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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 16:35 
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Antichrist
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Tiens, moi la scène récemment que j'ai trouvé abjecte, au sens moral du terme, c'est celle d'Heli d'Escalante, quand il montre un mec se faire torturer et brûler le zgeg pendant que des gamins jouent au jeu vidéo et que la grand mère prépare à manger dans la cuisine.

Ce que j'ai trouvé abjecte, ce n'est pas le plan, en soit (un long plan fixe bien signifiant), mais qu'il ait inventé une méthode de torture non utilisée par les mafieux mexicains. Mon contrat de confiance il est là: dans le réalisme quand le film se veut réaliste.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 16:42 
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Mr.Orange a écrit:
Film Freak a écrit:
Citation:
Et je ne sais pas si tu es si hermétique que cela : toi-même, en voyant la BA du Uwe Boll, tu disais que c'était absurde.

C'était quoi déjà?


http://forum.plan-sequence.com/post424958.html?hilit=boll%20auschwitz#p424958

Looool.

Alors... Déjà, "absurde" ne signifie pas "immoral". Mais je n'ai jamais dit "absurde", j'ai dit que j'étais globalement d'accord avec Z et les termes employés par Z sont "C'est gratuit, oui, mais pas immonde. Mais c'est immonde de mettre ça en bande-annonce, et parfaitement putassier... vraiment détestable, ça oui."
Et ça reste ce que je pense.

En revoyant le truc, je trouve, une fois de plus, que c'est surtout vulgos plus qu'autre chose. Du choc pour le choc. Uwe Boll quoi.
Comme je disais à l'époque, même le premier plan, plus "retenu", qui pourrait être fort, devient puant parce que le mec se met en scène.

Mais tu ne me verras jamais dire qu'on n'a pas le droit de filmer les chambres à gaz.

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 16:50 
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Antichrist
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Mais personne ne conteste le point de vue éthique, dans ce que tu filmes ou comment tu le filmes, juste que ce point de vue moral/éthique appartient au réal/scénariste, plus qu'aux critiques qui jugeront un mouchoir sur le nez, parfois sans comprendre les intentions du réalisateur. Et que chaque spectateur a sa morale.

Comme je l'ai écrit, j'ai plus de mal avec la révision historique, avec ce que fait Stone dans JFK par exemple (ou même Michael Moore), ou pire Begnini dans La Vie est belle.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 17:08 
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Tom a écrit:
Film Freak a écrit:
Est-ce à vide? Je n'ai pas revu le film depuis sa sortie donc je ne saurai bien parler du "but" de cette mise en scène.
On peut théoriser...est-ce pour rendre état de la terreur dans laquelle vivent les prostituées, dominées, à la merci de leurs riches clients?

Tu le ressens comme cela ?

Je ne me souviens pas de comment je l'ai ressenti. Mais ça ne m'avait pas dérangé.

Citation:
Je trouve ça un peu théorique, pour le coup, oui (pas l'impression qu'on le ressente de son point de vue à elle, d'ailleurs : elle ne sait pas ce qui arrive, nous on sait).

Quand même, tu vois qu'elle flippe. Elle est attachée, le mec a sorti une lame...

Citation:
Mais "vulgaire" n'est peut-être pas un mauvais mot ! Tu as une réaction de rejet, c'est ce qu'il faut retenir... "Moral" est d'ailleurs un mot qui m'emmerde un peu dans cette histoire, dans le sens où ça sous-entend un doxa de choses à faire et ne pas faire dans l'absolu (comme s'il était interdit, à tout jamais, de faire un travelling dans un film sur les camps, ou de filmer les chambres à gaz : la question reste au contraire toujours "comment ?", "quelle configuration tu proposes ?").

Bah on est d'accord alors.

Citation:
Ce que reproche Rivette à ce travelling, c'est d'abord sa coquetterie ("'homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d'inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final"), d'être occupé à faire le beau sans prendre conscience de ce qu'il est entrain d'utiliser pour faire le beau.

Elle est là, l'erreur, à la base. Ne voir autre chose qu'un mec qui fait le beau.
Moi quand je vois ce plan, je ne me dis pas "le mec fait le beau" (parce que c'est moche, déjà), je me dis "il veut attirer mon attention encore plus proche de l'horreur" ou "il veut dramatiser la mort de cette femme avec un travelling emphatique". Mais c'est pas gratuit, genre "putain trop stylé mon travelling".
Encore une fois, vulgos, oui, immoral, stop les conneries.

Citation:
Plus globalement, ce qu'on reproche, à cette époque, c'est de faire d'un évènement pareil (qui devrait être considéré dans toute son horreur, dont on devrait prendre la mesure) un réservoir à jouissance du spectateur, à divertissement comme un autre (matière à dramatisation, réduire le truc à "rholala c'est triste" : c'est le reproche qui sera fait plus tard à tort ou à raison à Spielberg, d'utiliser les chambres à gaz pour simplement divertir en produisant du suspens).

À tort.

Le problème, c'est ce terme de "divertir" dont l'usage ici est complètement hors propos.

La mise en scène de la mort de la meuf dans Kapo ou celle de la scène des douches de Schindler cherchent à susciter des émotions chez le spectateur (Pontecorvo veut créer de l'empathie via l'emphase, Spielberg veut nous plonger dans le même état d'esprit que les personnages), c'est le propre du cinéma voire de l'art, non?

Citation:
Les camps ne sont pas une exception intouchable, particulière, qui aurait ses règles de représentation propres, mais simplement un point godwin qui fait office de révélateur : on voit tout de suite quand l'approche du réal est déplacée.

Encore une fois, ça dépend du curseur de chacun.
Si je fais une blague sur Estelle Mouzin en présence de certaines personnes, je vais être considéré comme abject.
Si je fais la même blague en présence de Cosmo ou The Xcapist, je suis célébré.

Citation:
Ce malaise n'est pas abstrait, ni théorique : il fut assez important et globalement ressenti, à l'époque

J'ai vu Schindler quand j'avais 10 ans et j'ai flippé lors de cette scène et j'ai été soulagé quand les douches ont balancé de l'eau. Comme les persos.
Y a jamais eu malaise. Pourquoi? Parce que j'étais trop jeune pour juger? Ou peut-être justement parce que je n'avais que faire, à juste titre, de quelque tabou que ce soit imposé par la société adulte?

Citation:
On est pas obligé de se ranger aux côtés de Rivette sur cet extrait, et on peut avoir les réticences (celles qu'exprime Frodon) sur les réflexes critiques malsains ("ce film-ci est ignoble, ce film-là est sain") que ça a provoqué dans les décennies suivantes. L'intérêt de ce texte n'est pas de servir de doxa, mais de poser une bonne question, et d'ouvrir un large champ d'investigation (les implications éthiques de la mise en scène). En gros, ne pas juger uniquement de l'efficacité de la mise en scène, mais de ses parti-pris : ça peut se faire sur des choses beaucoup moins graves et beaucoup plus larges (on peut par exemple considérer que c'est détestable, de la part d'un réal, d'écraser ou de mépriser ses personnages, pour le plaisir de se proclamer plus élevé qu'eux - un exemple parmi mille autres).

Mais justement, dans cet exemple, est-ce réellement "pour le plaisir de se proclamer plus élevé qu'eux" ou est-ce pour servir son propos (condamnant ces personnages) ?

Le travelling, est-ce pour faire le beau ou est-ce pour servir ce que l'auteur souhaite exprimer à ce moment-là?

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 17:41 
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Film Freak a écrit:
La première fois que tu vois le plan, tu sais pas pourquoi on te le montre. À l'instar de tous les autres inserts (le hublot par exemple).
Puis tu découvres, la mise en scène illustrant au fur et à mesure que Verbal raconte l'histoire, pourquoi on t'a montré ces plans (le hublot donne sur la pièce où le témoin a été exécuté, les cordages sont là où Kint dit s'être caché).
Ce plan symbolise justement à lui seul toute la démarche de la mise en scène : le cinéma c'est le mensonge 24 fois par seconde. :)


Mais justement, on nous montre ce plan avant que la narration de Verbal commence, on est donc censés voir la réalité de la scène sur le bateau ; or on nous montre un cordage derrière lequel, au final, il n'y a personne. Si ce n'est qu'un élément de décor, pourquoi le filmer avec une telle emphase ? C'est donc de la manipulation délibérée, ce qui pour moi est un aveu de faiblesse : je ne peux pas te convaincre de mon mensonge sans avoir recours à des procédés méta. Après, je sais pas si c'est nul artistiquement ou éthiquement, mais dans les deux cas, c'est de la facilité.

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"Je vois ce que tu veux dire, mais..."
"Je me suis mal exprimé, pardon."


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 17:56 
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Castorp a écrit:
Film Freak a écrit:
La première fois que tu vois le plan, tu sais pas pourquoi on te le montre. À l'instar de tous les autres inserts (le hublot par exemple).
Puis tu découvres, la mise en scène illustrant au fur et à mesure que Verbal raconte l'histoire, pourquoi on t'a montré ces plans (le hublot donne sur la pièce où le témoin a été exécuté, les cordages sont là où Kint dit s'être caché).
Ce plan symbolise justement à lui seul toute la démarche de la mise en scène : le cinéma c'est le mensonge 24 fois par seconde. :)


Mais justement, on nous montre ce plan avant que la narration de Verbal commence, on est donc censé voir la réalité de la scène sur le bateau

Ah bon? Pourquoi? Il y a une règle qui dit que lorsqu'un film commence, on y voit forcément la réalité?
La narration de Verbal n'a pas commencé mais celle du film, oui. Dès lors, tout est possible.

Citation:
; or on nous montre un cordage derrière lequel, au final, il n'y a personne. Si ce n'est qu'un élément de décor, pourquoi le filmer avec une telle emphase ? C'est donc de la manipulation délibérée, ce qui pour moi est un aveu de faiblesse : je ne peux pas te convaincre de mon mensonge sans avoir recours à des procédés méta. Après, je sais pas si c'est nul artistiquement ou éthiquement, mais dans les deux cas, c'est de la facilité.

Non, c'est du cinéma.

salut!

Plus sérieusement, si je voulais pinailler, je te dirai que lorsqu'il montre ce plan au début du film, avant que la narration de Verbal ait commencé, il ne ment pas. Il ne triche pas. Il montre juste un décor existant de la scène. Ce n'est qu'une fois la narration de Verbal entamée qu'il montre, lorsque Verbal le dit, qu'il s'est caché derrière.

Donc techniquement, quand tu vois ce plan au début du film, tu vois la réalité.
Il ne te montre personne caché derrière.
C'est toi qui recolle les morceaux après, tout comme plus tard, Kujan recollera les morceaux en contemplant le mur couvert de documents sur lesquels figurent les noms que Verbal a utilisé pour raconter son histoire.

Il y a bien un jeu méta mais ce n'est pas de la facilité (il en a pas besoin de ce premier plan, il pourrait se contenter de montrer Keaton parler à Soze sans montrer ce dernier et, plus tard dans le film, quand Verbal raconte son histoire à Kujan, montrer Verbal se cacher derrière les cordages), c'est juste de la réflexion, par le montage, par la mise en scène, sur le principe de narration, de raconter des histoires, de mentir, de faire croire à une réalité fabriquée.

C'est du cinéma donc.

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 18:43 
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Tom a écrit:
D'ailleurs, à l'inverse, je peux aussi être intéressés par des scènes de violences où vous vous êtes sentis totalement "violés", malmenés, manipulé, non pris en charge, subissant le défoulement du réal.


enter the void
l'accident et le cri des enfants qui arrivent par flash tout au long du film


araf
la perte du bébé dans les toilettes. scène qui dure 3 plombes et qui montre tout


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 18:48 
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Tom a écrit:
Heeey, moisson de titres au réveil, c'est super, merci les gars !
Je vais aller ratisser tout ça...

Concernant l'esthétisation de la violence, je ne considère pas ça comme une prise en charge moins valable qu'une autre. Mais c'est juste que du coup, le principe étant clair, l'analyse sera vite pliée, et j'ai en fait déjà ce qu'il faut pour ça (on croule sous les exemples : certains films bis des 70' qui bariolent et facticent pour te permettre d'en jouir de manière défouloir, des cinéastes comme John Woo qui chorégraphient pour neutraliser l'impact des meurtres qu'ils montrent, etc). Peut-être que Peckinpah s'inscrit là-dedans oui, quoique j'ai vu qu'un truc de lui, donc c'est dur de trancher (je suppose que le ralenti chez lui a une autre visée que le désamorçage de la violence de la scène : c'en serait presque un effet collatéral involontaire, non ? Il me semble qu'à l'époque, c'est justement de s'arrêter sur cette violence qui avait paru particulièrement agressif).


Mmm Délivrance de Boorman ?

_________________
I think we're gonna need a helmet.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 19:30 
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Haneke c'est une bonne idée mais je ne suis pas sur que Funny games soit effectivement idéal pour ton cours.Prends Benny's video, ça devrait plus rentrer dans le cadre de ce que tu recherches
Despues de Lucia c'est une bonne idée aussi.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 21:38 
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Harry White a écrit:
Tom a écrit:
juste une gestion qui en passe par une configuration un peu plus complexe à analyser qu'une esthétisation : jonglage des points de vue, espace, etc.

Je me répète, mais chez Cronenberg dans "A history of violence", il y a au moins deux séquences où la mise en scène de Cronenberg est excessivement complexe, tout en étant aussi particulièrement limpide d'un point de vue narratif (aucun discours sur la violence).
1) la séquence au début où Mortensen est agressé dans le "diner" et tue les deux agresseurs
2) La séquence où Ed Harris débarque à la maison familial de Mortensen : la gestion des différents personnages, de l'espace, des enjeux différents pour chaque personnage est impressionnante.


Tu te répètes?
Sinon oui c'est exactement aux scènes aux quelles je pensais. Mais de toutes façons tout le film est comme ça, la manière dont la violence gangrène la famille et les rapports entre les persos (la tarte que se prends le gamin qui conclu une engueulade dont le père perdait le contrôle, la scène de cul dans l'escalier qui s'oppose à la première toute mignonne, etc ...)

Je ne crois pas qu'ils ont été cités mais les Frères Coen en font régulièrement un des thème principal de leurs films, No country et Fargo principalement?.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 23:07 
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Film Freak a écrit:
Moi quand je vois ce plan, je ne me dis pas "le mec fait le beau" (parce que c'est moche, déjà), je me dis "il veut attirer mon attention encore plus proche de l'horreur" ou "il veut dramatiser la mort de cette femme avec un travelling emphatique". Mais c'est pas gratuit, genre "putain trop stylé mon travelling". Encore une fois, vulgos, oui, immoral, stop les conneries.

Ce qui semble gratuit, ici, c'est la volonté d'en rajouter superficiellement (vulgairement) dans l'empathie, d'essayer de gratter une larme de plus à son spectateur de manière si pauvre et grossière. Ce côté "utilitaire". Après, Kapo est l'exemple de Rivette, pas le mien : je trouve ça misérable, pas scandaleux. Ce qui m'intéresse, c'est son approche (qui est comme une boîte à outils théorique), pas son exemple (qui se discutera, comme tous les exemples qu'on pourra passer à ce filtre).

Citation:
La mise en scène de la mort de la meuf dans Kapo ou celle de la scène des douches de Schindler cherchent à susciter des émotions chez le spectateur (Pontecorvo veut créer de l'empathie via l'emphase, Spielberg veut nous plonger dans le même état d'esprit que les personnages), c'est le propre du cinéma voire de l'art, non?

Ce n'est pas que ça, ou en tout pas comme ça, car les émotions qu'on va chercher au cinéma ne sont pas de même nature que celles que l'on va ressentir dans la vie : elles sont d'ordre esthétique (pas dans le sens "beau", "plastique", mais dans le sens d'une émotion issue d'un geste artistique). Le plus pourri des torture-porn provoquera chez moi des émotions extrêmement fortes (peur, dégoût, tension, pitié), ce n'en fera pas de l'art pour autant... Le spectateur n'est pas une vache à lait qu'on traie de ses émotions dans une logique de rendement maximum.

Comme tu le sous-entends toi-même, ce n'est pas l'évènement qu'on montre qui va provoquer cette émotion, mais la façon dont on va te le montrer. En d'autres termes : ton émotion, ce qui fait la beauté du film, dépendra de la place que le réal va te construire vis à vis de cet évènement, pour que tu le reçoives d'une certaine façon. Ce que tu vas trouver beau dépendra de la manière dont on te le présentera. Et c'est bien pour cela qu'il est impossible de dissocier esthétique et éthique : les parti-pris qui font qu'on va aimer (ou pas) le film, qu'on va trouver émouvant (ou pas) ce qu'il nous montre, sont strictement les mêmes que ceux qui définissent la manière dont on te manie en tant que spectateur (= est-ce qu'on m'offre une configuration qui me permet de recevoir et de m'approprier cette émotion par un biais esthétique, ou est-ce qu'on traie mes humeurs comme on traie une vache ?). C'est bien pour cela que tu peux avoir une réaction d'ordre esthétique ("c'est vulgaire") à un problème d'ordre éthique ("c'est abject") : les deux s'assimilent.

Citation:
Encore une fois, ça dépend du curseur de chacun.
Si je fais une blague sur Estelle Mouzin en présence de certaines personnes, je vais être considéré comme abject.
Si je fais la même blague en présence de Cosmo ou The Xcapist, je suis célébré.

Il n'y a pas de curseur : Benigni fait des blagues sur les camps, et le film gagne un prix à Cannes. Il est discuté, évidemment, mais ce qu'on discute c'est pas le fait de faire des blagues (= quelque chose qui serait interdit), mais la configuration créée pour que le spectateur puisse recevoir cet humour (ce parti-pris de Benigni, par exemple, de rendre les camps complètement abstraits et anti-réalistes).

Citation:
Y a jamais eu malaise. Pourquoi? Parce que j'étais trop jeune pour juger?

D'abord : oui. Si notre réception des films à 10 ans était un indice de qualité valable, American History X règnerait en haut de nos tops 100. Et, pour répondre à la suite de ta phrase, il n'est pas question de tabou.

Ensuite : tu n'as pas besoin d'aller chercher la pureté de la réception des films à tes dix ans pour défendre la scène de Spielberg. Le texte de Rivette, ou tout du moins le champ théorique qui en a découlé, ne dit pas que la scène de Spielberg est interdite. Il dit que sa qualité ne peut uniquement être appréciée en terme d'efficacité dramatique, et que faire fi de ses implications éthiques dans la manière dont on la ressent est illusoire. Mais tu peux très bien défendre la scène dans ce cadre-là (c'est d'ailleurs ce qu'avaient fait les Cahiers à l'époque, qu'on ne peut pourtant pas soupçonner d'être anti-Rivette, ni anti-Daney !). Ce que je trouve zarb, dans ta position, c'est pas que tu la défendes cette scène (d'ailleurs je ne suis même pas sûr d'y être opposé moi-même), c'est que tu la défendes en disant "il n'y a pas de raison de se faire chier sur l'éthique de ce parti-pris, tant qu'il est efficace" !


Il y a peut-être un malentendu qui pourrit ce débat depuis de nombreuses années.

Quand quelqu'un, dans la lignée de Rivette-Daney, dit qu'une scène est dégueulasse, ce n'est pas parce qu'il a ouvert sa bible des trucs autorisés/interdits et qu'il a vu que ça rentrait pas dans ses cases. C'est parce qu'il a instinctivement, viscéralement, ressenti un rejet au moment de la vision du film, vis-à-vis de la manière dont on lui présentait les choses.

Quand j'ai vu la scène de torture du film de Loach, je ne conceptualisais rien : j'étais cramponné à mon siège, je recevais ça en pleine gueule en sentant bien confusément que c'était pour des raisons débiles, et tout ce qui me passait par la tête c'était "Connard !". J'avais juste envie de traverser l'écran et d'aller lui péter la gueule ! Ensuite seulement, après le film, on réfléchit, on essaie de comprendre ce qui a été si violent, ce qui merdait dans cette façon de me gérer moi, spectateur, et en découle une réflexion, une idée de ce qu'on y a trouvé non-éthique. Mais il n'y a rien de distancié ou de froidement théorique à la base, ni doxa, ni dogme, ni liste-des-trucs-à-faire-et-des-trucs-à-pas-faire, ni tabou absolu : juste une configuration propre à chaque scène, qu'on accepte ou pas.

Citation:
Mais justement, dans cet exemple, est-ce réellement "pour le plaisir de se proclamer plus élevé qu'eux" ou est-ce pour servir son propos (condamnant ces personnages) ? Le travelling, est-ce pour faire le beau ou est-ce pour servir ce que l'auteur souhaite exprimer à ce moment-là?

Et bien c'est à interroger, justement. Encore une fois, il ne s'agit pas de règles, mais de la simple possibilité de se poser la question.


Bon si tu en as marre de ce débat, je comprendrais très bien, je ne veux pas que tu te sentes obligé de continuer juste par politesse.


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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 22 Sep 2014, 23:40 
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Tom a écrit:
Ce qui semble gratuit, ici, c'est la volonté d'en rajouter superficiellement (vulgairement) dans l'empathie, d'essayer de gratter une larme de plus à son spectateur de manière si pauvre et grossière. Ce côté "utilitaire". Après, Kapo est l'exemple de Rivette, pas le mien : je trouve ça misérable, pas scandaleux.

Voilà. C'est ça que je trouve abusé, ce pas qu'on franchit entre (en gros) "c'est nul" à "c'est IMMORAL".

Citation:
Ce n'est pas que ça, ou en tout pas comme ça, car les émotions qu'on va chercher au cinéma ne sont pas de même nature que celles que l'on va ressentir dans la vie : elles sont d'ordre esthétique (pas dans le sens "beau", "plastique", mais dans le sens d'une émotion issue d'un geste artistique). Le plus pourri des torture-porn provoquera chez moi des émotions extrêmement fortes (peur, dégoût, tension, pitié), ce n'en fera pas de l'art pour autant... Le spectateur n'est pas une vache à lait qu'on traie de ses émotions dans une logique de rendement maximum, et comme tu le sous-entend toi-même, ce n'est pas l'évènement qu'on va te montrer qui va provoquer chez toi cette émotion esthétique (cinématographique), mais la façon dont on va te le montrer.

Pour le dire en d'autres termes : ton émotion, la beauté du film, dépendra de la place qu'on va te construire vis à vis de cet évènement, pour que tu le reçoives d'une certaine façon. Ce que tu vas trouver beau dépendra de la manière dont on te le présentera.

Jusque là, je suis d'accord.

Citation:
Et c'est bien pour cela qu'il est impossible de dissocier esthétique et éthique : les parti-pris qui vont faire qu'on va aimer (ou pas) le film, qu'on va trouver émouvant (ou pas) ce qu'il nous montre, sont strictement les mêmes que ceux définissant la manière dont on te manie en tant que spectateur (= est-ce qu'on t'offre une configuration qui te permet de t'approprier cette émotion d'ordre esthétique, ou est-ce qu'on traie tes humeurs comme on traie une vache ?). C'est bien pour cela que tu peux avoir une réaction d'ordre esthétique ("c'est vulgaire") à un problème d'ordre éthique ("c'est abject") : les deux s'assimilent.

Et là, je ne le suis plus.

Je peux trouver ça vulgaire, ridicule, raté, too much, gratuit mais jamais je ne dirai que c'est immoral, abject, dégueulasse ou honteux.

La dissociation est totale pour ma part, je ne conçois pas l'art comme ça.

Citation:
Il n'y a pas de curseur : Benigni fait des blagues sur les camps, et le film gagne un prix à Cannes. Il est discuté, évidemment, mais ce qu'on discute c'est pas le fait de faire des blagues (= quelque chose qui serait interdit), mais encore une fois la configuration créée pour que le spectateur puisse recevoir cet humour (ce parti-pris de Benigni, par exemple, de rendre les camps complètement abstraits et anti-réalistes).

Il y a bien un curseur car ma blague sur Estelle Mouzin sera grasse et ne servira aucun propos mais fera quand même rire Cosmo. Et pas d'autres.

Citation:
D'abord : oui. Si notre réception des films à 10 ans était un indice de qualité valable, American History X règnerait en haut de nos tops 100.

Oui sauf que les revisions de Hook ont vu sa note chuter tandis que celles de Schindler n'ont jamais éveillé un quelconque rejet avec les années.

Citation:
Et, pour répondre à la suite de ta phrase, il n'est pas question de tabou.

S'il y avait quelque chose inhérent dans la mise en scène de cette séquence qui était abjecte, j'aurai dû être gêné, même à 10 ans, même sans savoir situer pourquoi, par sa vision.

Citation:
Ensuite : tu n'as pas besoin d'aller chercher la pureté de la réception des films à tes dix ans pour défendre la scène de Spielberg. Le texte de Rivette, ou tout du moins le champ théorique qui en a découlé, ne dit pas que la scène de Spielberg est interdite. Il dit que sa qualité ne peut uniquement être appréciée en terme d'efficacité dramatique, et que faire fi de ses implications éthiques dans la manière dont on la ressent est illusoire.

C'est bien sur ça que je ne suis pas d'accord.

Citation:
Tu peux très bien défendre la scène dans ce cadre-là

Oui, il est éthique de faire vivre au spectateur l'expérience de ce moment dans l'Histoire tel qu'il a été vécu par les personnages.

Citation:
Ce que je trouve zarb, dans ta position, c'est pas que tu la défendes cette scène (d'ailleurs je ne suis même pas sûr d'y être opposé moi-même), c'est que tu la défendes en disant "il n'y a pas de raison de se faire chier sur l'éthique de ce parti-pris, tant qu'il est efficace" !

Là tu amoindris le fond de ce que je dis. Je ne parle pas de vulgaire efficacité, je dis que la mise en scène sert un propos. Que le "suspense" n'est pas "gratuit".

Citation:
Il y a peut-être un malentendu qui pourrit ce débat depuis de nombreuses années.

Quand quelqu'un, dans la lignée de Rivette-Daney, dit qu'une scène est dégueulasse, ce n'est pas parce qu'il a ouvert sa bible des trucs autorisés/interdits et qu'il a vu que ça rentrait pas dans ses cases. C'est parce qu'il a instinctivement, viscéralement, ressenti un rejet au moment de la vision du film, vis-à-vis de la manière dont on lui présentait les choses.

Oui enfin le truc du ressenti, c'est comme ça qu'on en vient à des "bon chasseur et mauvais chasseur".
Lis le topic de Compliance. Il fait 10 pages et j'attends toujours qu'on m'explique en quoi le film est abject, en quoi le film laisse le spectateur "en pâture", "nu", "sans défense". Il y a des trucs aberrants dans ce topic.

Citation:
Quand j'ai vu la scène de torture du film de Loach, je ne conceptualisais rien : j'étais cramponné à mon siège, je recevais ça en pleine gueule en sentant bien confusément que c'était pour des raisons débiles, et tout ce qui me passait par la tête c'était "Connard !". J'avais juste envie de traverser l'écran et d'aller lui péter la gueule ! Ensuite seulement, après le film, on réfléchit, on essaie de comprendre ce qui a été si violent, ce qui merdait dans cette façon de me gérer moi, spectateur, et en découle une réflexion, une idée de ce qu'on y a trouvé non-éthique. Mais il n'y a rien de distancié ou de froidement théorique à la base, ni doxa, ni dogme, ni liste-des-trucs-à-faire-et-des-trucs-à-pas-faire, ni tabou absolu : juste une configuration propre à chaque scène, qu'on accepte ou pas.

Tu as rajouté le "qu'on accepte ou pas". Parce que t'as senti que j'allais te répondre, "non, il y a juste une configuration propre à chaque spectateur". :)

J'ai pas vu le Loach mais ce que tu décris correspond peu ou prou au ressenti de Baptiste sur Compliance et ça reste quelque chose qui me dépasse complètement.

Mais après, peut-être as-tu raison, peut-être est-ce juste une question de sémantique. C'est sans doute l'éthique qui va me faire dire que la mise en scène de La Passion du Christ est grossière, jusque dans sa représentation de la violence que je trouve complaisante au possible, c'est juste que je n'emploierai jamais les termes "abject", "immoral" et cie. Je trouve ça trop fort, trop haineux, comme si le spectateur, choqué, ne pouvait s'exprimer que de manière tout aussi grossière, vulgaire, pour ne pas dire puérile, avec des "c'est dégueulasse" et autres "Connard, j'ai envie de te péter la gueule".

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 23 Sep 2014, 00:25 
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Tom a écrit:
Quand j'ai vu la scène de torture du film de Loach, je ne conceptualisais rien : j'étais cramponné à mon siège, je recevais ça en pleine gueule en sentant bien confusément que c'était pour des raisons débiles, et tout ce qui me passait par la tête c'était "Connard !". J'avais juste envie de traverser l'écran et d'aller lui péter la gueule !


Sérieusement ? Franchement, ça me dépasse. Je n'ai JAMAIS ressenti ce genre de truc.

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 23 Sep 2014, 00:27 
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Film Freak a écrit:
J'ai pas vu le Loach mais ce que tu décris correspond peu ou prou au ressenti de Baptiste sur Compliance et ça reste quelque chose qui me dépasse complètement.


Je me demandais justement dans quelle section on avait déjà discuté de ça !
Sinon pareil que toi sur le coup, encore une fois.

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 Sujet du message: Re: Violence et éthique
MessagePosté: 23 Sep 2014, 01:09 
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Z a écrit:
Tom a écrit:
Quand j'ai vu la scène de torture du film de Loach, je ne conceptualisais rien : j'étais cramponné à mon siège, je recevais ça en pleine gueule en sentant bien confusément que c'était pour des raisons débiles, et tout ce qui me passait par la tête c'était "Connard !". J'avais juste envie de traverser l'écran et d'aller lui péter la gueule !


Sérieusement ? Franchement, ça me dépasse. Je n'ai JAMAIS ressenti ce genre de truc.


Nan mais ça, c'est parce que t'es pas un spectateur violent.

Alors que Tom...


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