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Bon, je n'avais pas forcément envie de me retrouver enfermé dans une salle de cinéma pendant 3h30, même si le programme et les références exposés par le réalisateur dans le prologue intriguent et correspondent à ce qui me plaît en tant que spectateur (vision à la fois ludique et cérébrale du récit, qui prend appui sur des vieilles formes folkloriques et populaires, série b fantastique, mélodrame musical, film d'espionnage, etc).
Sauf que c'est le printemps du cinéma et que je me suis rendu compte que Llinás est l'auteur de l'excellent Historias Extraordinarias. J'ai dormi pendant la première partie qui est une sorte de film d'épouvante minimaliste à base de momie et de malédiction. Reposé, j'ai pu apprécier dans des conditions optimales l'intelligence de l'excellente comédie musicale qui suivait, qui se veut un mélange entre le mélodrame et le polar complotiste.
C'est un cinéma très littéraire, à ceci près que la littérature - ou du moins l'impression que j'en ai - en Amérique latine est quelque chose de beaucoup plus ancrée dans la vie quotidienne qu'en France, où un malentendu qu'on appellera cartésien nous a conduits sur la mauvaise pente de la psychologie et de la sociologie au rabais.
Llinás, lui, est exactement dans la tradition dont Borges et Bioy Casares sont les principaux instigateurs. Eux-mêmes s'appuyaient sur un amour et une vaste connaissance du roman populaire, des récits d'aventure, fantastiques, de science-fiction, contes folkloriques, de ce qu'on appelle en fait "le genre". Le récit est une vaste mécanique dont on peut faire varier à l'infini les composants, en d'intéressants jeux de miroir et de réverbérations. Je sais, c'est abstrait et pompeux ce que j'écris, mais ce qu'on trouve chez ces auteurs, c'est que la narration est le lieu de l'émotion, et l'idée c'est qu'il y a une mécanique de l'émotion ou que l'émotion ne peut s'affranchir de l'artifice, ce qui ne signifie pas qu'elle est fausse ou qu'on doive la réduire à un cliché.
Dans la Flor, comme Bioy ou chez Borges, on retrouve cette idée que la vie est un jeu, où les évènements sont dramatisés à plein, comme dans le tango ou la corrida, cet amour du complot, de ce qui s'ourdit dans les tréfonds de l'âme, d'un langage plein de métaphores ou de périphrases, qui pourtant n'est que la pointe immergée de l'iceberg des sentiments (ahalala).
C'est très frappant dans la partie comédie musicale où l'on voit d'abord un des personnages principaux, qui est chanteur, enregistrer sa partie de la chanson, il bute dessus, il est visiblement un personnage secondaire dans cette chanson, quelque chose manque. Puis on apprend qu'il s'est séparé de sa femme avec qui il formait un duo mythique. On nous dit le récit de leur rencontre, trois versions différentes nous en sont données, pas à la manière de Rashomon, mais il y a la version idéalisée pour les fans et les lecteurs de l'autobiographie, la vraie version, et enfin la dernière telle qu'elle a été vécue par le deuxième protagoniste. L'histoire se retrouve à chaque enrichie d'une nouvelle couche, un peu comme ces conversations au téléphone qu'on entend sans savoir ce que dit l'autre au bout du fil, autre qu'on va apprendre à découvrir au fur et à mesure de l'histoire.
Le film culmine donc lors de l'enregistrement de la chanson complète où les morceaux sont comme par magie recollés, comme une alliance d'émotion et de savoir-faire parce qu'on a vu la chanson se construire petit à petit sous nos yeux, et être pourvue d'une substance émotionnelle dont on avait juste l'intuition.
C'est presque génial malgré les longueurs et le fait que l'image soit pas franchement belle, mais comme je l'ai dit, Llinas est un cinéaste littéraire mais il y a une pertinence dans le fait qu'il fasse du cinéma et pas autre chose. Ce qui ne l'empêcherait pas d'être un excellent auteur de feuilletons radiophoniques, genre qui malheureusement n'existe plus.
J'irai voir le deuxième.
Dernière édition par bmntmp le 19 Mar 2019, 17:26, édité 1 fois.
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