Tout le monde en pense à peu près la même chose à présent. La grosse difficulté avec Burton, c'est qu'on sait jamais si le désamour vient des films eux-même, ou du fait que certains arrivent "après", moins valables dans le sens où ils répètent quelque chose de déjà fait. Je vais essayer de classer vaguement.
1. Batman Returns L'étrange noël de Mr. Jack (Selick, je sais...) et Vincent Ed Wood
Quatre 6/6, en plein dans l'âge d'or de sa filmographie. C'est une période d'aboutissement, mais aussi d'expérimentations : essai d'un film chanté en stop motion, d'un film "réaliste" en noir et blanc, du casse d'un blockbuster en poussant le plus loin possible la dimension SM (après, on est aussi dans une décennie qui permet cela). En tout cas, il prend des risques, et on a là un triplé de long qui rappellent ce qui fait la qualité de Burton : pas forcément un cinéaste du découpage virtuose (d'ailleurs, le fait que Selick paraisse interchangeable dans cette histoire en dit long sur la non-importance du découpage chez Burton), mais dont la mise en scène doit se comprendre en terme d'approche. C'est à dire de respect ou pas du personnage, d'une façon sincère et pas prétentieuse de pénétrer les décors et autres trouvailles de direction artistiques, une sorte de "naturel" confondant devant le fantastique issu d'un rapport authentiquement honnête à ce qui est filmé. C'est cela, je pense, qui fait la patte de Burton, et qui fait que les copistes arrivent pas à retrouver la "formule" (comme on le dit des faussaires dans Charlie d'ailleurs, s'il fallait y rajouter une couche autobiographique de plus). C'est aussi 4 films (et c'est pour ça que j'y ajoute le court) aux intentions très claires, à la proposition esthétique nette et bien pure, sans hésitations. Ca file tout droit, ça a quelque chose de la fouge et de l'assurance des projets de jeune cinéaste, et c'est très agréable de pas sentir une seconde un cinéaste tâtonner.
2. Big Fish
Le film qui déchire définitivement la filmographie en deux. C'est vrai que tous les motifs de sa filmo (genre le bestiaire : le géant, la sorcière, etc.) se retrouvent assez bizarrement amorphes et mal pris, éteints, comme filmés par quelqu'un d'autre qui imiterait mal Burton. En ce sens, c'est vraiment un film de mutation : on prend les mêmes éléments, mais autrement. L'intérêt, c'est évidemment le côté americana, grande fresque intime que permet la situation de Buton à ce moment de sa vie (mort du père, nouvelle compagne, attente d'un enfant...). Dans cette franchise là, le film montre un cinéaste à la qualité intacte, qui sait filmer une histoire sans noirceur ni méchant sans un instant être mièvre (et c'est là qu'on voit combien ça paie, une décennie de travail sans jamais être cynique), et il y a là-dedans parmi les plus beaux moments de sa filmo. Mais y aussi du vide, du gêne devant certains passages juste éteints, et l'arrivée dans la mise en scène de choses qui ne lui appartiennent pas (je pense aux plans de l'ouverture notamment, le travelling sfx avant, le montage de travellings latéraux, des trucs vraiment photocopiés sur les modes du moment).
3. Edward aux mains d'argent Sleepy Hollow Les noces funèbres
Les trois poids lourds esthétiques, des films de peintre. Edward m'a toujours laissé bizarrement froid, je trouve le film assez gauche dans pas mal de ses tentatives, mais le fait de l'avoir découvert tard (notamment après Jack) est peut-être une explication. Les trois tirent de leur côté glacé à l'extrême une capacité à diriger notre regard sur ce qui fait la particularité plus profonde des films : la dimension très abstraite du premier, ce que le second raconte des images primales de l'Amérique, et le potentiel romantique fort du troisième. Sur ce dernier, j'ai le sentiment d'un immense gâchis, l'humour venant régulièrement foutre en l'air ce qui pour moi, à travers plusieurs scènes, marquait vraiment un retour de Burton à quelque chose de beau (les premiers échanges entre les futurs époux, la scène au piano, l'ouverture lyrique en apogée immédiate avec ce titre blanc sur blanc, avec les choeurs déjà très hauts, la toute fin...). Les blagues potaches, qui donnent au tout un parfum déconcerné pas génial (façon "on s'est bien amusé en le faisant..."), viennent constamment désamorcer toute possibilité de voir grand - le scénario torché aide pas non plus. Les deux autres restent précieux dans la façon dont ils arrivent à être visuellement virtuoses par toute une série de cadrages pourtant tellement mous, de vagues plans moyens et autres angles dénués de tout jeu symétrique ou de profondeur... Ca reste une des énigme de son style : sur ce point là Burton rejoint Lucas, il semble hermétique (en tout cas à cette époque) aux modes environnantes en matière de mise en scène.
4. Batman Charlie et la chocolaterie Sweeney Todd
Peu d'amour pour ces trois-là, même si à chaque fois une singularité propre à Burton y ressort très visiblement. Ca me semble flagrant dans Sweeney Todd, film long et chiant parsemé d'idées médiocres, mais dont la noirceur est une VRAIE noirceur, comme pour le gore, la violence... On sent que le type derrière la caméra, aussi endormi soit-il, connaît ce dont il parle, et parmi tous les films pseudo-sombres de la décennie aux USA, c'est sans doute le seul qui sent vraiment la viande qu'il évoque. Charlie et la chocolaterie, idem, fait ressortir une vraie anomalie par son personnage phare, concentré réellement acide et d'une dimension autobiographique presque impudique, au milieu d'un film qui, les scènes à la cabane exceptée (ou là encore, la simplicité de Burton fonctionne très bien), s'est laissé allé aux modes. Le premier Batman, peu de souvenir, mais de mémoire on y sent simplement poindre le second opus sous le poids d'une machine pas assez personnelle.
5. Beetlejuice Mars Attacks
Jamais compris l'engouement pour le premier (mais ça fait trèèèès longtemps, faut sans doute que je le revoie)... Les deux me divertissent parfaitement, mais le côté ado rebelle qui joue au jeu de massacre a ses limites. Ca se regarde très bien, mais y a rien à en retenir.
6. La planète des singes Alice aux pays des merveilles
Les deux authentiques ratages, des films qui, vraiment, ne fonctionnent pas. Quand Burton se rate, c'est pas à moitié. Comme toujours, il reste des petits détails dans les coins, une honnêteté et un rapport singulier qui traîne (la façon un peu sexuée dont est filmée Alice vers les débuts du film - sur ce coup je suis au moins d'accord les Cahiers ; la relation entre Ari et l'astronaute à laquelle on croit sans souci, la violence extrême des singes). Ca reste des films complètement lancés en mode automatique, faut pas chercher plus loin. Sur le premier, Burton venait d'apprendre la mort de son père : on a vraiment l'impression de ça, le film qu'on a continué à tourner façon somnambule. Ca reste le plus aimable des deux, je pense, parce que de cet aspect "à côté de ses pompes" ressort par moments un parfum onirique et cauchemardesque pas désagréable. Mais bon, je les défend pas plus, c'est vraiment mauvais.
Voilà, vu ni Frankenwennie ni Pee Wee. Pour moi Burton est en situation bancale depuis Mars Attacks. Il y a une mutation personnelle (une acceptation de la famille, pour faire court) que son cinéma n'a pas pris en compte, en répétant à vide cette esthétique d'adolescent torturé qui ne colle plus à ce que les films essaient de faire porter. Il y a vraiment une mutation qui s'est pas faite, ou mal. A côté de ça, le fait que la "patte Burton" (au point de vue strictement visuel) soit quasiment devenue une marque + son adoption brutale et massive des SFX, ont vraiment fait beaucoup de mal à son cinéma.
Il faut qu'il lâche ses habitués qui lui permettent de tourner en boucle, de Johnny Depp à Elfman, il faut qu'il se bouge le cul et risque un peu quelque chose. Il y a pour moi une promesse d'un cinéma nouveau, plus adulte et aux propriétés nouvelles, qui a été formulée avec Ed Wood, et partiellement renouvelée avec Big Fish, proposition restée lettre morte.
Enfin, il est assez étonnant de voir combien c'est devenu "l'auteur" institutionnel chez les djeunz aspirants cinéphiles ou non, qui célèbrent la "folle originalité" de ses derniers films contre la critique "qui est trop coincée pour comprendre son univers déjanté" (critique qui s'est juste battue contre ses lecteurs pour le faire découvrir au public au début des années 90, mais bon...). Des envies de meurtre.
|