)
Au passage, cette fin a inspiré Oshima pour la fin de Furyo (et par ailleurs le personnage d'Insiang n'est pas sans ressemblance avec celui de Rosamund Pike dans le dernier Fincher, et celui de Dado avec celui d'Affleck)
Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris :
- En explicitant la vengeance, qu'on avait très bien deviné ... - En finissant toute cette histoire sur la relation mère-fille, alors qu'il me semble que le film essayait justement de définir son héroïne en dehors de ça - En abandonnant le jeune adolescent, la seule figure idéaliste du film, sans mener nulle part ce que le film a construit autour de lui - En ne retournant pas, enfin, se reconfronter à ce décor du bidonville, qui a conditionné tout le drame, qu'on veut fuir, et qui se retrouve presque nié dans ce dernier segment calme et évidé. Il manque vraiment ce dernier face à face avec les lieux.
Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final.
Mais il est logique que l'adolescent soit délaissé, et que le refus manifesté par Insiang de s'engager sentimentalement avec lui (ou même d'accepter son aide) signifie la clôture du point de vue politique sur le bidonville (dont tu parles asszz bien):c'est justement la pureté du garçon qui permet en quelque sorte de "synchroniser" les deux abandons. C'est aussi le mouvement par lequel Brocka filme un contexte queer, tout en montrant progressivement qu'il n'est pas le sens principal du film La soeur de cette ado, l'espèce d'épicères coryphée dont les bonnes intentions et les cancans enfoncent encore plus Insiang dans la merde lui suggère d'abord à qu'elle ne peut compter que sur son mec (celqui à la bpoucle d'oreille et la coiffure de footballeur allemand). Insiang suit le conseil, mais découvre qu'il est encore pire que Dado et vraisemblablement gay refoulé, et ne pense qu'à monter socialement (il sort avec la fille convoitée par Dado juste pour se positionner politiquement dans le bidonville). Dado lui au moinds a des sentiments et après le viol, abandonne la violence, on peut concevoir qu'il est aussi tué parce que les deux femmes lui reprochent à la fois sa brutalité et son soudain manque de virilité. L'adolescent est réglo, mais c'est justement le seul à savoir qu'il est gay (il refuse les injonctions de sa soeur pour sortir avec Insiang, qui le fascine pourtant, et surtout, flashe complétement sur le moment où les deux femmes essayent du rouge à lèvre, c'est unr sorte de scène primitive- qu'il est capable de comprendreet de "décomposer". Ensuite Insiang dit à sa mère que son père va l'aider, celle-ci rit sous cape et en même temps prend conscience de la souffrance de sa fille (son père était probablement un premier violeur...). Ensuite l'adolescent lui propose son aide, et là Insiang a (enfin) compris ce que Brecht appelait l'opposition de la justice poltique et de la charité: "la seule personne qui peut m'aider c'est moi", mais cela l'adolescent, parce qu'il se connaît sexuellement je crois, est aussi capable de l'accepter politiquement (le mouvement de la reconnaissance et de la compréhension d'une décalage lui permet de trouver la juste attitude, s'effacer).
Il y a une très belle scène qui reproduit cette trajectoire, quand Insiang annonce à sa mère qu'elle a été violée, celle-ci, pendant quelque secondes se prend de compassion pour sa fille, et on croit qu'elle va décider de chasser Dado. Mais celui-ci trouve un mensonge honteux ("Quand tu n'est pas là elle m'allume, se promène nue" qui force Insiang a faire un récit plus circonstancié de m'agression, ce que la mère (qui a très probablement vécu la même chose, et le refoule dans sa cruauté) ne supporte pas, et l'alliance avec Dado contre elle est renouée.
Il y a une très belle idée, Brocka filme la reconnaissance de l'autre non pas comme un objectif vers lequel on tend, une assomption d'une transcendance, cette reconnaissance est au contraire quelque chose d'originaire, de spontanément présent, mais de quasi-traumatisant. Cette reconnaissance est un sens qui n'évolue pas, n'a pas de devenir. Elle cache qu'elle s'est reconnue dans sa fille sans le chercher, ce qui est la logique de la domination (faire croire à un devenir de la reconnaissance). C'est la violence qui est au contraire un travail et est mise en branle (et échoue dans le fin qu'elle se fixe)
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