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 Sujet du message: Foxtrot (Samuel Maoz, 2017)
MessagePosté: 01 Mai 2018, 20:33 
Dans leur confortable appartement de Tel Aviv, Michael et Daphna Feldmann reçoivent la visite d'une équipe de l'armée. On leur annonce la mort en service de leur fils Jonathan, qui gardait avec d'autres un checkpoint dans la "Seam zone", un No Man's Land au nord d'Israël.
Les militaires sont censés faciliter le deuil des parents mais se comportent de manière particulièrement rude et invasive, mettant Daphna en narcose, et briefant en permanence Michael avec un discours qui mêle psychanalyse et éléments de langage dignes d'un livret de propagande militaire, au point de l'irriter et de susciter son mutisme...


Image


Très bon film, mais qui commence assez mal, avec une mise en scène qui peut rappeler Asghar Farhadi (même type d'appartement-cerveau), avec des effets de styles encore plus appuyés et mécaniques , versant dans la surécriture très signifiante.
On y trouve de systématiques panotages à 90° de la caméra autour des visages, des plongées zénitaux dans les toilettes , le décor psychédélique de l'appartement est sursignifiant (ainsi le carrelage à la Escher qui brouille le repères spaciaux sera immédiatement souligné par un 360°), ainsi qu'un chien aux gémissements post-synchronisés dont les yeux semblent dire :"T'es sûr que tu veux placer la caméra comme ça ?" ou "je n'ai pas besoin que l'on me montre une saucisse pour regarder dans cette direction !". Le soundscape, dans lequel le moindre roulement de tiroir déclenche un bruit comparable à une bombe, anticipe de manière maladroite et trop évidente le twist du film. Moaz semble ne pas faire confiance à ses acteurs (pourtant très bons) et à la situation qu'il a créé, on a parfois l'impression de tenir une pièce de théâtre gonflée au cinéma, mettant en abyme plusieurs huis-clos les uns dans les autres.
Le film donne alors l'impression d'être en permanence dans l'exposition des personnages.
Mais ce sont des faiblesses finalement assez courantes dans le cinéma actuel, même dans des films ambitieux et éloignés de cet univers, comme "Grave" ou "La mécanique de l'ombre", avec lesquels il partagent une même lumière bleu-gris désaturée, et une même fascination pour une architecture moderne impossible à dater, entre Bauhaus et brutalisme.

Mais au fur à mesure que le film avance, ce qui apparaîssait d'abord comme des maladresses involontaires et de l'artifice se révèle être un pari conscient et assumé, qui, poussé au bout, va gagner en légitimité et finir par créer quelque chose qui tient bon, et n'est pas sans force politique.

Je ne veux pas révéler le twist du film, mais disons qu'il consiste en trois segments relativement autonomes dans trois genres différents, bien codés, mais articulés de façon lâche et butant chacun sur un point aveugle. Le dispositif du film est très influencé par le cinéma iranien, notamment Copie Conforme de Kiarostami.

Chacun de ces fragments semble concerner trois générations différentes d'Israéliens, ou, plus exactement, de la gauche israéliennes. Le début est une fiction de gauche mettant en scène la mise en cause l'idéologie d'état par un homme seul, qui a paranoïaquement raison (ce segment articule la mémoire des grands-parents de la génération de la Shoah et son raccord problématique avec Israël comme pays dont l'armée et la capacité à se défendre sont les garants symboliques de l'intégrité démocratique à l'intérieur et de la reconnaissance internationale au dehors). Le second segment est un film à sketch tragi-comique de slackers de 20 ans désoeuvrés et perdus dans le service militaire et une drôle de guerre, où le désir pour l'autre, la jeunesse palestinienne, est à tout la fois présent, et interdit, qui traite de la situation des enfants (la plus forte partie du film, étonnament raccordée à l'esthétique de l'illustration manga, mais sans mièverie).
La troisième partie est un drame érotique du couple, où un homme qui se pense politiquement fort et lucide s'aperçoit de son impuissance et de son traditionnalisme quand sa femme , très belle et juste Sarah Adler, lui objecte qu'avec lui les rôles d'épouse et de mère n'arrivent pas à être distingués, qui rappelle Marco Bellochio (c'est la seule partie du film cadrée sur des corps et des visages qui se déplacent).

L'idée très belle du film est d'avoir placé le segment sur les fils, au combat et plongé dans l'hystérie du contrôle des frontières, dans une position problématique et douloureuse, entre les segments consacrés à la génération des grands-parents et parents, qui quant à eux se déroulent dans les mêmes lieux mais ne communiquent pas directement.

Ces segments sont articulés de manière assez lâche, séparés, mais contiennent la même colère, la même indignation impuissante et sourde, dont le film montre la diffusion, l'absence d'écho puis le retour silencieux (elle est ce dont les parents veulent se désaisir, et qui leur revient avec la mort du fils, qui est aussi la mort d'une gauche à la fois pacifiste et apte aux leaderhip politique).
C'est un film volontairement frustrant sur l'impuissance politique, le fait que rien n'embraye apparemment après la critique du racisme, que l'on peut considérée pourtant comme terminée et objective. Et cela pas à cause d'un mystère ontologique inévitable, mais d'une culpabilité collective, peut-être pas assez dite dans l'espace public et trop dite dans la sphère privée.

Le film raconte une colère politique neuve qui n'arrive qu'à s'exprimer que dans des formes anciennes, et est dès lors comprise avant d'être reconnue. Situation qu'illustre la mère déportée et acariâtre de Michael, qui lui parle allemand quand il s'adresse pourtant à elle en hébreu, mais qui lui confère étrangement un prénom plus hébraïque que le sien : Avigor. Comme pour montrer que l'histoire des parents, qui ont vécu la Shoah, est celle où l'affect et l'identité se compensent exactement et de façon pleinement consciente. Il s'agît d'un maniérisme érigé en système moral et politique, où tout est pareillement intentionnel : le discours patriotico-médical des militaires du début, la colère poltiique humaine du père, qui ne croit pas en l'armée, qu'il afaite aussi, les malaises érotiques comiques et morbides du fils, où la pornographie est une forme de religion échangée au sein de la douleur de la Shoah. Un régime de sens porté par le discours et le décor à l'arrière-plan plutôt que les situations, dans lequel le cinéma n'arrive pas à injecter de l'image, il ne peut que le rompre plutôt que l'incarner, nourissant ainsi un rapport au politique qui se formule en terme de rapport à un objet, où désir et frustration s'accroissent en même temps. Le film est en cela honnête sur l'époque.

Le passage central sur le check-point est particulièrement marquant, le film ne cherche pas à restituer la guerre de façon documentaire, mais crée une situation à la fois comique et ironique, à la Desert de Tartares (mais où les Palestiniens sont figurés), pour en faire comprendre l'injustice. Cela fonctionne plutôt bien. Ce qui est assez émouvant c'est que le dispositif de la fable, malgré ses limites, est très proche de celui des meilleurs films d'Elia Suleiman qui pointe l'autre côté de la situation, et permet de faire circuler et transmettre un malaise qu'il faut comprendre pour dessiner une sortie par le haut du conflit et aller à la rencontre de l'autre.


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MessagePosté: 03 Mai 2018, 08:28 
Dans le film il est évident
qu'abandonné à sa culpabilité, dont le père veut le protéger, le fils aurait survécu. D'une part la paix ne supprimera pas cette culpabilité, mais la commencera au contraire. D'autre part cette mort possède quand-même le sens d'une élection
.
Au discours nationaliste qui place l'identité à l'intérieur de la politique, le film oppose l'emboîtement inverse (position de repli de la gauche, insatisfaisante bien-sûr). La notion biblique d'élection (et de justification) n'est pas annulée (le film s'inspire à la fois de la scène du petit chien dans Apocalypse Now pour ce que vit le fils, et du livre de Job pour décrire la même situation perçue par le père - on peut penser aussi à la première nouvelle du Mur de Jean-Paul Sartre).

Maoz montre au contraire un monde où elle a le même contenu et est pareillement efficace au point de vue politique et au point de vue religieux. Simplement elle subit alors un double transfert : de la décision vers l'acte manqué, et de la nation vers l'individu, en court-circuitant la famille (elle est donc sans dialectique, et sans ordre).


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MessagePosté: 04 Oct 2018, 13:58 
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Antichrist
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Très bon texte sur l'un des meilleurs films-cerveaux de l'année.


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MessagePosté: 11 Déc 2023, 22:38 
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Citation:
Le critique commence par noter que le film démarre de manière peu convaincante avec une mise en scène rappelant le style d'Asghar Farhadi, des effets de style marqués, et une surécriture très signifiante. Il mentionne des choix de mise en scène tels que des angles de caméra inhabituels, des plongées dans les toilettes, et un décor psychédélique, les considérant comme des maladresses.

Cependant, au fil du film, le critique change d'avis, réalisant que ces éléments sont en fait des choix délibérés et assumés qui contribuent à créer quelque chose de puissant sur le plan politique. Il évoque un twist dans le film, composé de trois segments autonomes dans différents genres, chacun traitant de générations différentes de la gauche israélienne.

Le premier segment présente une critique de l'idéologie d'État par un individu solitaire, le deuxième est un sketch tragi-comique sur des jeunes désœuvrés pendant leur service militaire, et le troisième explore un drame érotique dans un couple confronté à des questions politiques. Le critique salue l'idée de placer le segment sur les fils au milieu, entre les générations des grands-parents et des parents.

Malgré la séparation apparente des segments, le critique souligne qu'ils partagent une colère sourde et impuissante, illustrant une frustration politique délibérée sur le racisme et la culpabilité collective. Le film exprime une colère politique contemporaine à travers des formes anciennes, avec une conscience aiguë de l'histoire, de l'affect et de l'identité, notamment liée à la Shoah.

Le texte évoque également un maniérisme moral et politique où chaque élément est intentionnel, du discours patriotique des militaires au malaise érotique du fils. Le film semble lutter pour représenter le politique en images, optant plutôt pour des discours et des décors en arrière-plan, reflétant un rapport contemporain à la politique formulé comme un rapport à un objet, où désir et frustration coexistent.

Le critique trouve particulièrement marquante la scène centrale du check-point, où le film, loin de documenter la guerre de manière réaliste, crée une situation comique et ironique pour souligner l'injustice. Il compare cela aux films d'Elia Suleiman, soulignant que le film offre une perspective alternative et contribue à la compréhension du conflit et à la nécessité d'aller à la rencontre de l'autre pour trouver une issue.


Les précisions ajoutées mettent en lumière plusieurs éléments importants du film et apportent un éclairage nouveau sur son discours politique et moral. Voici une explication de ces points :

Culpabilité et Survie : Le critique suggère que dans le film, il est clair que le fils aurait survécu s'il n'avait pas été abandonné à sa culpabilité. Le père, par souci de protéger son fils, aurait voulu éviter cette culpabilité. Cependant, le film souligne que même en temps de paix, cette culpabilité subsiste et commence à se manifester. La mort du fils est interprétée comme une élection, un choix significatif, plutôt qu'une simple tragédie inévitable.

Identité Politique et Nationale : Le film s'oppose au discours nationaliste qui intègre l'identité dans la politique. Au lieu de cela, il propose une perspective de repli de la gauche, bien que cette position soit insatisfaisante. L'utilisation de la notion biblique d'élection et de justification est soulignée. Contrairement au discours nationaliste qui place ces concepts dans le contexte de la politique, le film suggère que l'élection est tout aussi pertinente au niveau religieux. Cette élection subit un double transfert, passant de la décision à l'acte manqué et de la nation à l'individu, en court-circuitant la famille. Ainsi, il est souligné que cette élection n'est pas dialectique et qu'elle n'obéit à aucun ordre préétabli.

Références Culturelles et Littéraires : Le film semble puiser dans des références culturelles et littéraires variées, allant de la scène du petit chien dans "Apocalypse Now" à des parallèles avec le livre de Job et la première nouvelle du "Mur" de Jean-Paul Sartre. Ces références enrichissent la compréhension du film en situant son discours dans un contexte plus large et en établissant des liens avec des œuvres antérieures qui traitent de situations similaires.


Perso, j'ai eu du mal, ça m'a rappelé le Michael Haneke de Caché dans le style et dans la manière de lier drame intime - en milieu bourgeois - et tragédie politique. Au premier tiers, je pensais que le film prendrait une autre direction, peut-être plus conventionnelle

un couple apprend que son fils est mort puis que c'est une erreur et le fait revenir, en endossant le deuil de l'homonyme mort à sa place - en quelque sorte.


Mais bon on voit pas les films que l'on imagine, mais cette focalisation sur une cellule familiale, avec ses rancoeurs et ses traumas personnels paraît étriquée et ne pas s'élever à la hauteur de la métaphore significative. Même si j'ai tort - suffit de voir les réactions de la Ministre de la Culture israëlienne à la sortie du film - ou pas - elle n'a pas vu le film.

J'imagine que son projet de film, annoncé par variety au début de l'année, a pris du plomb dans l'aile "Foxtrot’ Director Samuel Maoz Reteams With Eitan Mansuri on Political Movie ‘It’s Good to Die For Your Country’" https://variety.com/2023/film/global/fo ... 235564036/


Dernière édition par bmntmp le 11 Déc 2023, 22:47, édité 1 fois.

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MessagePosté: 11 Déc 2023, 22:46 
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Mais c'est quoi ce bordel, un remix par ChatGPT ?

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 11 Déc 2023, 22:48, édité 1 fois.

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MessagePosté: 11 Déc 2023, 22:47 
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Vieux-Gontrand a écrit:
C'est quoi ce bordel ?


Vous avez été expliqué par ChatGpt-3 sir.


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MessagePosté: 12 Déc 2023, 13:43 
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Citation:
He said the idea for the film first took root after he refused to send his young daughter to school by taxi when she got up late one morning during the Second Intifada, and made her take her usual No. 5 Tel Aviv bus instead. The No. 5 was blown up that day, and he was convinced for an hour that she was dead. It turned out that she missed that bus by seconds. Thus, a core element of the film — exploring the things we control and those that are “beyond our control.”


J'adore l'anecdote qui donne naissance au film. C'est donc ça la mauvaise conscience de gauche en Israël : ma fille, prends le bus, je te paye pas le uber... Sauf que la tragédie peut se cacher dans le bus.

C'est un peu bizarre de regarder le film à l'heure actuelle, et il prend une signification accrue. Ainsi ai-je vu la première partie non comme un drame kafkaïen, mais comme la manière dont la mort a l'occasion d'être traitée de manière beaucoup plus civilisée que de l'autre côté, peut-être, car la mort et ses rituels peuvent être traités de manière posée. Cela me faisait penser aux bilans qui opposaient les morts palestiennes aux morts israëliennes, avec la disproportion entre les deux. Que le film s'appesantisse sur cette douleur dans cette longue première partie, dans cet appartement bourgeois, pour finalement se rassurer - le fils n'est pas mort, tout en n'évoquant jamais cet homonyme qui est mort à la place, voilà qui m'a semblé bizarre. Je me suis dit, finalement la mort dans la guerre est toujours individuelle, c'est en tout cas ce que raconte le film, l'empathie, dans la crise, va à la famille la plus directe. Donc finalement 30 000 morts contre 1000 et quelques, c'est toujours le même nombre de familles endeuillées.


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MessagePosté: 12 Déc 2023, 14:01 
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Il y a un décalage étrange entre le caractère tranché de tes propos et le fait d'utiliser ChatGPT comme filtre pour retranscrire ou rapporter ceux des autres (dont les miens), qui fait qu'on ne sait plus très bien où tu veux en venir, et le lien que tu tisses avec l'actualité n'atténue pas ce flou.

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MessagePosté: 12 Déc 2023, 14:19 
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Ne sois pas vexé plus que de raison. Je me souvenais que tu avais recommandé le film. L’actualité étant ce qu’elle est, je me suis dit voyons voir le film qui est d’après Gontrand ou d’autres, mieux que des Nadav Lapid. Que me dira le film par ailleurs sur la guerre actuelle (aspect si je puis dire circonstanciel ou conjoncturel qui colore différemment la vision qu’en 2017). J’ai vu avec attention les deux premiers tiers, moins le dernier. Je me réjouissais à l’idée de lire ton texte après, mais je n’y ai pas entravé grand-chose. Comme une blague, j’ai demandé a ChatGpt de m’expliquer.
Je n’ai pas un avis tranché mais j’ai expliqué les raisons pour lesquelles le film me semble, comment dire, confiné. J’ai eu l’impression de voir The Squid and the Whale à Tel-Aviv en juste un peu plus dramatique. Il y a un discours mêlant athéisme, pornographie, héritage, holocauste et sionisme qui se développe peut-être de manière intéressante dans cette dernière partie que je me reproche d’avoir regardé que d’un œil.
Je suis perplexe mais oui ça m’a fait penser à Caché en mieux.


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MessagePosté: 12 Déc 2023, 16:19 
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Je ne m'en souviens plus très bien, mais je pense que le propos du film n'est pas d'exclure les Palestiniens de l'empathie, ou de poser une différence quantitatives entre les morts d'un côté et les morts de l'autres, qui ferait du deuil la spécificité d'un seul camp. Ici certes cela montre une famille israélienne qui se déchire puis se reconstruit autour de la mort du fils, mais je pense que le thème dominant est plutôt le fait que le père a honte d'appartenir à une génération à la fois plus politisée, plus proche des grandes idéologies (ou justifications) historiques mais aussi plus préservée par l'histoire que celle de son fils (c'est peut-être pour cela que la mort du fils est d'abord un simulacre, que la peur rend finalement réelle).

Dans la scène du checkpoint, on voit qu'il s'en prennent par peur, à des jeunes eux-mêmes apeurés qui leur ressemblent (et qu'ils peuvent désirer car il y a des femmes). Il y a aussi une mise en cause (certes par la fable, sans ancrage précis, dans un lieu-archétype) d'une culture du secret et la bavure, car si je me souviens bien, les soldats essaient d'enterrer à la pelleteuse la Mercedes qu'ils ont mitraillées avec ses occupants, et cette voiture devient un cerceuil et un linceuil (ce qui résonne fortement avec les images et situations de l'attaque du 7 octobre).
Si j'ai bien compris, tu avances que le réalisateur n'est pas à la hauteur des intentions mais aussi que la comparaison entre les deuils que tu traces (et qui correspond à un cliché et un ressentiment couramment exprimés) est la vérité insurmontable du conflit. Tu reproches à la fois au film la mise en scène de cette comparaison (la compassion ne touche que les proches, devient le contraire de l'altérité) et de ne pas l'assumer entièrement, de douter, mais c'est peut-être justement ce doute qui est le propos du réalisateur, ou en tout cas le centre de son film , ainsi que l'instrument d'une critique ?

Dans le Courrier International de cette semaine, il y a un article intéressant du Haaretz qui indique que les unités de gardes-frontières de Tsahal sont essentiellement féminines, normalement affectées à de la surveillance vidéo passive (il semble que les drones et l'IA, et la technologisation en général, aient amené une féminisation du métier militaire, mais pas forcément de la chaine de commandement, que le cinéma récent parvient à prendre en compte cf Reality, ) .

Plusieurs de ces jeunes filles avaient repéré des entraînements du Hamas sur des maquettes de chars et des reproductions de bases militaires israéliennes (ce qui suppose un capacité de renseignement et d'inflitration de leur part), des movuements suspects et mêmes des intimidations gestuelles directes via les caméra qu'elles passaient en revue, durant les mois qui onr peécédé l'attaque, sans être prises au sérieux par leur hiérarchie, sans doute en grande partie à cause de leur genre et du fait qu'elles étaient en bout de la chaine de commandement, sans initiatives ("vous êtes nos yeux et pas le cerveau").
L'une d'entre elles mentionnait même qu'elle répérait parfois des ornithologues amateurs, apparemment difficiles à distinguer de combattants en repérage.

Or ce sont elles qui ont été les plus tuées parmis les militaires le 7 , et constituent une partie des otages.

Le film reflète partiellement cette réalité : les conscrits (et conscrites) peu expérimenté(e)s sont envoyés à la surveillance des frontières, sans doute en partie pour couvrir les troupes plus aguerries et mieux équipées, dont la préservation est paradoxalement, pour les deux camps, un des ressorts de la surenchère politique.

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MessagePosté: 02 Jan 2024, 13:05 
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Tiens je n'avais pas vu ta réponse - pardon, je ne parlais pas d'équivalence entre morts palestiniennes et israéliennes mais de cette façon de faire de la mort et du deuil un problème presque uniquement intime, familial. Pour les géniteurs, apprendre que son fils n'est pas mort est un motif de soulagement, ce qui est normal, mais c'est comme si cet homonyme mort à sa place n'existait plus. Je trouve qu'il y a là une forme de questionnement moral que le film n'explore pas vraiment.

Merci pour la mention de l'article qui a l'air intéressant.


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