Connu pour être le film le moins connu, en tout cas le moins vu de Romero,
Knightriders traite des déboires d'une troupe itinérante proposant des fêtes médiévales
à moto. Romero le reconnaît volontiers, le coup des motos à la place des chevaux vient en partie du producteur et compagnon de route de Roger Corman, Sam Arkoff, qui trouvait ça plus vendeur, entraînant une réécriture du script d'origine.
La troupe du film est jouée par des acteurs issus de la propre troupe de Romero à cette époque, déjà présents pour certains dans
Dawn of the Dead (Ken Foree, Scott Reininger) ou plus tard dans
Day of the Dead (Joe Pilato, Anthony Dileo Jr.), plus ou moins connus, plus ou moins professionnels. Premier rôle d'Ed Harris en tant que roi, Tom Savini dans celui de l'antagoniste des spectacles, petit rôle de Martin Ferrero en agent huileux, la trop rare Patricia Tallman (elle a fait du Star Trek je crois, mais surtout le remake par Savini de
Night of the Living Dead) et son beau personnage de cruche attachante, drôle et bouleversante.
Bref, 2h30 de psychodrame sur fond de
Renaissance fair. Et c'est magnifique.
Une des nombreuses malédictions qui frappe Romero et son travail, c'est d'être devenu par la force de la critique un cinéaste de l'allégorie, de la métaphore voire de la satire, dont les films "critiquent la société" de masse et de consommation. Ses zombies, n'est-ce pas, sont avant tout notre reflet déformé de consommateurs décérébrés, attirés par l'hypermarché comme des papillons de nuit vers la lumière. Trop rarement leur laisse t-on être avant tout les monstres parmi les plus effroyables du cinéma (
Day of the Dead, horrifiant) non pas du fait de leur portée sociale, mais par ce qu'ils disent de notre rapport à la mort, aux cadavres et à la peur primale d'être dévorés vivants.
Et en furetant sur internet,
Knightriders souffre un peu du même biais critique. A force de vouloir voir de la rebellion irrévérencieuse partout chez Romero, plutôt que là où elle se trouve bel et bien et à quel degré, ce film là se voit lui aussi érigé en plaidoyer anarchiste et contre-culturel sur la force des idéaux face aux vices de la société de consommation et de la compromission commerciale (ce qui permet du coup de faire le lien meta avec le côté guerilla fauchée du cinéaste). Si ces éléments sont bien présents, ils ne résument pas la démarche à eux seuls.
Le monstre cette fois, c'est Billy, le personnage joué par Ed Harris : qualifié plusieurs fois de "
crazy" par ses proches, c'est en effet un absolutiste, consumé par un refus du moindre compromis, même ceux qui permettraient de garantir plus de sécurité au moins financière à ses compagnons. Billy est rongé par son obsession pour un "code", très diffus et jamais réellement défini dans son discours pourtant radical (il hurle dès la 10ème minute... mais ne parviendra jamais à vraiment parler de lui), qui se résume dans les faits à vouloir maintenir le contrôle sur tout ce qui l'entoure pour en garantir la pureté idéale. Superbe étude de cas sur l'effondrement psychique d'un marginal hystérique, devenu délirant, happé par son propre engrenage de comportements à risques de plus en plus radicaux, et de l'emprise qu'il exerce sur les gens volontaires et de bonne foi, bien que paumés, qui ont tout plaqué pour le suivre et se voient mal retourner à une vie normale malgré les souffrances et l'inquiétude qu'il leur inflige. C'est un des plus beaux rôles d'un acteur qui n'a quasiment que ça à son actif, largement du niveau de ses performances dans
Abyss et
The Rock.
Bien sûr la marginalité comme résistance à un cadre trop restrictif, corrompu ou perçu comme tel, est un thème qui a toute sa place dans le contenu de ce film riche et plein à craquer, un des éléments perturbateurs étant la tentation d'accéder à la cour des grands via l'offre d'un agent. Mais tout ça n'y est pas traité à la manière d'un manifeste anticonformiste, mais comme un déroulé somme toute logique, ou en tout cas vraisemblable et très fin, avec l'inévitable scission au sein du groupe, la confrontation aux travers de la normalisation commerciale (publicité, sponsors, contracualisation etc.) et ses effets corrosifs sur l'amitié et la confiance et une forme d'honneur, même si inspirés par une personne profondément instable.
L'idée de l'héroïsme ne fait pas le héros, et c'est montré ici avec beaucoup d'humanité. On pourrait d'ailleurs imaginer une pesanteur au niveau des références arthuriennes mais il n'en est rien. Seule est faite une référence à T. H. White (d'ailleurs par un personnage homosexuel, allez savoir ce que ça dit des interrogations autour de la vie privée de l'auteur), principal "réécriveur" de ces légendes au 20ème siècle.
Le style d'ensemble est très proche de
Dawn of the Dead, avec ce montage sec, parfois même brutal, mais très fluide dans son dynanisme. C'est à ce propos le début d'une collaboration entre Romero et Pasquale Buba qui durera une partie de la décennie (l'apothéose en la matière étant, encore une fois,
Day of the Dead). Buba qui d'ailleurs se retrouvera dans l'équipe au montage de
Heat. La sensibilité de documentariste de Romero explose dans sa manière de faire vivre le public des spectacles, mais aussi les spectacles eux-même, riches en tension et cascades :
Knightriders est aussi un excellent film de moto, qui épouse au plus près la sensation de risque inhérente à ce véhicule. Il n'a pas à rougir devant
Mad Max. De manière générale, Romero sait filmer les gens, de près comme de loin. Beaucoup de très beaux regards, fuyants ou insistants, de sourires ténus, sincères ou illuminés qui en disent long et viennent sublimer l'écriture déjà très touchante. On voit des noirs en armure, un couple de lesbiennes et un autre d'homosexuels, c'est donc très inclusif.
Très beau film, un des meilleurs de son réalisateur.