C'est le soir du grand palmarès. Bon, la sélection a beaucoup évolué (sorry, sorry) mais fut d'un très bon niveau.
Mon Festival de Venise 2021
Asie (6) Oasis de Lee Chang-dong Quel beau film. J'avoue : le sujet me faisait peur (j'ai beaucoup de mal avec le handicap à l'écran) et malgré mon amour pour Lee Chang-dong, j'avais toujours hésité à le voir, par peur de trouver cela inconfortable et voyeur. J'étais même rassuré de lire qu'il s'agissait de deux acteurs (quels performances)... Bref, tous les doutes se sont envolés devant la beauté du film, sa poésie, l'évidence de sa mise en scène (le décrochage dans le train, la danse indienne), sa rage politique aussi.. Je conseille vivement (trouvé en DVD à la médiathèque de Puteaux)... 5/6
Mysterious objet at Noon Le premier film de Joe (c’est son surnom), qui, bien sûr, est loin de ses chefs d’oeuvre (à mes yeux Syndromes and a Century, Oncle Boonmee et Memoria), mais qui contient beaucoup de son oeuvre à venir: son amour pour les récits fantastiques, sa totale liberté narrative et cette manière si douce et particulière qu’il a de filmer ses acteurs. Ici, cela reste inégal en fonction des interlocuteurs - c’est un cadavre exquis donc chacun reprend l’histoire et la développe - mais je comprends que le charme du film et du cinéaste a immédiatement agi. 4/6
L’île de Kim Ki-Duk Curieusement, je n’avais jamais vu l’oeuvre matricielle du cinéma de Kim Ki-Duk, mélange d’érotisme, de sadisme, de pulsions de vie, de mort et de sexe. Comme souvent dans son cinéma, la composition picturale impressionne, l’abandon de ses acteurs à ses expériences SM est total et la puissance métaphorique du récit indéniable, avec une utilisation très particulière des hameçons… Après, comme presque toujours avec Kim Ki-Duk, le film est meilleur quand il ne tombe pas dans un certain automatisme autodestructeur, les motifs ont tendance à se répéter et l’émotion manque. Mais ça reste marquant. 4/6
Shadow de Zhang Yimou Je ne m’attendais pas à une telle claque formelle. J’avais laissé Zhang Yimou au bas d’une grande muraille de n’importe quoi avec Matt Damon, je le retrouve avec une tragédie shakespearienne à la direction artistique maitrisée dans ses moindres détails. Si l’intrigue relativement complexe met beaucoup de temps à s’installer, la deuxième heure multiplie les morceaux de bravoure avec une utilisation démente du parapluie-couteaux. Bref, beaucoup aimé, moins poétique que Le Secret des poignards volants mais plus nihiliste et violent. 5/6
La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi Le Grand prix du jury et effectivement de la bonne came, avec l’affrontement entre un flic de haut vol et un dealer de crack - et bien sûr la description d’un Iran gangréné par la drogue, la corruption et la misère sociale. Je trouve le « méchant » un peu ambigu et certains effets too much (la roue bordel) mais c’est du haut niveau. 4/6
Les Amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa Un drame d’espionnage par le maître du cinéma fantastique nippon, avec un scénario de l’auteur de Drive My Car. Ma came absolue sur le papier. Bon, la mise en scène de Kurosawa est incroyable. C’est tourné avec une nouvelle technologie et l’image a une densité folle - surtout la lumière -, par séquence c’est prodigieux, surtout quand il évoque la guerre ou dans les faux-films. Par contre, le scénario m’a un peu déçu, il donne au spectateur une longueur d’avance sur le déroulement des péripéties et les ellipses peut-être justifiées par le budget sont trop nombreuses. Mais ça reste un sacré morceau de cinéma. 4/6
France (4) La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche Curieusement, alors que j’aime beaucoup le cinéma d’Abdellatif Kechiche, je n’avais jamais vu l’une de ses oeuvres principales… Tout simplement car j’avais acheté le DVD à sa sortie et que curieusement l’acte d’achat vaut presque visionnage dans mon cerveau cinéphile, comme si le fait de posséder pour l’éternité une oeuvre, repoussait sa contemplation. Et… j’ai été un peu déçu. Il y a bien sûr des scènes magnifiques - toutes les scènes de repas, la danse du ventre… mais aussi un propos social relou (les passages à la banque/mairie, franchement qui veut réellement financer un projet aussi mal présenté?) et un héros qui porte trop en lui une seule idée - celle de l’immigré qui a bossé toute sa vie en fermant sa gueule - qu’on en vient (en tout cas pour moi) à ne pas s’identifier à lui et à préférer les personnages secondaires. Je lui préfère Vénus noire, La Vie d’Adèle et le premier Mektoub My Love. 4/6
L’Aimée d’Arnaud Desplechin Documentaire très personnel d'Arnaud Desplechin à découvrir sur HENRI, la plateforme de la cinémathèque. En ces temps de Covid, le film trouve un écho particulier. Il y aura des enfants orphelins, des maisons abandonnés et des tableaux mystérieux. Et des artistes qui en feront leur miel, cherchant à percer le mystère, ici en interrogeant simplement son père sur le journal intime laissé par sa mère décédée très jeune. J'ai trouvé ça assez beau (c'est éclairé par Caroline Champetier), à la fois simple dans son dispositif et élégant dans sa forme. Et il y a de très belles fulgurances. 4/6
Mandibules de Quentin Dupieux Avec Quentin Dupieux, c'est souvent tout ou rien. J'aime bien Réalité et Au Poste, pas du tout Rubber et Wrong Cops et je ne comprends pas le délire autour de Steak. Je trouve qu'il manque à ses films une profondeur sociale ou psychologique et souvent après l'exposition du pitch, le récit patine sec (ou sonne). Mandibules est une comédie absurde plus directe et c'est peut-être pour ça que le film est réussi, surtout dans sa première partie, où l'on ressent un amour plus grand et sincère pour ses personnages de losers attachants. Bien sûr, c'est toujours aussi con et le film a du mal à tenir la distance que son faux rythme installe. Mais j'ai pris beaucoup de plaisir à le voir, et j'ai parfois ris bruyamment, surtout lors du moment "Brain Dead" du film. 4/6
Near Death Experience de Benoit Delépine et Gustave Kervern Toujours la même histoire avec le duo Kervern/Delépine... J'aime beaucoup la mise en place de l'histoire, Michel Houellebecq, les paysages... Et même le côté nihiliste du projet. Mais passé 50 minutes, le film tourne à vide, répète ses effets, son discours... Je crois que je préfère le cinéma de Guillaume Nicloux (qui partage un peu le même univers). 3/6
Europe (4) La communion de Jan Komasa Le film mérite sa réputation. Je ne savais rien de l'histoire (bon vu le titre et l'affiche, j'avais quand même compris que cela tournait autour de la religion) et j'ai été happé par la noirceur/pureté du récit, le physique incroyable de son acteur principal, l'efficacité de la mise en scène. Le scénario n'évite pas quelques poncifs (le personnage de la jeune fille notamment), mais Jan Komasa est assurément un jeune cinéaste à suivre qui tient son récit jusqu'au bout (et le dernier plan donne des frissons). Sinon l'affiche est géniale, tu as l'impression qu'elle te vend une comédie avec les gens qui se marrent, la tagline)... 5/6
Atlantis de Valentyn Vasyanovych Je connaissais le film de réputation (récompensé à Venise notamment) mais je suis tombé dessus par hasard sur Mubi, pile quand l'annonce de la sélection de Venise est tombée avec le nouveau film de Valentyn Vasyanovych en compétition. Ce dernier est le chef op et le monteur de The Tribe qui avait fait son petit effet (j'avais détesté par contre). J'ai nettement préféré ce dernier... Il faut dire que j'adore la cinégénie des espaces désolées et des friches industrielles (à l'ouest des rails mon amour) et que je suis servi ici... Le scénario pourrait être absolument déprimant - un ancien soldat ukrainien qui perd son meilleur ami par suicide - erre sans but dans les ruines encore fumantes et minées de son pays - sans une fin qui m'a donné quelques frissons. C'est lent, très poseur dans son imitation de Tarkovski mais fascinant et prometteur. 4/6
Pieces of woman de Kornel Mundruczo J’ai beaucoup patienté avant de découvrir le film, un peu effrayé par le sujet. Surprise: le plan-séquence inaugural est moins éprouvant qu’attendu, même si je suis toujours gêné par l’ajout de musique (Sigur ros) pour appuyer l’émotion. La suite est à la bonne distance. Vanessa Kirby trouve là le rôle de sa vie et si les affrontements inévitables sont nombreux, le film lui laisse toute la place pour « vivre » son deuil J’ai plus de mal avec son personnage à lui, d’ailleurs curieusement sacrifié. Mais le film évite bien des écueils - le film de procès, le film d’adultère - pour toucher en plein coeur (pas fan de la toute toute fin même si je comprends l’idée de la douceur pour sortir du cauchemar). 4/6
Il Varco de Federico Ferrone et Michele Manzolini. Documentaire expérimental et passionnant sur la campagne italienne en Ukraine durant la Seconde guerre mondiale qui mêle images d’archives, commentaires en voix off façon Valse avec Bachir et images contemporaines plus dispensables, même si cela renforce l’idée que l’histoire se répète encore et encore. J’avoue mal connaitre cette partie du conflit - je ne savais même pas que les Italiens avaient aidé les Allemands en Russie (mauvaise idée). Cela sort au cinéma le 5 septembre. 4/6
Amérique du Nord (3) The Card Counter de Paul Schrader Du Paul Schrader pur jus avec un anti-héros en quête de rédemption qui erre dans une Amérique de casinos et de motels. Oscar Isaac est parfait dans le rôle titre, soldat devenu tortionnaire, coeur brisé qui tombe amoureux. J’ai plus de mal avec le personnage du jeune, dont la trajectoire émotionnelle ne m’a pas séduit (d’ailleurs elle est répétée plusieurs fois, je suis sûr que Paul Schrader est moyen convaincu aussi). Mais il y a de très belles choses dans la mise en scène, comme cette traversée féérique d’un faux jardin nocturne. 5/6
Nomadland de Chloé Zhao Le prochain lauréat des Oscars est un beau film social, qui raconte à la fois la vie des nouveaux exclus du système américain qui vont de petits boulots en petits boulots à travers les Etats-Unis et l'impossible deuil d'une femme qui cherche sur la route une réponse à sa douleur muette. L'approche documentaire de la première partie laisse peu à peu place à quelque chose de plus métaphorique - par moment, Nomadland ressemble à A la Merveille de Terrence Malick et c'est un compliment pour l'auteur de ses lignes...Bien sûr, le film parle beaucoup de l'Amérique des pionniers et des déclassés mais ce n'est pas l'aspect que j'ai préféré. Non c'est vraiment le parcours de l'héroïne qui m'a touché, surtout que Frances McDormand est une incroyable actrice et que Chloé Zhao la filme avec une grande douceur, en évitant la trajectoire doloriste que je redoutais. 4/6
The Saddest Music in the World de Guy Maddin Une petite merveille de fantaisie et de mélancolie, avec un scénario improbable - coécrit par un prix Nobel de littérature (!) - mis en scène avec inventivité et qui tient la route (avec un petit coup de mou quand même, niveau rythme avant le crescendo final). J’ai un peu de mal avec l’acteur qui joue Chester Kent mais les deux rôles féminins sont magnifiques et le final poignant. Je conseille vivement, ça se trouve sur Mubi et ça me donne envie de continuer à explorer la filmographie du Canadien. 5/6
Amérique du Sud (1) Waiting for Barbarians de Ciro Guerra Film complètement passé sous les radars après une présentation pourtant en compétition à Venise, un bon cast (Rylance/Depp/Pattinson) et un réalisateur réputé derrière la caméra (Ciro Guerra sans son ex compagne). C'est une adaptation d'un roman de Coetzee, une fable un peu attendue sur le colonialisme, la difficulté à comprendre l'Autre et comment les hommes de bonne volonté se heurtent à la violente réalité. Mark Rylance est excellent dans le rôle principal, mais il manque un peu d'ampleur (et sans doute de budget) au film pour devenir le grand film d'aventure à la Werner Herzog. 3/6
Australie (1) The Nightingale de Jennifer Kent En route pour la joie avec ce Rape and Revenge australien, mis en scène avec efficacité qui déploie un discours des plus contemporains avec l'Homme blanc européen (ici Anglais) comme violeur génocidaire. Ce n'est pas d'une grande subtilité mais il faut bien affronter l'histoire en face et Jennifer Kent filme la violence sans l'esthétiser et j'ai trouvé la trajectoire de l'aborigène très émouvante. Si Sam Claflin incarne un méchant d'anthologie, c'est surtout la jeune actrice Aisling Franciosi qui porte le film - et j'ai frissonné sur la scène finale. A conseiller à ceux qui trouvent anormal que l'on s'interroge sur la glorification des esclavagistes... (Je regrette quelques longueurs/persos en trop même si j'adore le perso qui accompagne sans dite un mot la violence extrême du monde). 4/6
Afrique (1) L’homme qui a vendu sa peau de Kaouther Ben Hania Ne jamais se faire un film avant de l'avoir vu. Quand j'ai lu le pitch, j'imaginais un film fantastique, une sorte de pacte faustien sur fond d'art contemporain. Il y a un peu de ça, bien sûr, dans L'homme qui a vendu sa peau, mais le film ajoute une histoire d'amour au récit d'un réfugié syrien, en plus donc, de la satire de l'art contemporain que je trouve finalement assez convenue et surtout très dans l'air du temps - un côté la Carte et le territoire. Bref, le film n'est objectivement pas mauvais. L'acteur est bon, la mise en scène stylisée sans excès mais le film a frustré mes envies de voir le récit déraper dans le cinéma de genre - et je n'aime pas du tout la fin. 2/6
Et donc le palmarès
Lion d’or: Oasis de Lee Chang-dong Il s’est imposé facilement. J’ai rarement été aussi ému par un film vu sur ma télévision.
Grand prix du jury: Shadow de Zhang Yimou La surprise de ma liste. Je n’en attendais pas grand chose, j’ai été ébloui par la mise en scène.
Prix du Jury: The Saddest Music in the World de Guy Maddin Là aussi une belle surprise et un film très original - unique même. La mise en scène est dingue.
Acteur: Bartosz Bielenia pour La Communion et Oscar Isaac pour The Card Counter Superbe acteur, rôle incroyable d’intensité pour un film assez dément. Quant à Oscar Isaac, c'est tout simplement l'un de mes acteurs préférés. Et il est génial dans le film de Paul Schrader.
Actrice: Vanessa Kirby pour Pieces of Woman de Kornel Mundruczo L’actrice anglaise trouve là le rôle de sa vie (banalité time).
Scénario: Nomadland de Chloé Zhao Cela peut paraître surprenant comme choix: c’est souvent la mise en scène de Zhao qui a été récompensée. Je trouve au contraire qu’on ne loue pas assez les qualités d’écriture de ses films, la complexité psychologique de ses personnages, la douceur et la pudeur qu’elle exprime.
Mise en scène: Loi de Téhéran de Saeed Roustayi La scène d’ouverture est l’une des séquences de l’année et les scènes de foule en prison sont impressionnantes… Et quelle tension.
Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir : Aisling Franciosi pour The Nightingale de Jennifer Kent. Pour une jeune actrice, jouer un Rape and Revenue, ça demande du cran. Et elle a appris le Gaélique pour le rôle.
|