Synopsis : après la Guerre de sécession, Buck (Sidney Poitier), un ancien soldat, aide des esclaves affranchis comme lui à partir de Louisiane pour s’établir à l’Ouest, au Colorado. Mais des rabatteurs d’esclaves sudistes commandés par Deshay (Cameron Mitchell) lancés à leurs trousses, leur mènent la vie dure. Tentant de fuir Deshay, Buck fait la connaissance d’un « pasteur » (Harry Belafonte) dont la bonne parole passe par un flingue planqué dans sa bible. Méfiants au départ l’un de l’autre, ils vont mettre au point un braquage afin de renflouer les esclaves libres, ruinés par les attaques successives des rabatteurs.Première réalisation de Sidney Poitier qui débarque le fort bon Joseph Sargent du projet sous prétexte que celui-ci n’était pas « très impliqué dans le projet. » Malgré ces débuts compliqués, le film ne tombe pas dans le « vanity project » de Poitier ni même dans la création d’une figure héroïque mythique sous-Eastwoodienne avec un proto-homme sans nom taciturne. Certes, Buck est une fine gâchette armée de deux double-canons sciés du plus bel effet, mais Poitier humanise sans cesse son portrait. Déjà, ses habits finissent élimés et rapiécés au fur et à mesure des affrontements, et on le voit sans cesse tiraillé entre ses responsabilités envers le convoi d’esclaves libres qu’il doit accompagner, et la possibilité d’une vie paisible et isolé au Canada avec son épouse. Cette question traverse le script d’Ernest Kinoy, un habitué de séries tv, qui maintient un rythme effréné entre embuscades, poursuites et règlements de compte, et dépeint un dilemme assez réussi tant l’exode des anciens esclaves semble risquée et vouée à l’échec. Très tôt, Poitier s’attarde sur les maigres possessions du convoi et sur les promesses non tenues de l’émancipation.
« Pas de mules ni de terres pour nous, ce pays est empoisonné » rappelle constamment à Buck sa femme (Ruby Dee). Astucieusement, le film intercale dans ce périple des moments de négociations ardues avec les Indiens natifs de ces terres. Comme au sein de son entourage, le personnage féminin est d’importance puisque c’est la femme du chef indien (jouée par la propre femme de Belafonte, Julie Robinson) qui traduit les propos de son mari auprès de Buck, ce qui rajoute un temps de latence entre des discussions dont la rancœur bouillonne jusqu’à une explication finale : Buck a fait partie de cette armée qui a délogé les natifs de leur propre territoire.
Le personnage du Preacher interprété par Harry Belafonte (qui produit le film) se taille en revanche la part du lion, en baratineur aux dents pourries qui cite les saintes écritures pour mieux endormir ses proies. Amoral et ambigu, il offre un parfait contrepoint au plus noble Buck, leur association appuyant le propos du film : l’obligation de contourner la loi lorsque les dés sont d’avance pipés. De plus, son apparence grotesque renvoie aux westerns spaghettis vers lequel lorgne
Buck et son complice : si il limite les effusions de sang, il en garde néanmoins le côté contestataire. Avare en dialogues, le film privilégie également certains éléments visuels saisissants comme la couleur verte des banques renvoyant à la vallée du Colorado dans laquelle désir s’installer le convoi (mais également à l’AS St Étienne qui vient à l’époque de remporter un triplé historique Coupe-championnat-Gambardella) .
Cette mise en forme rêche et portée sur l’action fonctionne du feu de Dieu, ou du Diable vu le plaisir qu’a Poitier à dénoncer la religion via le Preacher et à placer le convoi sous la protection de la divination par les ossements. Et le final qui voit
L’union des parias est dès lors à jamais immortalisée dans le générique sépia de fin, en miroir de celui d’ouverture* qui dédiait le film à tous ces anonymes dont les tombes parsèment un pays. Un pays empoisonné.
*morceau de FEU de Benny Carter.