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MessagePosté: 19 Déc 2021, 00:10 
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Chef d'oeuvre discret de la filmographie toute en sourdine d'un malchanceux en série, Day of the Dead est sans doute le film-somme du genre.

SPOILERS

Peu de séquences d'ouverture dans l'histoire du cinéma véhiculent autant l'horreur et la désolation. Sous les palmiers et le soleil de Floride, le synthé poisseux, menaçant de John Harrison, qui rompt radicalement avec le classicisme pompier de la BO de Night, encore plus avec celle, culte mais lourde et moche comme de la moquette orange au mur, de Goblin pour Dawn, pose dès les premiers plans sur ces rues vides, poussièreuses, pleines de détritus, ces voitures déglinguées, vitres sales et portes béantes, une atmosphère sinistre, glauque, loin de l'effervescence médusée des coulisses de l'émission dans le film précédent. Et si l'image d'Epinal du "mort-vivant", cette main crochue qui sort de terre, relève désormais du poncif soporifique, leur apparition au compte-goutte, non plus simplement bleus mais cette fois défigurés, difformes, sales et repoussants, accompagnés par la montée en puissance de la musique et de leurs lamentations avides de plus en plus nombreuses, illustre toute la force de Romero : il a su exploiter à fond le potentiel de ce pur monstre de cinéma, allant au bout du concept, tant sur le plan formel que symbolique et thématique. Le monde des survivants est mort, il ne reste plus rien, ils sont seuls, tout est fini et il n'y a plus rien à dire, plus rien à comprendre.

Le reste du film n'atténue jamais le choc visuel, sonore et thématique de cette introduction. Surtout, et c'est là sa qualité principale, il sait être allusif avec autant de brio qu'il sera frontal et viscéral : les premiers militaires qu'on voit ont les cheveux longs et la barbe et font pousser de la weed; les premiers dialogues posent immédiatement des tensions anciennes, faites de venin et non-dits à déchiffrer, ancrées au-delà du point de non-retour; un des antagonistes historiques des personnages centraux vient d'être enterré; sa relève, l'antagoniste principal, reprend la main et soulève de manière abjecte des questionnements pourtant pertinents et essentiels sur la répartition des risques, des tâches, des priorités... Les militaires d'un côté, tantôt désordonnés, hystériques, nonchalants, tyranniques, de l'autre les scientifiques, tantôt obsessionnels, déconnectés, disjonctés, sûrs du bien fondé de leur boulot et de leurs exigences, et au milieu un pilote d'hélicoptère et un ingénieur radio, perçus comme deux bouffons nihilistes et tires-au-flanc. Ils n'ont en commun que d'être morts de trouille face à ce qui se passe. Les conflits auxquels on assiste existent donc déjà de manière extra-diégétique et s'imposent au spectateur par des scènes aux dialogues brutaux, odieux, d'une tension sans relâchement, crachés avec une haine palpable par des acteurs qui donnent tout pour illustrer la décomposition du moral et du mental de leurs personnages et faire vivre la menace croissante de passages à l'acte irréparables. Tout dans ce film est fruit de la première impression laissée par l'intro : il ne reste plus rien, nous sommes seuls, tout est fini, il n'y a plus rien à dire, plus rien à comprendre. On est dans la haine, l'impasse et l'effondrement.

Visuellement, tout est fait pour illustrer l'enfermement et l'aveuglement, via notamment ces plans fixes sans pitié dans des couloirs blancs à l'agencement mystérieux, des salles d'observation et leurs miroirs sans tain, un corral à zombies creusé à même la roche, comme une tombe dans la tombe. L'absence de gros plans sur les personnages laisse parler le langage corporel des acteurs, entre ceux qui restent statiques pour incarner la menace ou au contraire l'encaisser, et ceux qui ne tiennent pas en place et semblent n'attendre qu'un prétexte pour vriller.

Je mentionne plus haut l'exhaustivité de Romero concernant ses monstres, et le personnage de Bub, le "zombie intelligent", en est l'illustration la plus parlante, dans la directe continuité d'un très court passage du montage Romero de Dawn où Fran se surprend à contempler à travers une porte vitrée un zombie qui la regarde, avachi, sans s'agiter ni essayer de l'attraper. Bub, c'est déjà la virtuosité des maquillages tout en étrangeté et en malaise du plus tout à fait humain, suivie de celle de l'incarnation par Sherman Howard qui fait écho à Boris Karloff dans la laideur et la gaucherie du monstre, mais avec une intensité et une ambivalance uniques, qui interdisent toute plongée dans l'excès et le ridicule. Les questions éthiques et pratiques que soulèvent les personnages autour de cette créature et de ses capacités, ainsi que les arrangements moraux de son dresseur autour de la question de la récompense comme moteur de l'apprentissage, sont centrales dans le film et précipitent le basculement vers la violence généralisée qui ne faisait que couver : c'était la découverte de trop, le compromis de trop, le besoin de comprendre d'avantage qui devenait indissociable de la barbarie. C'est d'ailleurs en partie pour ça que Land était (lui aussi) de trop à ce sujet, avec son Big Daddy qui n'est que l'ombre de son prédecesseur, et porteur de sens et de thèmes bien plus simplistes, même ne serais-ce que d'un point de vue scénaristique.

Ce qui nous mène à la pièce centrale d'un film qui mise énormément sur ses échanges de dialogues et ses monologues : celui de John, le pilote d'hélicoptère, qui expose sa weltanschauung entièrement cohérente avec les conclusions qui s'imposent à l'issue de la séquence d'intro : il ne reste plus rien, nous sommes seuls, tout est fini, il n'y a plus rien à dire, plus rien à comprendre. Avec son accent jamaïcain tantôt chantant, tantôt lapidaire, ses sourires bienveillants qui laissent progressivement la place à une grimace tout juste contenue où se conjuguent deuil, colère et terreur, il plonge tout entier dans l'incroyable perte qu'ils ont tous subis, celle du monde entier, et réussit à y trouver un sens : arrêter. Arrêter de chercher, de chercher à comprendre, de chercher à dire. Après plus de vingt cinq ans passées depuis la découverte de ce film et à revivre à chaque visionnage la même intensité que la première fois, j'ai toujours un frisson lorsqu'il sort que leur bunker contient toutes les archives et vestiges, copies et micro-films de la vie et des productions politiques, culturelles, administratives et médiatiques du pays, et qu'ils n'ont qu'à tout y laisser, partir d'ici, faire des enfants et s'assurer qu'ils ne viendront jamais explorer cet endroit. En quelques phrases, le désespoir ambiant et les mécanismes de défense des survivants, et notamment de Sarah, l'héroïne, s'évaporent devant l'évidence que le travail de deuil n'a même pas encore commencé, et que pour ça il faudrait déjà qu'elle arrête. C'est d'ailleurs dès la fin de cette belle épiphanie que toute la cruauté et la laideur disséquées au coeur du film vont éclater pour de bon.

Le massacre final, déjà formalisé dans Dawn, atteint là des sommets rien qu'au niveau plastique. Le travail de Tom Savini impose des visions littéralement infernales de supplices, doublées d'une illustration de la peur primale d'être dévoré. Vivant, qui plus est. Un sommet de gore et de catharsis déviante.

On trouve assez facilement sur internet un script qui serait celui originalement écrit par Romero, avant ses déboires budgétaires. J'écris "serait", parce que rien ne permet à ma connaissance d'en identifier clairement la paternité... Quoi qu'il en soit, il est extrêmement réussi, contient la même noirceur avec une plus grande échelle de lieux et de temps, plus personnages et d'enjeux, et une conclusion tout à fait intéressante. Que ce soit de Romero, ou bien une fan-fiction habilement dissimulée, chapeau. Dans tous les cas, Romero a me semble t-il toujours assumé avoir fait Land avec les grandes lignes des restes inexploités de son premier script.

Day of the Dead, immense petit film qui a tout dit, et bien, sur ce qu'il avait de plus horrifiant à proposer, et que Romero lui-même n'a jamais réussi ne serais-ce qu'à égaler. C'est son meilleur, et le meilleur du genre.

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MessagePosté: 19 Déc 2021, 12:40 
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"The Dead speak!" dans le IX est-il un hommage à ce film ?

Sinon je me souviens que du moment glaçant où Bub arme le flingue.

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MessagePosté: 19 Déc 2021, 13:19 
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Ouais, glaçant c'est le mot. La scène de la récompense aussi est petrifiante. L'acteur fait un boulot de dingue pour naviguer entre des registres couillus à enchaîner.

Et quasiment tout le film est comme ça.

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MessagePosté: 19 Déc 2021, 13:42 
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Müller a écrit:
Peu de séquences d'ouverture dans l'histoire du cinéma véhiculent autant l'horreur et la désolation. Sous les palmiers et le soleil de Floride, le synthé poisseux, menaçant de John Harrison, qui rompt radicalement avec le classicisme pompier de la BO de Night, encore plus avec celle, culte mais lourde et moche comme de la moquette orange au mur, de Goblin pour Dawn, pose dès les premiers plans sur ces rues vides, poussièreuses, pleines de détritus, ces voitures déglinguées, vitres sales et portes béantes, une atmosphère sinistre, glauque, loin de l'effervescence médusée des coulisses de l'émission dans le film précédent.


Les types de Gorillaz l'ont beaucoup aimé au point de le sampler (c'est d'ailleurs la bande son du début du film qu'on entend) sur leur premier album :



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MessagePosté: 19 Déc 2021, 15:30 
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Pareil pour Ministry qui a samplé un bout de synthé et surtout l'alarme de la fin, un des éléments de sound design les plus traumatisants du film : https://www.youtube.com/watch?v=EM5DOSC0jUo

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