Fatima vit avec ses deux soeurs dans une famille plutôt traditionnelle, en banlieue parisienne. Elle a un côté garçon manqué, avec une bande de potes plutôt masculins et une passion pour le foot. Elle fume et prie, les deux dans la solitude, en cachette.
Entre la terminale et l'université, elle découvre qu'elle est attirée par les filles. Elle oscille entre moments de déni et la capacité à s'accepter. Sa sexualité et sa curiosité pour l'autre lui permettent de découvrir un autre milieu, plus favorisé et dans Paris intra muros
.
En famille il y a un malaise, des non-dits, mais pas de rejet massif.
La pression viendrait plutôt de ses soeurs, jalouses et conformistes, que de ses parents : le père est plutôt rigide mais effacé et peu autoritaire, la mère plus vive et franche .
Honorable, dans une veine Kéchiche/Cantet/Pialat (plus lointainement dans le cas de Pialat, mais c'est la référence poncif pour les films "naturalistes" sur l'adolescence avec néo-acteurs), proche aussi d'Un Petit Frère de Léonr Serraille (que j'avais bien aimé, le film montrait l'echec d'une émancipation avec le frère sacrifié, tout en ne transigant pas politiquement et moralement) mais un peu survendu.
Dans le
Courier international de la semaine passé, une journaliste de Daraj (journal libanais arabophone) parlait d'une série télé libanaise satirique sur un commissariat de police qui cartonne dans le monde arabe
Marhaba Dawlé.
L'article posait une bonne question (c'est toujours agréable de lire quelqu'un qui réfléchit): la série ne critiquait plus des infrastructures ou des institutions, comme on l'aurait attendu dans les années 1970-1990, mais des "mentalités" et des comportements, d'où un aspect à la fois relativement réactionnaire (appelant à un sursaut voire un redressement moral) et universaliste (car tout le monde se reconnait dans la culpabilté, la honte ou le déni, le conformisme et l'unanimisme assument justement cette ambiguïté qui relie coupable et victime).
Le même angle peut s'appliquer à ce film : tout est en demi-teinte, il y a de l'affection voire de l'amour, une tolérance de fait, mais gênée et comme privée d'horizon. La liberté est elle-même morose. L'enjeu est simultanément la défense d'une norme majoritaire et le droit d'exister comme individu. Tout est aussi exprimé en termes culturels plutôt que politique, comme une concession à la banalisation de la xénophobie politique.
La crise et la fragiltié des institutions sont constatées à la place de leur accusation. Je pense au début à l'école, avec le personnage du camarade de classe qu'elle agresse par déni qui est ensuite abandonné . La honte peut se solder par la catharsis, la discrimination pas, et elles finissent presque par s'opposer.
Autre problème : le lycée est chargé de manière caricaturale, avec ses profs largués et médiocres, quand le regard sur l'université est entièrement positif, car c'est un lieu de reconnaissance symbolique et de promotion sociale, qui est par ailleurs choisi.
Et paradoxalement l'identité gay, pour une musulmane d'origine maghrébine, forme une passerelle vers une forme de promotion sociale qui conserve le milieu de départ (la trans qui la juge de façon rude, même s'il ya aussi une rhétorique de séduction vient du même milieu qu'elle et la devine, tout en gommant elle-même ses origines). C'est une forme
d'Aufhebung. Le rapport à la famille fonctionne exactement comme dans
Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi : l'identité gay et le rôle d'intellectuel sont individuellement équivalents, j'imagine que cela correspond à une réalité morale objective des familles qui se trouvent à la fois dans la banlieue et la bourgeoisie )
C'est pas mal, le personnage existe, mais sans surprise, souffrant un peu d'un côté Rosetta/ Dardenne, avec un personnage d'adolescente-soldat ontologique, un scénario qui créé une solitude que l'image viole ensuite (ici dans les scènes de prières).
Autre problème : il y a une idée trop "capitaliste" de l'amour et de l'émancipation, qui tourne à l'artifice d'écriture avec une série de personnages "médiateurs" qui sont aussi par là même abandonnés une fois leur vérité dite, comme le pneumologue du début ou la bande du lycée, ainsi que la victime de leur homphobie, le petit copain hétéro fade et conformiste, mais aussi relativement patient et franc, et finalement la plupart des femmes rencontrées hormis l'infirmière. Leur vertu les rend transitoires et les place hors du milieu à investir pour définir sa vie.
C'est radicalement le contraire du cinéma de Guédiguian qui filme l'évolution d'un même collectif, à travers les années, et sous différentes incarnations la permanence des tensions .
Ici on doute finalement moins du contenu que de la possibilité de la réussite sociale, de cela-même qui est malgré tout incarné par le film.