C'est l'heure du bilan. J'ai plutôt bien aimé ma sélection, faite de films passés à Cannes et de films réalisés par des metteurs en scène sélectionnés cette année à Cannes, à l'exception de Del Toro. Vingt films donc, seul deux m'ont déçu sans tomber non plus dans l'excès. Je regrette de ne pas avoir trouvé certains films "sélectionnés", la VoD a encore des progrès à faire même si le moteur de recherche du CNC est très pratique. Netflix a coupé le son de son catalogue US à mi-Lav Diaz, c'est dommage...
Enfin, bref, vous l'attendez tous, ou pas, voici mon palmarès.
Palme d'or: La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu La grosse claque. Mon premier film de Cristi Puiu et sûrement pas le dernier, un thriller social terrifiant et à la fois totalement empathique. Tellement bien écrit et joué. Je ne comprends pas comment et pourquoi la Roumanie fournit autant de bons scénaristes et réalisateurs.
Grand prix du jury: Lola de Brillante Mendoza On m'avait parlé de Lola après Taklub (que j'ai beaucoup aimé), en m'expliquant que c'était encore plus fort. Et bien c'est vrai: c'est juste un film extraordinaire, tellement beau que j'ai eu les larmes aux yeux presque du début jusqu'à la fin - les hormones peut-être. Le regard de Brillante Mendoza peut être d'une tendresse infinie et du dur comme l'acier. Grand film, grand cinéaste.
Prix de la mise en scène ex-aequo: La Frontière de l'aube de Philippe Garrel et Les Bruits de Recife de Filho Kleber Mendoça Le premier est ke fameux film hué à Cannes en 2008. Incompréhension totale pour ma part, j'ai trouvé ça très beau, casse-gueule sans doute, dans son "autisme" et sa noirceur, mais toujours contrebalancé par une foi inouïe et palpable dans la rédemption par le cinéma. J'aime bcp ce que que fait Louis Garrel dans le film, moins Laura Smet qui surjoue un peu trop les scènes d'alcool - les dialogues sont parfois chargés... Toute la seconde partie est sublime, ça m'a beaucoup fait penser à Two Lovers, effectivement. Et l'irruption du fantastique ne m'a pas du tout gêné, bien au contraire.
Le second est un premier film hyper maîtrisé sur la classe bourgeoise du Brésil, entre parano et culpabilité. La mise en scène est brillante, le scénario habile dans sa manière de mêler les genres - on passe du film social au thriller, de Miguel Gomes à John Carpenter, avec des personnages jamais noirs ou blancs. Très hâte de découvrir Aquarius.
Prix du meilleur scénario: Au revoir l'été de Koji Fukada Film délicat entre Conte d'été et Notre petite sœur, on s'y sent très bien, la jeune héroïne est craquante et ses émois amoureux magnifiquement restitués - je suis moins fan de la partie Love Hotel... La mise en scène laisse tout cela évoluer sans heurt, mais il y a quand même quelques très beaux plans bien composés, c'est plus élaboré que la simple approche naturaliste.
Meilleur acteur: Alfredo Castro dans Tony Manero de Pablo Larrain Malsain, glauque, profondément sombre et porté par un acteur dément, Tony Manero est un parfait résumé du travail de Pablo Larrain. C'est noir et c'est fort. L'immoralité du régime de Pinochet finit par transformer les hommes en monstre.
Meilleure actrice: Taraneh Allidousti, Hedieh Tehrani et Pantea Bahram dans La Fête du Feu d'Asghar Farhadi Une leçon d'écriture, de mise en scène et de direction d'acteurs. C'est assez fascinant de voir à quel point le film est une sorte de brouillon d'une Séparation (d'ailleurs je le trouve moins "mécanique"). Le film diffuse une vraie mélancolie, un vrai regard désabusé sur l'amour.
Prix du jury: L'étreinte du serpent de Ciro Guerra Du beau cinéma chamanique, sublimé par le noir et blanc et le travail sur le son. J'adore la partie avec le chaman jeune, moins celle avec le vieux chaman, surtout que Brionne Davis joue pas très bien. Les dix dernières minutes sont sublimes.
Films sans prix par ordre de préférence
Moloch d'Alexander Sokourov Un sacré morceau de cinéma. Pas sûr d'avoir tout le background historico-philosophique pour bien comprendre les intentions d'Alexander Sokourov - pour le coup, j'étais plus à l'aise avec l'histoire japonaise. La première partie est sublime, hors du temps, avec la danse macabre d'Eva Braun, cette vision esthétique du romantisme allemand que l'on retrouvera dans Faust. J'aime moins la suite, avec ces nazis d'opérette que le cinéaste prend bien soin de ne jamais faire apprécier, mais ça reste toujours une splendeur visuelle. La fin est très forte - Sokourov sait finir ses films...
Everyone Else de Maren Ade Bel exercice de style avec deux jeunes acteurs épatants. L'écriture est brillante - la scène de la porte vitrée ! -, après je trouve ça un peu long par rapport au propos du film, ce qui me fait peur pour le suivant qui fait quand même 2h45...
Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch Largement supérieur à Made in France, même si la radicalisation des jeunes marocains est trop expédiée. La première partie dans le bidonville est très belle et si le film est très linéaire, Nabil Ayouch parvient à provoquer une vraie empathie pour les deux frères.
Polytechnique de Denis Villeneuve Film étrange, je le trouve à la fois beau quand il ne veut pas faire du sens, avec une vraie mise en scène et des choses très belles - les plans de nature morte, la trajectoire du héros masculine, et un peu concon avec son insistance sur le propos féministe et ce plan sur Guernica.
Suzanne de Katell Quillévéré Etrange ce film, je trouve le scénario très chargé, souvent improbable dans la réaction de ses personnages, surligné dans ses intentions, mais il dégage un vrai lyrisme. Les acteurs sont tous très bons, surtout François Damiens, qui me touche toujours dans les rôles dramatiques. Il y a du talent derrière tout ça, c'est évident.
Charlie's Country de Rolf de Heer Beau film simple sur un homme qui ne trouve pas sa place dans une société de blanc. Je trouve parfois la mise en scène moyennement inspirée mais David Gulpilil est énorme dans le rôle principal.
La Sainte Fille de Lucrecia Martel Etude de caractère qui prend son temps pour déployer toute sa perversité. Je reconnais la qualité de l'écriture cinématographique mais je me suis pas mal ennuyé devant. Les vingt dernières minutes sont très fortes.
The Disapperance of Eleanor Rigby de Ned Benson Vu la version Them. Le couple fonctionne moyennement car Jessica Chastain irradie totalement ce pâle James McAvoy. Après, il y a de belles choses, surtout dans la dernière demi-heure, où l'on atteint une certaine grâce. Mais si tu as vu beaucoup de films indés ricains, tu te demandes pourquoi ce dernier a eu le droit à une sélection à Cannes.
Le Temps du loup de Michael Haneke Film très étrange de la part de Haneke. La première partie est très intrigante, la fin plutôt réussie, mais le milieu du film impose un curieux surplace - et pour être honnête, j'ai regardé toutes les cinq minutes le temps qu'il restait à subir ça. Je trouve aussi que les acteurs jouent très mal à l'exception d'Isabelle Huppert et Anaïs Desmoutier, vraie révélation du film.
Un Balcon sur la mer de Nicole Garcia J'avais quitté Nicole Garcia sur l'horrible Selon Charlie. Je la retrouve avec ce mélodrame bourgeois, plein de tics d'écriture - les flashbacks à base de le perso réfléchit les yeux dans le vague, et paf, vingt ans en arrière, le mec - il ne boit jamais et paf on le voit ivre la scène suivante car cela ne va pas bien dans sa tête, tout ce qui tourne autour Iphigénie, l'accent sudiste des seconds rôles prolos.... Le film réussit aussi l'exploit de parler de l'Algérie sans montrer UN ARABE. Ceci étant dit, le film dégage quand même un petit parfum pas désagréable. Dujardin est très bon, Servillo aussi. Et le choix de Marie-Josée Croze en femme fatale hitchcokienne - le film est une lointaine variation de Vertigo - plutôt pertinent, car elle amène une fragilité à son rôle supposé de mante religieuse.
Crimson Peak de Guillermo del Toro Déception. Malgré une direction artistique au top, je trouve que le film ne raconte pas grand chose et surtout ce pas grand chose, il le raconte mal et lentement. On devrait écarter Del Toro d'un stylo tant il peine à écrire des personnages crédibles - cela fonctionne mieux quand il écrit sur des "monstres" ou des robots. Je retiens le combat final bitchy, le côté cash de la violence et Tom Hiddleston.
Purple Butterfly de Lou Ye On comprend mieux pourquoi le film est resté dans les tiroirs... En compétition à Cannes en 2003, Purple Butterfly a été massacré au montage si bien que l'histoire est à la limite du compréhensible, surtout dans sa première partie. Quelques séquences sont très réussies - la scène de la fusillade sur le quai de la gare par exemple, j'aime bien l'assassinat du frère aussi -, Zhang Ziyi est toujours aussi intéressante comme actrice - les mecs ont plus de mal -, mais la narration éclatée limite l'émotion et je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire. Les cinq dernières minutes sont à la limite de la propagande mais je me doute que Lou Ye n'a peut-être pas trop eu le choix...
Maintenant, place au vrai festival de cannes.
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